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Le mélange fécond et des feux et des eaux
Y fait naître, y nourrit de puissants végétaux,
Titans majestueux, l'honneur de la Nature.
L'hiver n'ose attenter à leur sombre verdure;
Ils répandent au loin leurs rameaux spacieux,
Ou leur cime s'élance et va fendre les cieux.
C'est là qu'un peuple errant du cocotier fertile
Reçoit ses aliments, sa boisson, son asile;
L'arbuste de Ternate enrichit ces climats ;
Le soleil y mûrit l'odorant ananas;

Et ce bois dont les sels, portés de veine en veine,
Rendent son cours paisible au sang qui les entraîne.
Là se change en miel pur la pulpe des roseaux;
Des baumes bienfaisants coulent des arbrisseaux ;
Cet arbre épais et noir vous offre son ombrage;
Mais fuyez la vapeur qui sort de son feuillage
Endormirait vos sens du sommeil de la mort.

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Tout est horrible ou beau sur ce brûlant espace;
C'est là que de la terre attirant la surface,
Le soleil éleva les Andes et l'Atlas.

Jamais leur front serein n'est chargé de frimas.
Des tourbillons de feu, des globes de fumée
Sortent en rugissant de leur cime enflammée.
La chaleur dans leur sein fait germer ces métaux,
Source de l'industrie, aliment de nos maux.
Sur les champs sablonneux le rubis étincelle.
Dans les flancs des rochers la Nature immortelle
Épure avec lenteur les feux du diamant.

De la chaîne des monts tombent en écumant

Des fleuves, des torrents qu'ont nourris les orages;
A travers les rochers et les forêts sauvages,

Les empires puissants, et les vastes déserts,
Leurs cours impétueux les porte au sein des mers:
L'Orellanne et l'Indus, le Gange et le Zaïre,

Repoussent l'Océan qui gronde et se retire.

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Près du cap dont Gama franchit les bords arides, Semblable à ces vapeurs qui couvrent un volcan, Repose sur les monts le terrible Ouragan;

Il s'ébranle, mugit, lance des clartés sombres,
Et part environné du tumulte et des ombres.
Les foudres redoublés ouvrent ses flots errants;
Il tourne autour du globe et roule des torrents.
Les cités, les forêts qu'il brise à son passage,
Couvrent de leur débris la zone qu'il ravage.
Il soulève les monts, bouleverse les mers,
Et le sable entassé dans ces affreux déserts,
Dans les champs enflammés de la vaste Lybie,
Solitude sans eaux, sans verdure et sans vie,
Où des sources de feux, un fleuve étincelant,
Tombent du haut des airs sur un sable brûlant.
L'astre par qui tout naît, tout végète ou respire,
Y combat la Nature, y détruit son empire.
Sur cet espace inculte, aride et sans couleur,
On voit quelques rochers noircis par la chaleur,
Seule variété que présente à la vue

Des sables éclatants la stérile étendue.

Hélas! ce ciel d'airain, ce soleil irrité,
Annonce à nos climats la même aridité.
Tout languit, tout périt. Sirius en furie
A dévoré la sève; il menace la vie.

Le reste de ce chant est rempli par le tableau des travaux et des jeux champêtres pendant cette saison, et se ferme par la description d'un orage. Nous transcrivons ce dernier morceau :

Les cris de la corneille ont annoncé l'orage.
Le bélier effrayé veut rentrer au hameau.
Une sombre fureur agite le taureau,
Qui respire avec force, et, relevant la tête,
Par ses mugissements appelle la tempête.

On voit à l'horizon, de deux points opposés,
Des nuages monter dans les airs embrasés ;
On les voit s'épaissir, s'élever et s'étendre.
D'un tonnerre éloigné le bruit s'est fait entendre:
Les flots en ont frémi, l'air en est ébranlé,
Et le long du vallon le feuillage a tremblé.
L'es monts ont prolongé le lugubre murmure
Dont le son lent et sourd attriste la Nature.
Il succède à ce bruit un calme plein d'horreur;

Et la terre en silence attend dans la terreur.
Des monts et des rochers le vaste amphithéâtre
Disparaît tout à coup sous un voile grisâtre ;
Le nuage élargi les couvre de ses flancs;
II pèse sur les airs tranquilles et brûlants.
Mais des traits enflammés ont sillonné la nue,
Et la foudre, en grondant, roule dans l'étendue :
Elle redouble, vole, éclate dans les airs;

Leur nuit est plus profonde; et de vastes éclairs
En font sortir sans cesse un jour pâle et livide.
Du couchant ténébreux s'élance un vent rapide,
Qui tourne sur la plaine, et, rasant les sillons,
Enlève un sable noir qu'il roule en tourbillons.
Ce nuage nouveau, ce torrent de poussière,
Dérobe à la campagne un reste de lumière.
La peur, l'airain sonnant, dans les temples sacrés
Font entrer à grands flots les peuples égarés.
Grand Dieu! vois à tes pieds leur foule consternée
Te demander le prix des travaux de l'année.
Hélas! d'un ciel en feu les globules glacés
Écrasent, en tombant, les épis renversés ;

Le tonnerre et les vents déchirent les nuages;
Le fermier de ses champs contemple les ravages,
Et presse dans ses bras ses enfants effrayés.
La foudre éclate, tombe, et des monts foudroyés
Descendent à grand bruit les graviers et les ondes
Qui courent en torrent sur les plaines fécondes.
O récolte ô moisson! tout périt sans retour;
L'ouvrage de l'année est détruit dans un jour.

St.-LAMBERT. Les Saisons.

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ÉPITRE DE BOILEAU A RACINE.

QUE tu sais bien, Racine, à l'aide d'un acteur,
Émouvoir, étonner, ravir un spectateur!
Jamais Iphigénie, en Aulide immolée,

N'a coûté tant de pleurs à la Grèce assemblée,
Que, dans l'heureux spectacle à nos yeux étalé,
En a fait sous son nom verser la Champmêlé.
Ne crois pas toutefois, par tes savants ouvrages,
Entraînant tous les cœurs, gagner tous les suffrages.
Sitôt que d'Apollon un génie inspiré

Trouve loin du vulgaire un cheinin ignoré,
En cent lieux contre lui les cabales s'amassent:
Ses rivaux obscurcis autour de lui croassent;
Et son trop de lumière, importunant les yeux,
De ses propres amis lui fait des envieux.
La mort seule ici-bas, en terminant sa vie,
Peut calmer sur son nom l'injustice et l'envie,
Faire au poids du bon sens peser tous ses écrits,
Et donner à ses vers leur légitime prix.

Avant qu'un peu de terre, obtenu par prière,
Pour jamais sous la tombe eût enfermé Molière,
Mille de ses beaux traits, aujourd'hui si vantés,
Furent des sots esprits à nos yeux rebutés.
L'ignorance et l'erreur, à ses naissantes pièces,
En habits de marquis, en robes de comtesses,
Venaient pour diffamer son chef-d'œuvre nouveau,
Et secouaient la tête à l'endroit le plus beau.
Le commandeur voulait la scène plus exacte;
Le vicomte indigné sortait au second acte.
L'un, défenseur zélé des bigots mis en jeu,
Pour prix de ses bons mots le condamnait au feu;
L'autre, fougueux marquis, lui déclarant la guerre,

1) En 1677, à l'occasion de la tragédie de Phèdre, mal accueillie par le public.

2) Les deux hémistiches ne doivent pas rimer ensemble; mais ici cette négli

gence est une beauté. On n'en dira pas autant de ce vers de Racine:

<< Pourquoi, trop jeune encor, ne pûtes-vous alors....>>

ni de celui-ci, de Boileau:

«Ses écrits pleins de feu partout brillent aux yeux.»

Voulait venger la cour immolée au parterre1.
Mais sitôt que d'un trait de ses fatales mains
La parque l'eût rayé du nombre des humains
On reconnut le prix de sa muse éclipsée.
L'aimable comédie, avec lui terrassée,
En vain d'un coup si rude espéra revenir,
Et sur ses brodequins ne put plus se tenir.
Tel fut chez nous le sort du théâtre comique.

Toi donc qui, t'élevant sur la scène tragique,
Suis les pas de Sophocle, et, seul de tant d'esprits,
De Corneille vieilli sais consoler Paris,

Cesse de t'étonner si l'envie animée,

Attachant à ton nom sa rouille envenimée,

La calomnie en main, quelquefois te poursuit 2;
En cela, comme en tout, le ciel qui nous conduit,
Racine, fait briller sa profonde sagesse ;

Le mérite en repos s'endort dans la paresse;
Mais par les envieux un génie excité

Au comble de son art est mille fois monté:
Plus on veut l'affaiblir, plus il croît et s'élance.
Au Cid persécuté Cinna doit sa naissance;
Et peut-être ta plume aux censeurs de Pyrrhus
Doit les plus nobles traits dont tu peignis Burrhus.
Moi-même, dont la gloire ici moins répandue

Des pâles envieux ne blesse point la vue,

Mais qu'une humeur trop libre, un esprit peu soumis,
De bonne heure a pourvu d'utiles ennemis,

Je dois plus à leur haine, il faut que je l'avoue,
Qu'au faible et vain talent dont la France me loue.

Leur venin, qui sur moi brûle de s'épancher,
Tous les jours en marchant m'empêche de broncher 3.
Je songe, à chaque trait que ma plume hasarde,
Que d'un œil dangereux leur troupe me regarde;

Je sais sur leurs avis corriger mes erreurs,

Et je mets à profit leurs malignes fureurs.

1) Forme vive, familière à la langue latine; le concret pour l'abstrait, la personne pour la chose. 2) Je n'aime pas trop la calomnie dans la main de l'envie, ni l'envie qui poursuit Racine en attachant de la rouille à son nom.

y a là quelque chose de cette incohérence d'images qui n'est pas rare chez Boileau.

3) Un venin qui s'épanche sur quelqu'un, et qui l'empêche de broncher! Ces images semblent ne pas s'accorder très-bien. V. page 281, note 2.

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