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LE PAYSAN DU DANUBE.

Il ne faut point juger des gens sur l'apparence.
Le conseil en est bon, mais il n'est pas nouveau.
Jadis, l'erreur du souriceau1

Me servit à prouver le discours que j'avance.
J'ai, pour le fonder à présent,
Le bon Socrate, Ésope, et certain paysan
Des rives du Danube, homme dont Marc-Aurèle
Nous fait un portrait fort fidèle.

On connaît le premier: quant à l'autre, voici
Le personnage en raccourci.

Son menton nourrissait une barbe touffue;
Toute sa personne velue

Représentait un ours, mais un ours mal léché.
Sous un sourcil épais il avait l'œil caché,
Le regard de travers, nez tortu, grosse lèvre,
Portait sayon de poil de chèvre,

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Et ceinture de joncs marins.

Cet homme, ainsi bâti, fut député des villes
Que lave le Danube: il n'était point d'asiles
Où l'avarice des Romains

Ne pénétrât alors, et ne portât les mains.
Le député vint donc, et fit cette harangue":
Romains, et vous, Sénat, assis pour m'écouter,
Je supplie, avant tout, les dieux de m'assister :
Veuillent les immortels, conducteurs de ma langue,
Que je ne dise rien qui doive être repris!

Sans leur aide il ne peut entrer dans les esprits

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l'entraînement,

4) V. Chrestomathie I, p. 543. 2) La pensée. - 3) Vêtement grossier. — 4) Un discours destiné à la fois à émouvoir et à instruire ne pourrait être formé sur le modèle de celui-ci. Mais celui-ci, dans son genre, est parfait; et l'orateur de profession peut l'étudier avec profit. La liaison, la continuité, certes n'y manquent pas; une idée suscite l'autre; c'est comme la propagation du feu dans un incendie. Sans doute le rustique orateur se met à la merci de ses transitions; elles le mènent où elles veulent; mais il importe peu dans ce sujet et dans cette situation. S'il s'agissait d'expliquer, d'exposer, en un mot d'enseigner, ce serait autre chose. Étudiez la marche de ce discours; il en vaut la peine. — 5) << Bene ac sapienter majores instituerunt, ut rerum agendarum, ita dicendi <«<initium, a precationibus; ut nihil rite, nihilque providenter homines sine Deorum <«<immortalium ope, consilio, honore, auspicarentur.» Plin. Traj. Paneg. — L'exorde du discours de Démosthène pro Coronâ est une prière.

Que tout mal et toute injustice:

Faute d'y recourir on viole leurs lois;
Témoin nous que punit la romaine avarice.

Rome est, par nos forfaits, plus que par ses exploits,
L'instrument de notre supplice.

Craignez, Romains, craignez que le ciel quelque jour
Ne transporte chez vous les pleurs et la misère,
Et, mettant en nos mains, par un juste retour,
Les armes dont se sert sa vengeance sévère,
Il ne vous fasse, en sa colère,

Nos esclaves à votre tour.

Et pourquoi sommes-nous les vôtres? qu'on me die1
En quoi vous valez mieux que cent peuples divers?
Quel droit vous a rendus maîtres de l'univers ?
Pourquoi venir troubler une innocente vie?

Nous cultivions en paix d'heureux champs; et nos mains
Étaient propres aux arts, ainsi qu'au labourage:
Qu'avez-vous appris aux Germains?

Ils ont l'adresse et le courage:

S'ils avaient eu l'avidité,

Comme vous, et la violence,

Peut-être, en votre place, ils auraient la puissance,
Et sauraient en user sans inhumanité.
Celle que vos préteurs ont sur nous exercée
N'entre qu'à peine en la pensée.

La majesté de vos autels

Elle-même en est offensée :

Car sachez que les immortels

Ont les regards sur nous.

Grâces à vos exemples,

Ils n'ont devant les yeux que des objets d'horreur,
De mépris d'eux et de leurs temples,

D'avarice qui va jusques à la fureur.

Rien ne suffit aux gens qui nous viennent de Rome:
La terre et le travail de l'homme

Font, pour les assouvir, des efforts superflus.
Retirez-les on ne veut plus

Cultiver pour eux les campagnes.

Nous quittons les cités, nous fuyons aux montagnes ;
Nous laissons nos chères compagnes;

Vieilli, pour dise. V. p. 520, 1. 19.

*

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Nous ne conversons plus qu'avec des ours affreux,
Découragés de mettre au jour des malheureux,
Et de peupler, pour Rome, un pays qu'elle opprime.
Quant à nos enfants déjà nés,

Nous souhaitons de voir leurs jours bientôt bornés;
Vos préteurs au malheur nous font joindre le crime.
Retirez-les, ils ne nous apprendront
Que la mollesse et que le vice:

Les Germains comme eux deviendront

Gens de rapine et d'avarice.

C'est tout ce que j'ai vu dans Rome à mon abord.
N'a-t-on point de présents à faire?

Point de pourpre 2 à donner? C'est en vain qu'on espère
Quelque refuge aux lois encor leur ministère
A-t-il mille longueurs. Ce discours un peu fort
Doit commencer à vous déplaire.

Je finis. Punissez de mort

Une plainte un peu trop sincère.
A ces mots, il se couche: et chacun étonné
Admire le grand cœur, le bon sens, l'éloquence
Du sauvage ainsi prosterné.

On le créa patrice; et ce fut la vengeance
Qu'on crut qu'un tel discours méritait. On choisit
D'autres préteurs; et par écrit

Le Sénat demanda ce qu'avait dit cet homme
Pour servir de modèle aux parleurs à venir.

On ne sut pas longtemps à Rome

Cette éloquence entretenir ".

LE MÊME.

4) Converser, dans les vieux auteurs, signifie vivre, communiquer. 2) Métonymie, pour dignité. 3) Dans les lois. 4) Inversion qui n'est pas permise, même en poésie.

LE STATUAIRE ET LA STATUE DE JUPITER.

Un bloc de marbre était si beau
Qu'un statuaire en fit l'emplette.
Qu'en fera, dit-il, mon ciseau ?
Sera-t-il dieu, table, ou cuvette?

Il sera dieu même je veux
Qu'il ait en sa main un tonnerre.
Tremblez, humains; faites des vœux :
Voilà le maître de la terre.

L'artisan exprima si bien

Le caractère de l'idole,

Qu'on trouva qu'il ne manquait rien
A Jupiter que la parole.

Même l'on dit que l'ouvrier
Eut à peine achevé l'image
Qu'on le vit frémir le premier,
Et redouter son propre ouvrage.

Le cœur suit aisément l'esprit :
De cette source est descendue
L'erreur païenne qui se vit
Chez tant de peuples répandue.

Chacun tourne en réalités,
Autant qu'il peut, ses propres songes:
L'homme est de glace aux vérités;
Il est de feu pour les mensonges.
LE MÊME.

LES ÉTOILES.

PYTHAGORE des cieux entendait l'harmonie ;
Mais quels rêveurs encor croiront à son génie ?
On rit de ses concerts, car en nos tristes jours
Les astres sont muets ou les hommes sont sourds.
Un pêcheur de Naxos, couché, dans sa nacelle,
Contemplait de ces feux la lumière éternelle,
Lorsque avec les rayons quelque bruit descendu
Porta soudain le trouble en son cœur éperdu.
«Rassure-toi, nocher, » dit la voix éthérée.
Apprends qu'à ton sujet s'émeut tout l'empyrée.
« Un mot pour contenter nos désirs curieux !
«Des célestes clartés laquelle te plaît mieux ? »
L'étoile qui parlait était bien la plus belle;

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Mais lui, montrant le nord, il dit : « La plus fidèle. »>

J. J. PORCHAT.

VIII.

POÉSIE DIDACTIQUE ET DESCRIPTIVE.

LA BIBLE.

M. DE FONTANES, né à Niort en 1761, se fit connaitre de bonne heure par des productions poétiques d'un grand mérite. Il porta au plus haut degré la noblesse de la diction et la douceur du langage. Quelques poëmes descriptifs ou didactiques, (le Verger, la Forêt de Navarre, l'Essai sur l'Astronomie), de très-belles élégies (le Jour des Morts, la Messe de Minuit, la Chartreuse), une traduction de l'Essai sur l'Homme de Pope, forment le recueil peu volumineux des productions poétiques de Fontanes. Persécuté pendant la révolution, il vécut quelque temps en exil. De retour en France, il devint membre, et bientôt président du corps législatif; en cette qualité, il fut le panégyriste infatigable de Bonaparte, dont il était, à ce qu'il paraît, l'admirateur sincère; et l'orateur parut encore supérieur au poëte. L'Éloge de Washington se distingue parmi les productions de cette éloquence qui, bien qu'elle ne démontre rien, a reçu des rhéteurs le nom de démonstrative. Si la force n'était pas un élément nécessaire de la beauté, il n'y aurait pas, au 19e siècle, de plus belle prose que celle de M. de Fontanes. Ce poëte, cet orateur est encore un critique habile et judicieux, bien que quelques préoccupations, plus sociales peut-être que littéraires, aient nui quelquefois à la liberté de sa pensée et même à l'équité de ses jugements. Nommé, en 1808, grand-maître de l'université, il occupa cette place jusqu'en 1814, et mourut en 1821. Les œuvres de Fontanes ont été recueillies, en 1839, en 2 vol., par les soins de M. SainteBeuve, qui les a accompagnées d'une notice très-intéressante sur l'auteur.

Qui n'a relu souvent, qui n'a point admiré
Ce livre par le ciel aux Hébreux inspiré ?
Il charmait à la fois Bossuet et Racine.
L'un, éloquent vengeur de la cause divine,

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