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Cent guerriers, s'y jetant, signalent leur audace.
Le Rhin les voit d'un œil qui porte la menace;
Il s'avance en courroux, le plomb vole à l'instant,
Et pleut de toutes parts sur l'escadron flottant.
Du salpêtre en fureur l'air s'échauffe et s'allume,
Et des coups redoublés tout le rivage fume.
Déjà du plomb mortel plus d'un brave est atteint.
Sous les fougueux coursiers l'onde écume et se plaint.
De tant de coups affreux la tempête orageuse1
Tient un temps sur les eaux la fortune douteuse;
Mais Louis d'un regard sait bientôt la fixer:
Le destin à ses yeux n'oserait balancer 2.
Bientôt avec Grammont courent Mars et Bellone.
Le Rhin à leur aspect d'épouvante frissonne;
Quand, pour nouvelle alarme à ses esprits glacés,
Un bruit s'épand qu'Enghien et Condé sont passés :
Condé, dont le seul nom fait tomber les murailles,
Force les escadrons et gagne les batailles:
Enghien; de son hymen le seul et digne fruit,
Par lui dès son enfance à la victoire instruit.
L'ennemi renversé fuit, et gagne la plaine:
Le dieu lui-même cède au torrent qui l'entraîne,
Et seul, désespéré, pleurant ses vains efforts,
Abandonne à Louis la victoire et ses bords.

Ces vers sont beaux; mais bien des lecteurs préfèreront, au moins sous un rapport, ceux que Boileau adressait à Louis XIV trois ans auparavant.

A quoi bon d'une muse au carnage animée,

Échauffer ta valeur déjà trop allumée ?

Jouissons à loisir du fruit de tes bienfaits,

Et ne nous lassons point des douceurs de la paix.
Pourquoi ces éléphants, ces armes, ce bagage,
Et ces vaisseaux tout prêts à quitter le rivage?
Disait au roi Pyrrhus un sage confident,

Conseiller très-sensé d'un roi très-imprudent.

Je vais, lui dit ce prince, à Rome où l'on m'appelle.
Quoi faire?

L'assiéger. L'entreprise est fort belle,

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Et digne seulement d'Alexandre ou de vous;

4) Pléonasme très-vicieux. 2) Parlerait-on de Dieu autrement?

Mais, Rome prise enfin, seigneur, où courons-nous?

Du reste des Latins la conquête est facile.
Sans doute on les peut vaincre: est-ce tout?
De là nous tend les bras, et bientôt, sans effort,
Syracuse reçoit nos vaisseaux dans son port.

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Bornez-vous là vos pas?

La Sicile

Dès que nous l'aurons prise,

Il ne faut qu'un bon vent, et Carthage est conquise.

Les chemins sont ouverts: qui peut nous arrêter?

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Je vous entends, seigneur, nous allons tout dompter:

Nous allons traverser les sables de Libye,

Asservir en passant l'Égypte, l'Arabie,

Courir delà le Gange en de nouveaux pays,
Faire trembler le Scythe aux bords du Tanaïs,
Et ranger sous nos lois tout ce vaste hémisphère.
Mais, de retour enfin, que prétendez-vous faire?

Alors, cher Cinéas, victorieux, contents,

Nous pourrons rire à l'aise, et prendre du bon temps.
Eh! seigneur, dès ce jour, sans sortir de l'Épire,
Du matin jusqu'au soir qui vous défend de rire?
Le conseil était sage, et facile à goûter:
Pyrrhus vivait heureux, s'il eût pu l'écouter:
Mais à l'ambition d'opposer la prudence,
C'est aux prélats de cour prêcher la résidence.

Ce n'est pas que mon cœur, du travail ennemi,
Approuve un fainéant sur le trône endormi;
Mais quelques vains lauriers que promette la guerre,
On peut être héros sans ravager la terre.

Il est plus d'une gloire. En vain aux conquérants
L'honneur parmi les rois donne les premiers rangs,
Entre les grands héros ce sont les plus vulgaires.
Chaque siècle est fécond en heureux téméraires;
Chaque climat produit des favoris de Mars:
La Seine a des Bourbons, le Tibre a des Césars.
On a vu mille fois des fanges méotides
Sortir des conquérants, goths, vandales, gépides.
Mais un roi vraiment roi, qui, sage en ses projets,
Sache en un calme heureux maintenir ses sujets,
Qui du bonheur public ait cimenté sa gloire,
Il faut, pour le trouver, courir toute l'histoire.
La terre compte peu de ces rois bienfaisants;
Le ciel à les former se prépare longtemps.
Tel fut cet empereur, sous qui Rome adorée

Vit renaître les jours de Saturne et de Rhée;
Qui rendit de son joug l'univers amoureux;
Qu'on n'alla jamais voir sans revenir heureux;
Qui soupirait le soir, si sa main fortunée
N'avait par ses bienfaits signalé la journée.
Le cours ne fut pas long d'un empire si doux.

L'ASSAUT DE PARIS;

EXTRAIT DE LA HENRIADE DE VOLTAIRE.

BOURBON n'employait point ces moments salutaires A rendre au dernier roi les honneurs ordinaires, A parer son tombeau de ces titres brillants Que reçoivent les morts de l'orgueil des vivants; Ses mains ne chargeaient point les rives désolées De l'appareil pompeux de ces vains mausolées Par qui, malgré l'injure et des temps et du sort, La vanité des grands triomphe de la mort. Il voulait à Valois, dans la demeure sombre, Envoyer des tributs plus dignes de son ombre, Punir ses assassins, vaincre ses ennemis,

Et rendre heureux son peuple, après l'avoir soumis. Au bruit inopiné des assauts qu'il prépare,

Des états consternés le conseil se sépare.

Mayenne au même instant court au haut des remparts:
Le soldat rassemblé vole à ses étendarts:

Il insulte à grands cris le héros qui s'avance.
Tout est prêt pour l'attaque, et tout pour la défense.
Paris n'était point tel, en ces temps orageux,
Qu'il paraît en nos jours aux Français trop heureux.
Cent forts, qu'avaient bâtis la fureur et la crainte,
Dans un moins vaste espace enfermaient son enceinte.
Les faubourgs, aujourd'hui si pompeux et si grands,
Que la main de la paix tient ouverts en tout temps,
D'une immense cité superbes avenues,

Où nos palais dorés se perdent dans les nues,
Étaient de longs hameaux de remparts entourés,

4) Henri IV.

Par un fossé profond de Paris séparés.

Du côté du levant bientôt Bourbon s'avance.
Le voilà qui s'approche, et la mort le devance.
Le fer avec le feu vole de toutes parts

Des mains des assiégeants et du haut des remparts.
Ces remparts menaçants, leurs tours et leurs ouvrages,
S'écroulent sous les traits de ces brûlants orages:
On voit les bataillons rompus et renversés,

Et loin d'eux dans les champs leurs membres dispersés.
Ce que le fer atteint tombe réduit en poudre;
Et chacun des partis combat avec la foudre.

Jadis avec moins d'art, au milieu des combats,
Les malheureux mortels avançaient leur trépas:
Avec moins d'appareil ils volaient au carnage;
Et le fer dans leurs mains suffisait à leur rage.
De leurs cruels enfants l'effort industrieux
A dérobé le feu qui brûle dans les cieux.
On entendait gronder ces bombes effroyables,
Des troubles de la Flandre enfants abominables :
Dans ces globes d'airain le salpêtre enflammé
Vole avec la prison qui le tient enfermé;
Il la brise, et la mort en sort avec furie.

Avec plus d'art encore, et plus de barbarie,
Dans des antres profonds on a su renfermer
Des foudres souterrains tout prêts à s'allumer.
Sous un chemin trompeur, où, volant au carnage,
Le soldat valeureux se fie à son courage,

On voit en un instant des abîmes ouverts;

De noirs torrents de soufre épandus dans les airs,
Des bataillons entiers, par ce nouveau tonnerre,
Emportés, déchirés, engloutis sous la terre.
Ce sont là les dangers où Bourbon va s'offrir:
C'est par là qu'à son trône il brûle de courir.
Ses guerriers avec lui dédaignent ces tempêtes;

L'enfer est sous leurs pas, la foudre est sur leurs têtes:
Mais la gloire, à leurs yeux, vole à côté du roi ;
Ils ne regardent qu'elle, et marchent sans effroi.

Mornay, parmi les flots de ce torrent rapide,
S'avance d'un pas grave, et non moins intrépide;
Incapable à la fois de crainte et de fureur,

3

Sourd au bruit des canons, calme au sein de l'horreur.
D'un œil ferme et stoïque, il regarde la guerre
Comme un fléau du ciel, affreux, mais nécessaire.
Il marche en philosophe1 où l'honneur le conduit,
Condamne les combats, plaint son maître, et le suit.
Ils descendent enfin dans ce chemin 2 terrible
Qu'un glacis teint de sang rendait inaccessible:
C'est là que le danger ranime leurs efforts:
Ils comblent les fossés de fascines, de morts;
Sur ces morts entassés ils marchent, ils s'avancent:
D'un cours précipité sur la brèche ils s'élancent.
Armé d'un fer sanglant, couvert d'un bouclier,
Henri vole à leur tête, et monte le premier.
11 monte: il a déjà, de ses mains triomphantes,
Arboré de ses lis les enseignes flottantes.
Les ligueurs, devant lui, demeurent pleins d'effroi :
Ils semblaient respecter leur vainqueur et leur roi.
Ils cédaient mais Mayenne à l'instant les ranime!
Il leur montre l'exemple, il les rappelle au crime;
Leurs bataillons serrés pressent de toutes parts
Ce roi dont ils n'osaient soutenir les regards.
Sur le mur, avec eux, la Discorde cruelle
Se baigne dans le sang que l'on verse pour elle.
Le soldat, à son gré, sur ce funeste mur,
Combattant de plus près, porte un trépas plus sûr.
Alors on n'entend plus ces foudres de la guerre
Dont les bouches de bronze épouvantaient la terre;
Un farouche silence, enfant de la fureur,

A ces bruyants éclats succède avec horreur.

1) La philosophie de Duplessis-Mornay, c'était la foi chrétienne. Du reste, ce morceau forme une diversion heureuse, et présente un beau portrait, que Voltaire semble avoir voulu achever dans ces vers du chant IX:

«Avide de travaux, insensible aux délices,

<«< Il marchait d'un pas ferme au bord des précipices.
«Jamais l'air de la cour, et son souffle infecté,

<«< N'altéra de son cœur l'austère pureté.

<< Belle Aréthuse, ainsi ton onde fortunée

<«<Roule au sein furieux d'Amphitrite étonnée

<«<Un cristal toujours pur, et des flots toujours clairs,

«Que jamais ne corrompt l'amertume des mers.>>

2) Chemin couvert; espace de 4 ou 5 toises de largeur, qui règne autour des

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- 3) Esplanade en forme de talus, après le chemin couvert.

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