Ces chants épars où j'ai laissé mon âme; Ils vivront peu; mais peut-être une femme, A leur douceur séduite par degré, Suivra de l'œil la page fugitive. . . . Puis tout à coup s'arrêtera pensive,
En répétant tout bas: Quoi! je mourrai !
EXTRAIT DE LA CHARTREUSE DE GRESSET).
POURQUOI de ma sage indolence Interrompez-vous l'heureux cours? Soit raison, soit indifférence, Dans une douce négligence, Et loin des Muses pour toujours, J'allais racheter en silence La perte de mes premiers jours. Transfuge des routes ingrates De l'infructueux Hélicon, Dans les retraites des Socrates J'allais jouir de ma raison, Et m'arracher, malgré moi-même, Aux délicieuses erreurs De cet art brillant et suprême Qui, malgré ses attraits flatteurs, Toujours peu sûr et peu tranquille, Fait de ses plus chers amateurs L'objet de la haine imbécile Des pédants, des prudes, des sots, Et la victime des cagots. Mais votre épître enchanteresse, Pour moi trop prodigue d'encens, Des douces vapeurs du Permesse Vient encore enivrer mes sens; Vainement j'abjurais la rime:
L'haleine légère des vents Emportait mes faibles serments. Aminte, votre goût ranime Mes accords et ma liberté : Entre Uranie et Terpsichore Je reviens m'amuser encore Au Pinde que j'avais quitté ; Tel, par sa pente naturelle, Par une erreur toujours nouvelle, Quoiqu'il semble changer son cours, Autour de la flamme infidèle Le papillon revient toujours.
Vous voulez qu'en rimes légères Je vous offre des traits sincères Du gîte où je suis transplanté; Mais comment faire en vérité? Entouré d'objets déplorables, Pourrais-je, de couleurs aimables, Égayer le sombre tableau
De mon domicile nouveau ? Y répandrai-je cette aisance, Ces sentiments, ces traits diserts, Et cette molle négligence
Qui, mieux que l'exacte cadence, Embellit les aimables vers?
4) Il a fallu supprimer plusieurs des développements de cette épître, sans se dissimuler combien cette profusion de détails et de rimes tient de près au caractère de Gresset, et qu'on ne saurait presque lui ôter un défaut sans lui arracher une beauté; mais, dans les coupures qu'on a faites, on a ménagé autant qu'on l'a pu la liaison des idées et le mouvement du style.
Je ne suis plus dans ces bocages Où, plein de riantes images, J'aimai souvent à m'égarer; Je n'ai plus ces fleurs, ces ombrages, Ni vous-même pour m'inspirer. Sur cette montagne empestée Où la foule toujours crottée Des prestolets provinciaux, Trotte sans cause et sans repos Vers ces demeures odieuses, Où règnent les longs arguments Et les harangues ennuyeuses, Loin du séjour des agréments; Enfin, pour fixer votre vue, Dans cette pédantesque rue Où trente faquins d'imprimeurs, Avec un air de conséquence, Donnent froidement audience A cent faméliques auteurs, Il est un édifice immense, Où, dans un loisir studieux, Les doctes arts forment l'enfance Des fils des héros et des dieux. Là, du toit du cinquième étage Qui domine avec avantage Tout le climat grammairien, S'élève un antre aérien, Un astrologique ermitage, Qui parait mieux dans le lointain Le nid de quelque oiseau sauvage Que la retraite d'un humain. C'est pourtant de cette guérite, C'est de ce céleste tombeau Que votre ami, nouveau Stylite, A la lueur d'un noir flambeau, Penché sur un lit sans rideau, Dans un déshabillé d'ermite, Vous griffonne aujourd'hui sans fard, Et peut-être sans trop de suite, Ces vers enfilés au hasard.
Et tandis que pour vous je veille, Longtemps avant l'aube vermeille,
Empaqueté comme un Lapon, Cinquante rats à mon oreille, Ronflent encore en faux-bourdon.
Si ma chambre est ronde ou carrée, C'est ce que je ne dirai pas: Tout ce que j'en sais sans compas, C'est que depuis l'oblique entrée De cette cage resserrée On peut former jusqu'à six pas. Une lucarne mal vitrée Près d'une gouttière livrée A d'interminables sabbats, Où l'université des chats, A minuit, en robe fourrée, Vient tenir ses bruyants états; Une table mi-démembrée, Près du plus humble des grabats; Six brins de paille délabrée, Tressés. sur de vieux échalas; Voilà les meubles délicats Dont ma chartreuse est décorée, Et que les frères de Borée Bouleversent avec fracas, Lorsque sur ma niche éthérée Ils préludent aux fiers combats Qu'ils vont livrer sur vos climats, Ou quand leur troupe conjurée Y vient préparer ces frimas Qui versent sur chaque contrée Les catarrhes et le trépas.
Je n'outre rien; telle est en somme La demeure où je vis en paix, Concitoyen du peuple gnome, Des sylphides et des follets; Telles on nous peint les tanières Où gisent, ainsi qu'au tombeau, Les pythonisses, les sorcières, Dans le donjon d'un vieux château; Ou tel est le sublime siége, D'où, flanqué des trente-deux vents, L'auteur de l'almanach de Liége Lorgne l'histoire du beau temps,
Et fabrique avec privilége Ses astronomiques romans. Sur ce portrait abominable On penserait qu'en lieu pareil Il n'est point d'instant délectable Que dans les heures du sommeil. Pour moi, qui d'un poids équitable Ai pesé des faibles mortels Et les biens et les maux réels, Qui sais qu'un bonheur véritable Ne dépendit jamais des lieux, Que le palais le plus pompeux Souvent renferme un misérable, Et qu'un désert peut être aimable Pour quiconque sait être heureux, De ce Caucase inhabitable
Je me fais l'Olympe des Dieux. Là, dans la liberté suprême, Semant de fleurs tous mes instants, Dans l'empire de l'hiver même Je trouve les jours du printemps. Calme heureux! plaisir solitaire ! Quand on jouit de ta douceur, Quel antre n'a pas de quoi plaire? Quelle caverne est étrangère Lorsqu'on y trouve le bonheur, Lorsqu'on y vit sans spectateur, Dans le silence littéraire, Loin de tout importun jaseur, Loin des froids discours du vulgaire Et des hauts tons de la grandeur? ... Jugez si toute solitude
Qui nous sauve de ces vains bruits, N'est point l'asile et le pourpris De l'entière béatitude: Que dis-je? est-on seul, après tout, Lorsque, touché des plaisirs sages, On s'entretient dans les ouvrages Des dieux de la lyre et du goût? Par une illusion charmante Que produit la verve brillante
De ces chantres ingénieux, Eux-mêmes s'offrent à mes yeux: Non sous ces vêtements funèbres, Non sous ces dehors odieux Qu'apportent du sein des ténèbres Les fantômes des malheureux, Quand, vengeurs de crimes célèbres, Ils montent aux terrestres lieux; Mais sous cette parure aisée, Sous ces lauriers vainqueurs du sort Que les citoyens d'Élysée
Sauvent du souffle de la mort. Bornant aux doux fruits de leurs plumes Ma bibliothèque et mes vœux, Je laisse aux savantas poudreux Ce vaste chaos de volumes, Dont l'erreur et les sots divers Ont infatué l'univers,
Et qui, sous le nom de science, Semés et reproduits partout, Immortalisent l'ignorance,
Les mensonges et le faux goût.
C'est ainsi que, par la présence De ces morts vainqueurs des destins, On se console de l'absence, De l'oubli même des humains; A l'abri de leurs noirs orages, Sur la cime de mon rocher, Je vois à mes pieds les naufrages Qu'ils vont imprudemment chercher. Pourquoi dans leur foule importune Voudriez-vous me rétablir? Leur estime ni leur fortune Ne me causent point un désir. Pourrais-je, en proie aux soins vul- gaires,
Dans la commune illusion, Offusquer mes propres lumières Du bandeau de l'opinion? Irais-je, adulateur sordide, Encenser un sot dans l'éclat,
Amuser un Crésus stupide, Et monseigneuriser un fat; Sur des espérances frivoles, Adorer avec lâcheté Ces chimériques fariboles De grandeur et de dignité; Et, vil client de la fierté, A de méprisables idoles Prostituer la vérité?
Irais-je, par d'indignes brigues, M'ouvrir des plaisirs fastueux, Languir dans de folles fatigues, Ramper à replis tortueux Dans de puériles intrigues, Sans oser être vertueux ? Irais-je pâlir sur la rime
Dans un siècle insensible aux arts, Et de ce rien qu'on nomme estime Affronter les nombreux hasards? Et d'ailleurs, quand la Poésie, Sortant de la nuit du tombeau, Reprendrait le sceptre et la vie Sous quelque Richelieu nouveau, Pourrais-je au char de l'immortelle M'enchaîner encor pour longtemps? Quand j'aurai passé mon printemps, Pourrais-je vivre encor pour elle? Car en vain au lyrique effort Fait pour nos bouillantes années, Dans de plus solides journées Voudrais-je me livrer encor; Persuadé que l'harmonie Ne verse ses heureux présents Que sur le matin de la vie, Et que, sans un peu de folie, On ne rime plus à trente ans, Suivrais-je un jour, à pas pesants, Ces vieilles muses douairières, Ces mères septuagénaires Du madrigal et des sonnets, Qui, n'ayant été que poëtes, Rimaillent encore en lunettes,
Et meurent au bruit des sifflets? Égaré dans le noir dédale
Où le fantôme de Thémis, Couché sur la pourpre et les lis, Penche sa balance inégale,
Et tire d'une urne vénale Des arrêts dictés par Cypris, Irais-je, orateur mercenaire Du faux et de la vérité, Chargé d'une haine étrangère, Vendre aux querelles du vulgaire Ma voix et ma tranquillité; Et, dans l'antre de la chicane, Aux lois d'un tribunal profane Pliant la loi de l'Immortel, Par une éloquence anglicane Saper et le trône et l'autel?
Des mortels j'ai vu les chimères; Sur leurs fortunes mensongères J'ai vu régner la folle erreur; J'ai vu mille peines cruelles Sous un vain masque de bonheur, Mille petitesses réelles
Sous une écorce de grandeur, Mille lâchetés infidèles
Sous un coloris de candeur,
Et j'ai dit au fond de mon cœur: Heureux qui, dans la paix secrète D'une libre et sûre retraite, Vit ignoré, content de peu, Et qui ne se voit point sans cesse Jouet de l'aveugle déesse, Ou dupe de l'aveugle dieu!
A la sombre misanthropie Je ne dois point ces sentiments; D'une fausse philosophie Je hais les vains raisonnements; Une indifférence suprême, Voilà mon principe et ma loi; Tout lieu, tout destin, tout système, Par là devient égal pour moi ; Où je vois naître la journée,
Là, content, j'en attends la fin, Prêt à partir le lendemain, Si l'ordre de la destinée
Vient m'ouvrir un nouveau chemin. Sans opposer un goût rebelle A ce domaine souverain,
Je me suis fait du sort humain Une peinture trop fidèle ; Souvent dans les champêtres lieux Ce portrait frappera vos yeux. En promenant vos rêveries Dans le silence des prairies, Vous voyez un faible rameau, Qui, par les jeux du vague Eole Enlevé de quelque arbrisseau, Quitte sa tige, tombe, vole Sur la surface d'un ruisseau :
Là, par une invincible pente, Forcé d'errer et de changer, Il flotte au gré de l'onde errante, Et d'un mouvement étranger; Souvent il paraît, il surnage, Souvent il est au fond des eaux; 11 rencontre sur son passage Tous les jours des pays nouveaux : Tantôt un fertile rivage Bordé de coteaux fortunés; Tantôt une rive sauvage Et des déserts abandonnés: Parmi ces erreurs continues, Il fuit, il vogue jusqu'au jour Qui l'ensevelit à son tour
Au sein de ces mers inconnues Où tout s'abime sans retour1.
LA trompette a jeté le signal des alarmes; Aux armes et l'écho répète au loin: Aux armes ! Dans la plaine, soudain les escadrons épars, Plus prompts que l'aquilon, fondent de toutes parts; Et sur les flancs épais des légions mortelles, S'étendent tout-à-coup comme deux sombres ailes. Le coursier, retenu par un frein impuissant, Sur ses jarrets pliés s'arrête en frémissant.
4) Voilà, j'en conviens, de beaux vers, mais une étrange philosophie. L'homme est appelé par la Providence à quelque chose de mieux que cette indolence égoïste. Se soumettre à la volonté divine et imposer la sienne à la nature extérieure, telle est sa double vocation, dont un poëte a nettement exprimé la seconde moitié lorsqu'il a dit:
<«<< Et mihi res, non me rebus, submittere conor.»>
Il faut se garder de confondre la résignation, fruit de l'amour, application de l'énergie morale, action de l'âme, avec cet abandon où tout est passif, et qui n'a du désintéressement que l'apparence. Par cela seul que la destination de l'homme est d'aimer, la résistance aux choses, l'action sur les choses, sont les lois de sa vie.
Du reste le besoin de repos est dans le fond de l'homme à côté du besoin d'action, et, comme vérité de fait, se prête fort bien à la poésie.
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