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D'un bras déterminé, d'un œil brûlant de rage,
Parmi ses ennemis chacun s'ouvre un passage.
On saisit, on reprend, par un contraire effort,
Ce rempart teint de sang, théâtre de la mort.
Dans ses fatales mains la victoire incertaine
Tient encor, près des lis, l'étendard de Lorraine.
Les assiégeants surpris sont partout renversés,
Cent fois victorieux, et cent fois terrassés ;
Pareils à l'océan poussé par les orages,

Qui couvre, à chaque instant, et qui fuit ses rivages.
Jamais le roi, jamais son illustre rival,
N'avaient été si grands qu'en cet assaut fatal:
Chacun d'eux, au milieu du sang et du carnage,
Maître de son esprit, maître de son courage,
Dispose, ordonne, agit, voit tout en même temps,
Et conduit d'un coup-d'œil ces affreux mouvements.
Cependant des Anglais la formidable élite,
Par le vaillant Essex à cet assaut conduite,
Marchait sous nos drapeaux pour la première fois,
Et semblait s'étonner de servir sous nos rois.
Ils viennent soutenir l'honneur de leur patrie,
Orgueilleux de combattre, et de donner leur vie
Sur ces mêmes remparts et dans ces mêmes lieux
Où la Seine autrefois vit régner leurs aïeux.
Essex monte à la brèche où combattait d'Aumale ;
Tous deux jeunes, brillants, pleins d'une ardeur égale,
Tels qu'aux remparts de Troie on peint les demi-dieux.
Leurs amis, tout sanglants, sont en foule autour d'eux:
Français, Anglais, Lorrains, que la fureur assemble,
Avançaient, combattaient, frappaient, mouraient ensemble.
Ange qui conduisiez leur fureur et leur bras,

Ange exterminateur, âme de ces combats,
De quel héros enfin prites-vous la querelle?
Pour qui pencha des cieux la balance éternelle ?
Longtemps Bourbon, Mayenne, Essex, et son rival,
Assiégeants, assiégés, font un carnage égal.
Le parti le plus juste eut enfin l'avantage :
Enfin Bourbon l'emporte, il se fait un passage;
Les ligueurs fatigués ne lui résistent plus,
lls quittent les remparts, ils tombent éperdus.

Comme on voit un torrent, du haut des Pyrénées,
Menacer des vallons les nymphes consternées :
Les digues qu'on oppose à ses flots orageux
Soutiennent quelque temps son choc impétueux;
Mais bientôt, renversant sa barrière impuissante,
Il porte au loin le bruit, la mort et l'épouvante,
Déracine, en passant, ces chênes orgueilleux
Qui bravaient les hivers, et qui touchaient les cieux,
Détache les rochers du penchant des montagnes,

Et poursuit les troupeaux fuyant dans les campagnes.
Tel Bourbon descendait à pas précipités

Du haut des murs fumants qu'il avait emportés ;
Tel, d'un bras foudroyant fondant sur les rebelles,
Il moissonne, en courant, leurs troupes criminelles.
Les Seize, avec effroi, fuyaient ce bras vengeur,
Égarés, confondus, dispersés par la peur.

Mayenne ordonne enfin que l'on ouvre les portes:
Il entre dans Paris, suivi de ses cohortes.

Les vainqueurs furieux, les flambeaux à la main,
Dans les faubourgs sanglants se répandent soudain.
Du soldat effréné la valeur tourne en rage;
Il livre tout au fer, aux flammes, au pillage.
Henri ne les voit point; son vol impétueux
Poursuivait l'ennemi fuyant devant ses yeux.
Sa victoire l'enflamme, et sa valeur l'emporte,
Il franchit les faubourgs, il s'avance à la porte:
Compagnons, apportez et le fer et les feux;
Venez, volez, montez sur ces murs orgueilleux'.
Comme il parlait ainsi, du profond d'une nue
Un fantôme éclatant se présente à sa vue:
Son corps majestueux, maître des éléments,
Descendait vers Bourbon sur les ailes des vents:
De la divinité les vives étincelles

Étalaient sur son front des beautés immortelles ;

4) «Ferte citi flammam, date tela, scandite muros.» Virg.

2) Des étincelles ne peuvent rien étaler. Ces deux images ne s'accordent pas. De telles disconvenances, qu'on rencontre parfois jusques chez les classiques, tiennent à une cause qu'il peut être intéressant d'indiquer. Des expressions figurées cessent, à force d'emploi, de l'être ou de le paraître; le sens nouveau se présente aussi vite que l'autre, il devient le sens propre, et quelquefois même (ainsi que nous l'avons remarqué p. 26. n. 2.) l'idée primitive disparaît. Mais cette extinction

Ses yeux semblaient remplis de tendresse et d'horreur:
«< Arrête, cria-t-il, trop malheureux vainqueur !
Tu vas abandonner aux flammes, au pillage,
De cent rois, tes aïeux, l'immortel héritage,
Ravager ton pays, mes temples, tes trésors,
Égorger tes sujets, et régner sur des morts:
Arrête. .» A ces accents, plus forts que le tonnerre,
Le soldat s'épouvante, il embrasse la terre,

Il quitte le pillage. Henri, plein de l'ardeur
Que le combat encore enflammait dans son cœur,
Semblable à l'océan qui s'apaise et qui gronde :
« O fatal habitant de l'invisible monde !

«Que viens-tu m'annoncer dans ce séjour d'horreur ? »
Alors il entendit ces mots pleins de douceur :
« Je suis cet heureux roi que la France révère,
Le père des Bourbons1, ton protecteur, ton père;
Ce Louis qui jadis combattit comme toi,

de la métaphore étant graduelle, insensible, il y a des cas où le sens primitif reluit encore à travers l'idée nouvelle, mais trop faiblement pour qu'on ne risque pas de s'y méprendre, et de jeter le mot, comme entièrement dépouillé de sa première vertu, dans une phrase où elle se réveille au contact de quelque autre mot, et produit une de ces disparates que nous avons signalées. Ainsi vous aurez vingt fois employé le mot étincelle sans faire apparaître à l'esprit aucune image; mais si vous le joignez au mot étaler, on se rappelle tout à coup la nature de l'étincelle, dont le propre n'est pas d'étaler. S'enraciner, séjourner sont des métaphores usées par leur fréquent emploi, qui, dix fois pour une, ne font pas plus d'effet sur l'imagination que se perpétuer et durer; mais quand un poëte moderne écrit: «Vers toi sur qui l'oubli s'enracine et séjourne,»

tous

on se rappelle ce que ces mots valent et qu'ils ne peuvent être appliqués à l'oubli, chose toute négative, tandis qu'ils s'appliqueraient fort bien à quelque autre objet, comme par exemple au déshonneur, à la honte: «Illa MACULA, Mithridatico bello superiore suscepta, quæ penitus INSEDIT atque inveteravit in populi romani nomine.» Cic. Ces observations nous font comprendre que Fléchier se soit laissé aller à dire «Les passions que nos péchés avaient allumées rompirent les digues de la justice et de la raison.>> En général, dans la langue comme dans la nature, les sommets tendent à s'aplanir: les expressions fortes s'affaiblissent et demandent à être remplacées; les figures cessent de faire saillie et redescendent vers le niveau général où tant d'autres se sont perdues dans le style propre; toute la langue dés idées morales ne se compose que de métaphores éteintes. Il faut donc se créer d'autres ressources. Un exemple entre mille. Parcourir l'histoire ne dit plus rien à l'imagination. Mais Boileau a fait un beau vers en disant d'un roi vraiment roi, « Qu'il faut pour le trouver courir toute l'histoire. >> En quoi pourtant courir est-il plus poétique que parcourir?

4) Louis IX.

Ce Louis dont ton cœur à négligé la foi,
Ce Louis qui te plaint, qui t'admire et qui t'aime.
Dieu sur ton trône un jour te conduira lui-même ;
Dans Paris, ô mon fils, tu rentreras vainqueur,
Pour prix de ta clémence, et non de ta valeur :
C'est Dieu qui t'en instruit, et c'est Dieu qui m'envoie.»>
Le héros, à ces mots, verse des pleurs de joie.
La paix a dans son cœur étouffé son courroux:
Il s'écrie, il soupire, il adore à genoux.
D'une divine horreur son âme est pénétrée :
Trois fois il tend les bras à cette ombre sacrée ;
Trois fois son père échappe à ses embrassements,
Tel qu'un léger nuage écarté par les vents 1.

4) « Ter conatus ibi collo dare brachia circum :

<< Ter frustra comprensa manus effugit imago,
«Par levibus ventis, volucrique simillima somno. >>

Aen. VI, 699.

EURY DICE;

TRADUIT DE VIRGILE PAR DELILLE.

(PROTÉE, INTERROGÉ PAR ARISTÉE, LUI RÉPOND :)

TREMBLE, un Dieu te poursuit: pour venger ses douleurs Orphée a sur ta tête attiré ces malheurs;

Mais il n'a pas au crime égalé le supplice.

Un jour tu poursuivais sa fidèle Eurydice;
Eurydice fuyait, hélas! et ne vit pas

Un serpent que les fleurs recelaient sous ses pas :
La mort ferma ses yeux; les nymphes, ses compagnes,
De leurs cris douloureux remplirent les montagnes;

Le Thrace belliqueux lui-même en soupira;
Le Rhodope en gémit, et l'Ebre en murmura.

Son époux s'enfonça dans un désert sauvage:

Là, seul, touchant sa lyre, et charmant son veuvage,
Tendre épouse! c'est toi qu'appelait son amour,
Toi qu'il pleurait la nuit, toi qu'il pleurait le jour.

C'est peu; malgré l'horreur de ses profondes voûtes,

Il franchit de l'enfer les formidables routes,

Et, perçant ces forêts où règne un morne effroi,

Il aborda des morts l'impitoyable roi,

Et la Parque inflexible et les pâles Furies,

Que les pleurs des humains n'ont jamais attendries:

Il chantait, et, ravis jusqu'au fond des enfers,
Au bruit harmonieux de ses tendres concerts,
Les légers habitants de ces obscurs royaumes,
Des spectres pâlissants, de livides fantômes,
Accouraient plus pressés que ces oiseaux nombreux
Qu'un orage soudain, ou qu'un soir ténébreux
Rassemble par milliers dans les bocages sombres :
Des mères, des héros, aujourd'hui vaines ombres,
Des vierges que l'hymen attendait aux autels,
Des fils mis au bûcher sous les yeux paternels,
Victimes que le Styx, dans ses prisons profondes,
Environne neuf fois des replis de ses ondes,
Et qu'un marais fangeux, bordé de noirs roseaux,
Entoure tristement de ses dormantes eaux.

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