Images de page
PDF
ePub

mienne peut encore se faire entendre ici; et je vous l'atteste, elle tonnera de tout ce qu'elle a de force contre le crime et les tyrans. Eh! que m'importent des poignards et des sicaires! Qu'importe la vie aux représentants du peuple, quand il s'agit de son salut! Lorsque Guillaume Tell ajustait la flèche qui devait abattre la pomme fatale qu'un monstre avait placée sur la tête de son fils, il s'écriait: périssent mon nom et ma mémoire, pourvu que la Suisse soit libre '!

Et nous aussi nous dirons: périsse l'assemblée nationale et sa mémoire, pourvu que la France soit libre! (Les députés se lèvent par un mouvement unanime en criant: Oui, oui, périsse notre mémoire, pourvu que la France soit libre! Les tribunes se lèvent en même temps, et répondent par des applaudissements réitérés au mouvement de l'assemblée.) Périsse l'assemblée nationale et sa mémoire, si elle épargne un crime qui imprimerait une tache au nom français; si sa vigueur apprend aux nations de l'Europe que, malgré les calomnies dont on cherche à flétrir la France, il est encore, et au sein même de l'anarchie momentanée où des brigands nous ont plongés, il est encore dans notre patrie quelques vertus publiques, et qu'on y respecte l'humanité. Périsse l'assemblée nationale et sa mémoire, si, sur nos cendres, nos successeurs, plus heureux, peuvent établir l'édifice d'une constitution qui assure le bonheur de la France et consolide le règne de la liberté. Je demande que les membres de la commune répondent sur leurs têtes de la sûreté de tous les prisonniers.

1) L'orateur, croyant rappeler. un fait historique n'a fait que répéter un vers du Guillaume Tell de Lemierre:

«Que la Suisse soit libre et que nos noms périssent! >>

2) Pourvu que,

PERORAISON DU SECOND DISCOURS AU ROI

POUR M. FOUQUET;

PAR PELLISSON.

Il y a trop de rhétorique dans cette péroraison; il y a même quelques traits de mauvais goût, que nous aurons à peine besoin de noter; mais ce morceau n'en reste pas moins un des plus beaux de l'éloquence française. Parmi tant de louanges on sent de l'indépendance, et, au milieu de tant de supplications, de l'autorité. Cicéron, défendant Ligarius devant César, n'est pas plus noble que Pellisson, défendant Fouquet devant Louis XIV. Cicéron suppliait un ennemi politique, le vainqueur en faveur du vaincu: Pellisson voyait dans Louis XIV l'ennemi personnel de Fouquet, à qui ses malversations, trop avérées, furent moins funestes qu'une rivalité téméraire. Pellisson aimait la faveur, et la poursuivit toute sa vie; mais la reconnaissance et l'amitié l'élevèrent, en cette circonstance, au-dessus de toute lâche considération; il risqua généreusement toutes ses espérances. Après avoir intercédé pour Fouquet dans de beaux vers, que nous citerons plus tard, il épuisa dans ses plaidoyers toutes les ressources de la science et du travail, pour atténuer les torts de son ami, et pour dissiper des accusations calomnieuses; car celui qu'on veut perdre est coupable de tous les crimes. C'est un fait honorable pour les lettres que, dans cette même époque, deux poëtes, La Fontaine et Pellisson, aient risqué la disgrâce dans l'intérêt d'un ami, et qu'un troisième, l'auteur d'Athalie, l'ait encourue dans l'intérêt du peuple opprimé. Pellisson, comme la plupart des grands orateurs de son pays, appartenait à la France méridionale; né en 1624 à Béziers, il mourut à Versailles en 1693. Il était secrétaire de l'Académie française, dont il écrivit l'histoire. Bossuet l'avait converti au catholicisme, dont il fut dès lors, soit conviction, soit complaisance, un zélé propagateur. De ses nombreux ouvrages on ne lit plus que ses mémoires en faveur de Fouquet; le reste de ses écrits, consacrés pour la plupart à la gloire de Louis XIV, a peu servi à la sienne.

Er vous, grand prince (car je ne puis m'empêcher de finir ainsi que j'ai commencé, par V. M. même), c'est un dessein digne sans doute de sa grandeur, ce n'est pas un petit dessein que de réformer la France. Il a été moins long et moins difficile à V. M. de vaincre l'Espagne. Qu'elle regarde de tous côtés, tout à besoin de sa main, mais d'une main douce, tendre, salutaire, qui ne tue point pour guérir, qui secoure, qui corrige et répare

1

la nature sans la détruire. Nous sommes tous hommes, sire; nous avons tous failli; nous avons tous désiré d'être considérés dans le monde; nous avons vu que sans bien on ne l'était pas; il nous a semblé que sans lui toutes les portes nous étaient fermées, que sans lui nous ne pouvions pas même montrer notre talent et notre mérite, si Dieu nous en avait donné, non pas même servir V. M., quelque zèle que nous eussions pour son service. Que n'aurions-nous point fait pour ce bien, sans qui il nous était impossible de rien faire? V. M., sire, vient de donner au monde un siècle nouveau, où ses exemples, plus que ses lois mêmes ni que ses chàtiments, commencent à nous changer. Nous le voyons sire, nous le sentons avec joie. S'il y a toujours à l'avenir, comme on ne le peut empêcher, de grandes fortunes pour la mauvaise foi et pour l'injustice, il y aura désormais des récompenses et des établissements honnêtes pour la fidélité et pour la vertu. Si la constitution de l'État et mille autres raisons considérables font que les charges doivent demeurer vénales, il y en aura du moins de chaque espèce pour le seul mérite, par les grâces de V. M. Cet homme de bien, qui ne songe qu'à Dieu et à son étude, non pas même à V. M. ni à son pouvoir, apprendra tout d'un coup qu'elle l'a honoré d'un grand bénéfice, et doutera longtemps si c'est une vision ou une vérité. Nous serons tous gens d'honneur pour être heureux, et courrons après la gloire, comme nous courions après l'argent, mourant de honte si nous n'étions pas dignes sujets d'un si grand roi, par là véritablement, et, par cette seconde formation de nos esprits et de nos mœurs, le père de tous ses peuples. Mais quant à notre conduite passée, sire, que V. M. s'accommode, s'il lui plait, à la faiblesse, à l'infirmité de ses enfants; nous n'étions pas nés dans la république de Platon, ni même sous les premières lois d'Athènes écrites de sang, ni sous celles de Lacédémone, où l'argent et la politesse étaient un crime; mais dans la corruption des temps, dans le luxe inséparable de la prospérité des États, dans l'indulgence française, dans la plus douce des monarchies, non-seulement pleine de liberté, mais de licence. Il ne nous était pas aisé de vaincre notre naissance et notre mauvaise éducation.

4) Sans ce bien; mais le pronom lui ne peut représenter un nom de chose. 2) Sans lequel. Même remarque. 3) Ne dirait-on pas que Fouquet n'a malversé que pour mieux servir l'État, et que la France, au bout du compte, lui doit être obligée de ce qu'il lui a pris? Ce qui, dans la bouche d'un adversaire, serait une ironie maligne, ne peut être un moyen de défense sous la plume d'un apologiste,

Nous aimons tous V. M. Que rien ne nous rende auprès d'elle si odieux et si détestables, et que s'empêchant de faillir comme si elle ne pardonnait jamais, elle pardonne néanmoins comme si elle faisait tous les jours des fautes. Et quant au particulier de qui j'ai entrepris la défense, particulier maintenant et des moindres et des plus faibles, la colère de V. M., sire, s'emporterait-elle contre une feuille sèche que le vent emporte? Car à qui appliqueraiton plus à propos ces paroles que disait autrefois à Dieu même l'exemple de la patience et de la misère, qu'à celui qui par le courroux du ciel et de V. M. s'est vu enlever en un seul jour, et comme d'un coup de foudre, bien, honneur, réputation, serviteurs, famille, amis et santé, sans consolation et sans commerce, qu'avec ceux qui viennent pour l'interroger et pour l'accuser? Encore que ses accusations soient incessamment aux oreilles de V. M., et que ses défenses n'y soient qu'un moment, encore qu'on n'ose presque espérer qu'elle voie dans un si long discours ce qu'on peut dire pour lui sur ces abus des finances, sur ces millions, sur ces avances, sur ce droit de donner des commissaires, dont on entretient à toute heure V. M. contre lui, je ne me rebuterai point, car je ne veux point douter auprès d'elle s'il est coupable. Mais je ne saurais douter s'il est malheureux. Je ne veux point savoir ce qu'on dira s'il est puni; mais j'entends déjà avec espérance, avec joie, ce que tout le monde doit dire de V. M. si elle fait grâce. J'ignore ce que veulent et que demandent, trop ouvertement néanmoins pour le laisser ignorer à personne, ceux qui ne sont pas satisfaits encore d'un si grand et si déplorable malheur; mais je ne puis ignorer, sire, ce que souhaitent ceux qui ne regardent que V. M., et qui n'ont pour intérêt et pour passion que sa seule gloire. Il n'est pas jusqu'aux lois, sire (c'est un grand saint qui l'a dit), il n'est pas jusqu'aux lois qui, toutes insensibles, toutes inexorables qu'elles sont de leur nature, ne se réjouissent, lorsque ne pouvant se fléchir elles-mêmes, elles se sentent fléchir d'une main toutepuissante, telle que celle de Votre Majesté, en faveur des hommes dont elles cherchent toujours le salut, lors même qu'elles semblent demander leur ruine. Le plus sage, le plus juste même des rois crie encore à V. M. comme à tous les rois de la terre: Ne soyez point si juste. C'est un beau nom que la chambre de justice,

1) Tout insensibles, tout inexorables; quoique par complaisance pour l'oreille, on dise: toutes consolantes.

mais le temple de la Clémence, que les Romains élevèrent à cette vertu triomphant en la personne de Jules César, est un plus grand et un plus beau nom encore. Si cette vertu n'offre pas un temple à V. M., elle lui promet du moins l'empire des cœurs, où Dieu même désire de régner, et en fait toute sa gloire. Elle se vante d'être la seule entre ses compagnes qui ne vit et ne respire que sur le trône. Courez hardiment, sire, dans une si belle carrière: V. M. n'y trouvera que des rois, comme Alexandre le souhaitait, quand on lui parla de courir aux jeux olympiques. Que V. M. nous permette un peu d'orgueil et d'audace; comme elle, sire, quoique non autant qu'elle, nous serons justes, vaillants, prudents, tempérants, libéraux même; mais comme elle nous ne saurions être cléments. Cette vertu, toute douce et tout humaine qu'elle est, plus fière, qui le croirait? que toutes les autres1, dédaigne nos fortunes privées, d'autant plus chère aux grands et aux magnanimes princes, tels que V. M., qu'elle ne se donne qu'à eux; qu'en toutes les autres, quoique au-dessus des lois, ils suivent les lois, en celle-ci ils n'ont point d'autre loi qu'eux-mêmes. Je me trompe, sire, je me trompe: s'il y a tant de lois de justice, il y a, du moins pour V. M., une générale, une auguste, une sainte loi de clémence, qu'elle ne peut violer, parce qu'elle l'a faite elle-même, comme le Jupiter des fables faisait la destinée, comme le vrai Jupiter fit les lois invariables du monde, je veux dire en la prononçant. V. M. s'en étonne sans doute, et n'entend point encore ce que je lui dis; qu'elle rappelle, s'il lui plaît, pour un moment en sa mémoire ce grand et beau jour que la France vit avec tant de joie, que ses ennemis, quoique enflés de mille vaines prétentions, quoique armés et sur nos frontières, virent avec tant de douleur et d'étonnement; cet heureux jour, dis-je, qui acheva de nous donner un grand roi, en répandant sur la tête de V. M., si chère et si précieuse à ses peuples, l'huile sainte et descendue du ciel. En ce jour, sire; avant que V. M. reçût cette onction divine, avant qu'elle eût pris de l'autel, c'est-à-dire de la propre main de Dieu, cette couronne, ce sceptre, cette main de justice, cet anneau qui faisait l'indissoluble mariage de V. M. et de son royaume, cette épée nue et flamboyante, toute victorieuse sur les ennemis, toute puissante sur les sujets; nous vimes, nous entendimes V. M., environnée de pairs et des premières dignités de l'État, au milieu

1) Appeler fière une vertu parce qu'un roi seul peut l'exercer, c'est un pur badinage, peu séant dans un tel sujet et dans un pareil moment.

« PrécédentContinuer »