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des prières, entre les bénédictions et les cantiques, à la face des autels, devant le ciel et la terre, les hommes et les anges, proférer de sa bouche sacrée ces belles et magnifiques paroles, dignes d'être gravées sur le bronze, mais plus encore dans le cœur d'un si grand roi: Je jure et promets de garder et faire garder l'équité et miséricorde en tous jugements, afin que Dieu clément el miséricordieux répande sur moi et sur vous sa miséricorde.

Si quelqu'un, sire, nous ne le pouvons penser, s'opposait à cette miséricorde, à cette équité royale, nous ne souhaitons pas même qu'il soit traité sans miséricorde et sans équité. Mais nous qui l'implorons pour M. Fouquet, qui ne l'implore pas seulement, mais qui y espère, mais qui s'y fonde; quel malheur en détournerait les effets? quelle autre puissance si grande et si redoutable dans les États de V. M. l'empêcherait de suivre et ce serment solennel, et sa gloire, et ses inclinations, toutes grandes, toutes royales, puisque, sans leur faire violence et sans faire tort à ses sujets, elle peut exercer toutes ces vertus ensemble? L'avenir, sire, peut être prévu et réglé par de bonnes lois. Qui oserait encore manquer à son devoir, quand le prince fait si dignement le sien? Que personne ne soit excusé; personne n'ignore maintenant qu'il est éclairé des propres yeux de son maître. C'est là que V. M. fera voir, avec raison, jusqu'à sa sévérité même, si ce n'est assez de sa justice. Mais pour le passé, sire, il est passé, il ne revient plus, il ne se corrige plus. V. M. nous avait confiés à d'autres mains que les siennes; persuadés qu'elle pensait moins à nous, nous pensions bien moins à elle; nous ignorions presque nos propres offenses, dont elle ne semblait pas s'offenser. C'est là, sire, le digne sujet, la propre et véritable matière, le beau champ de sa clémence et de sa bonté.

4) Observé, Surveillé.

VII.

POÉSIE NARRATIVE.

LE PASSAGE DU RHIN';

PAR BOILEAU.

Boileau - DespréAUX (1656–1711), studieux imitateur des anciens, doué de plus de raison que de génie, fut un de ceux qui contribuèrent le plus à épurer le goût de sa nation et à perfectionner la versification française. Ses Satires lui firent beaucoup d'ennemis dans le monde, et ses poétiques flatteries

4) Action sans importance et sans danger, à laquelle la poésie a donné une célébrité imméritée. V. le Siècle de Louis XIV par Voltaire. Au reste, la poésie ne fut alors que l'écho de l'enthousiasme général. Un seul contemporain, disgracié, il est vrai, et mécontent,

<< A pourtant de ce fait parlé comme l'histoire ; >>

encore était-ce dans une lettre confidentielle, et cette lettre lui valut un supplément de disgrâce. C'est Bussy-Rabutin, écrivant à Mme de Sévigné: « Croyez-moi, «<ma chère cousine, la plupart des choses ne sont grandes ou petites qu'autant «que notre esprit les fait ainsi. Le passage du Rhin est une belle action, mais «<elle n'est pas si téméraire que vous pensez. Deux mille chevaux passent pour «<en aller attaquer quatre ou cinq cents. Les deux mille sont soutenus d'une grande <«<armée où le roi est en personne, et les quatre ou cinq cents sont des troupes « épouvantées par la manière brusque ou vigoureuse dont on a commencé la cam«pagne. Quand les Hollandais auraient eu plus de fermeté en cette rencontre, ils «n'auraient tué qu'un peu plus de gens, et enfin ils auraient été accablés par le << nombre. Si le prince d'Orange avait été à l'autre bord du Rhin avec son armée, «je ne pense pas que l'on eût essayé de passer à la nage devant lui, et c'est ce « qui aurait été téméraire si l'on l'avait hasardé.» Lettre du 26 juin 1672.

beaucoup d'amis à la cour. Sans avoir ni l'enjouement d'Horace, ni l'amère véhémence de Juvenal, ni l'originalité mordante de Régnier (1573—1613), il occupe un rang distingué parmi les satiriques. Ses Épitres lui font plus d'honneur. Il y règne un énergique bon sens; mais on souhaiterait que l'élégance parfaite de sa diction revêtit des idées plus profondes. L'Art Poétique, remarquable par l'admirable précision du style et par la beauté des vers, l'est moins par la grandeur des vues. On lui reproche le caractère prohibitif de la plupart des préceptes qu'il renferme, et d'attacher un gouvernail au navire du poëte, au lieu de lui donner des voiles. Le Lutrin, épopée badine, en six chants, est l'ouvrage où Boileau a montré le plus de verve et de génie poétique.

Les vers suivants de Boileau semblent résumer sa religion littéraire, et pourraient servir d'épigraphe au recueil de ses poésies:

RIEN n'est beau que le vrai: le vrai seul est aimable;

Il doit régner partout, et même dans la fable:

De toute fiction l'adroite fausseté

Ne tend qu'à faire aux yeux briller la vérité.

Cessons de nous flatter; il n'est esprit si droit

Qui ne soit imposteur et faux par quelque endroit.
Sans cesse on prend le masque, et, quittant la nature,
On craint de se montrer sous sa propre figure,

Par-là le plus sincère assez souvent déplaît.
Rarement un esprit ose être ce qu'il est.

La simplicité plaît sans étude et sans art.

Tout charme en un enfant, dont la langue sans fard,

A peine du filet encor débarrassée,

Sait d'un air innocent bégayer sa pensée.

Le faux est toujours fade, ennuyeux, languissant;

Mais la nature est vraie, et d'abord on la sent.

Au pied du mont Adule1, entre mille roseaux,
Le Rhin tranquille, et fier du progrès de ses eaux,
Appuyé d'une main sur son urne penchante,
Dormait au bruit flatteur de son onde naissante;
Lorsqu'un cri, tout à coup suivi de mille cris,
Vient d'un calme si doux retirer ses esprits.

4) Le mont St. Gotthard.

Il se trouble, il regarde, et partout sur ses rives
Il voit fuir à grands pas ses Naïades craintives,
Qui, toutes accourant vers leur humide roi,
Par un récit affreux redoublent son effroi.
Il apprend qu'un héros, conduit par la victoire,
A de ses bords fameux flétri l'antique gloire ;
Que Rhimberg et Vesel, terrassés en deux jours,
D'un joug déjà prochain menacent tout son cours.
Nous l'avons vu, dit l'une, affronter la tempête
De cent foudres d'airain tournés contre sa tête.
Il marche vers Tholus, et tes flots en courroux,
Au prix de sa fureur sont tranquilles et doux.
Il a de Jupiter la taille et le visage;

Et, depuis ce Romain, dont l'insolent passage
Sur un pont en deux jours trompa tous tes efforts1,
Jamais rien de si grand n'a paru sur tes bords.

Le Rhin 2 tremble et frémit à ces tristes nouvelles ;
Le feu sort à travers ses humides prunelles;

« C'est donc trop peu, dit-il, que l'Escaut en deux mois <«< Ait appris à couler sous de nouvelles lois;

<«< Et, de mille remparts mon onde environnée,
«De ces fleuves sans nom suivra la destinée!

« Ah! périssent mes eaux, ou par d'illustres coups
<«< Montrons qui doit céder des mortels ou de nous.»>
A ces mots, essuyant sa barbe limoneuse,

Il prend d'un vieux guerrier la figure poudreuse.
Son front cicatricé3 rend son air furieux,
Et l'ardeur du combat étincelle en ses yeux.
En ce moment il part, et, couvert d'une nue,
Du fameux fort de Skink prend la route connue.
Là, contemplant son cours, il voit de toutes parts
Ses pâles défenseurs par la frayeur épars";
Il voit cent bataillons, qui, loin de se défendre,
Attendent sur des murs l'ennemi pour se rendre.
Confus, il les aborde, et renforçant sa voix :

4) Jules César. V. Commentaires de César, L. IV. Ch. 2. 2) Quelque parti que l'auteur ait tiré de cette personnification du Rhin, il ne peut pas y avoir deux avis sur l'inconvenance de cette mythologie grecque en des sujets modernes. — 3) Cicatricé, couvert de cicatrices; cicatrisé se dit d'une blessure qui s'est fermée. — 4) Épars, étant adjectif, ne peut avoir ce régime,

<«< Grands arbitres, dit-il, des querelles des rois,
«Est-ce ainsi que votre âme, aux périls aguerrie,
<< Soutient sur ces remparts l'honneur et la patrie?
«Votre ennemi superbe, en cet instant fameux,
« Du Rhin, près de Tholus, fend les flots écumeux.
<«< Du moins en vous montrant sur la rive opposée,
« N'oseriez vous saisir une victoire aisée ?

<«< Allez, vils combattants, inutiles soldats;
<«<Laissez là ces mousquets trop pesants pour vos bras;
«Et, la faux à la main, parmi vos marécages,

« Allez couper vos joncs et presser vos laitages;

« Ou, gardant les seuls bords qui vous peuvent couvrir,
« Avec moi de ce pas venez vaincre ou mourir.»>

Ce discours d'un guerrier que la colère enflamme,
Ressuscite l'honneur déjà mort en leur âme;
Et, leurs cœurs s'allumant d'un reste de chaleur,
La honte fait en eux l'effet de la valeur.

Ils marchent droit au fleuve, où Louis en personne,
Déjà prêt à passer, instruit, dispose, ordonne.
Par son ordre Grammont le premier dans les flots
S'avance, soutenu des regards du héros.

Son coursier, écumant sous un maître intrépide,
Nage tout orgueilleux de la main qui le guide.
Revel le suit de près; sous ce chef redouté
Marche des cuirassiers l'escadron indompté.
Mais déjà devant eux une chaleur guerrière
Emporte loin du bord le bouillant Lesdiguière,
Vivonne, Nantouillet, et Coislin, et Salart:
Chacun d'eux au péril veut la première part.
Vendôme, que soutient l'orgueil de sa naissance,
Au même instant dans l'onde impatient s'élance.
La Salle, Beringhen, Nogent, d'Ambre, Cavois,
Fendent les flots tremblants sous un si noble poids.
Louis, les animant du feu de son courage,

Se plaint de sa grandeur qui l'attache au rivage.
Par ses soins cependant trente légers vaisseaux,
D'un tranchant aviron déjà coupent les eaux 2.

1) Et non tremblant; pourquoi ? 2) L'importance que l'auteur s'efforce de donner à Louis XIV, qui fut simple spectateur de cette affaire, a quelque chose de plaisant.

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