Dans les champs que l'hiver désole Flore vient rétablir sa cour;
L'Alcyon fuit devant Eole;
Mais sitôt que l'Amour s'envole,
Il ne connaît plus de retour.
ODE SUR LA MORT DE J. B. ROUSSEAU1.
QUAND le premier chantre du monde 2 Expira sur les bords glacés Où l'Ebre effrayé dans son onde Reçut ses membres dispersés, Le Thrace, errant sur les montagnes, Remplit les bois et les campagnes Du cri perçant de ses douleurs : Les champs de l'air en retentirent, Et dans les antres qui gémirent, Le lion répandit des pleurs.
Des vastes rochers de Rhodope, Que son art fit souvent mouvoir, Jusqu'aux barrières de l'Europe, Tout fut soumis à son pouvoir. Il donna des mœurs à la terre, Étouffa le feu de la guerre, Réunit les humains tremblants: Siècle heureux où l'homme sauvage Honorait d'un égal hommage Les dieux, les rois et les talents.
La France a perdu son Orphée... Muses, dans ce moment de deuil, Élevez le pompeux trophée Que vous demande son cercueil. Laissez, par de nouveaux prodiges,
D'éclatants et dignes vestiges
D'un jour marqué par vos regrets. Ainsi le tombeau de Virgile Est couvert du laurier fertile Qui par vos soins ne meurt jamais.
D'une brillante et triste vie ROUSSEAU quitte aujourd'hui les fers; Et, loin du ciel de sa patrie, La mort termine ses revers. D'où ses maux prirent-ils leur source? Quelles épines, dans sa course, Étouffaient les fleurs sous ses pas? Quels ennuis! quelle vie errante! Et quelle foule renaissante D'adversaires et de combats !
Vous, dont l'inimitié durable L'accusa de ces chants affreux Qui méritaient, s'il fut coupable, Un châtiment plus rigoureux; Dans le sanctuaire suprême, Grâce à vos soins, par Thémis même Son honneur est encor terni. J'abandonne son innocence. Que veut de plus votre vengeance? Il fut malheureux et puni.
Jusques à quand, mortels farouches, Vivrons-nous de haine et d'aigreur?
1) Ce poëte célèbre, accusé d'avoir écrit des couplets criminels, fut condamné
à un bannissement perpétuel.
Préterons-nous toujours nos bouches Au langage de la fureur? Implacable dans ma colère, Je m'applaudis de la misère De mon ennemi terrassé ; Il se relève, je succombe,
Et moi-même à ses pieds je tombe, Frappé du trait que j'ai lancé.
Songeons que l'imposture habite Parmi le peuple et chez les grands, Qu'il n'est dignité ni mérite
A l'abri de ses traits errants; Que la calomnie écoutée
A la vertu persécutée
Porte souvent un coup mortel,
Et poursuit, sans que rien l'étonne, Le monarque sous la couronne, Et le pontife sur l'autel.
Du sein des ombres éternelles S'élevant au trône des Dieux, L'envie offusque de ses ailes Tout éclat qui frappe ses yeux. Quel ministre, quel capitaine, Quel monarque vaincra sa haine, Et les injustices du sort?
Fut oublié jusqu'au tombeau. Il expire: le charme cesse, Et tous les peuples de la Grèce Entre eux disputent son berceau.
Le Nil a vu sur ses rivages Les noirs habitants des déserts Insulter, par leurs cris sauvages, L'astre éclatant de l'univers. Cris impuissants, fureurs bizarres ! Tandis que ces monstres barbares Poussaient d'insolentes clameurs, Le dieu, poursuivant sa carrière, Versait des torrents de lumière Sur ses obscurs blasphémateurs.
Favoris, élèves dociles De ce ministre d'Apollon, Vous à qui ses conseils utiles Ont ouvert le sacré vallon: Accourez, troupe désolée, Déposez sur son mausolée Votre lyre qu'il inspirait: La mort a frappé votre maître, Et d'un souffle a fait disparaitre Le flambeau qui vous éclairait.
Et vous, dont la fière harmonie Égala ses superbes sons, Qui reviviez dans son génie, Formé par vos seules leçons; Mânes d'Alcée et de Pindare, Que votre suffrage répare La rigueur de son sort fatal: Dans la nuit du séjour funèbre Consolez son ombre célèbre, Et couronnez votre rival.
LEFRANC DE POMPIGNAN.
ENFIN je te revois encore, Vaste mer abîme azuré!
Toi que depuis longtemps implore Mon vers par toi seule inspiré. Oui, tes bruits seuls et leur magie Peuvent réveiller l'énergie
Et la flamme de mes transports; Et ma lyre, longtemps muette, Ne répond aux vœux du poëte Qu'en l'interrogeant sur tes bords.
Le Mont-Blanc sur ses hautes cimes A souvent arrêté mes yeux : Combien me paraissaient sublimes Ses trois sommets voisins des cieux! J'aimais la terreur qui l'assiége, J'aimais la couronne de neige Qui de son front ceint la fierté; Mais, ô mer terrible et sauvage, Combien me ravit davantage Ta menaçante immensité!
Redoutable Océan! rends-moi tous tes rivages! Livre à mes yeux tes flots, empire des orages! Ton sein s'ouvre sans cesse à nos mille vaisseaux ; Mais nos flottes, s'armant d'une impuissante audace, Comme un trait fugitif, sans y laisser de trace, Effleurent ton domaine et sillonnent tes eaux.
L'homme ne marche point dans des routes humides ; Tes orageux sentiers et tes plaines liquides Ne souffrent pas longtemps ses pas injurieux : Rejeté loin de toi, ce despote éphémère, Comme un flocon de neige ou d'écume légère, Du sein de la tempête est lancé dans les cieux.
Sur la terre, où l'homme respire,
Il règne au moins par des débris;
1) Imité de lord Byron. Childe Harold, Ch. IV. 2) Syntaxe peu exacte.
Mais de ton indomptable empire Ses pas destructeurs sont proscrits'. S'il y veut marquer son passage, Tu te lèves; et le naufrage Fait justice de son orgueil: Et, jouet de tes vagues sombres, Il descend dans leurs vastes ombres Sans épitaphe et sans cercueil.
Tes rivages sont des royaumes Où trône, autel, tout a changé ; Et de leurs peuples, vains fantômes! Le sort dès longtemps t'a vengé. Ils ne pèsent plus sur tes rives : Tes vagues reposent oisives Aux bords où Sidon a régné ; Et de porter les vastes flottes Que guidaient ses hardis pilotes Ton orgueil n'est plus indigné.
Eh! que sont aujourd'hui Rome, Athène et Carthage? Saturne a, sous ses pieds, foulé leur héritage, Par vingt peuples divers tour à tour disputé : Toi, tu ne changes point; et ton onde sauvage Toujours des mêmes flots vient ronger le rivage Qui voit la servitude où fut la liberté.
Ainsi que les États les monts même s'affaissent : Sous le sceptre des ans les Appennins s'abaissent. Trente siècles, suivis de la destruction,
Ont imprimé leurs pas sur ces sommets arides ; Mais le temps sur ton front n'a point laissé de rides, Tu parais tel qu'au jour de la création 2.
4) Vers d'une extrême dureté. 2) «On aime à rapprocher le plus pur des << sentiments de l'âme, la religion, avec le spectacle de cette superbe mer, <«< quelle l'homme jamais ne peut imprimer sa trace. La terre est travaillée par lui, <«<les montagnes sont coupées par ses routes, les rivières se resserrent en canaux «pour porter ses marchandises; mais si les vaisseaux sillonnent un moment les «<ondes, la vague vient effacer aussitôt cette légère marque de servitude, et la mer «<reparaît telle qu'elle fut au premier jour de la création.» Mme de Staël.
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