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On voit que la structure de la France n'a rien de l'unité homogène qu'on se plaît parfois à lui attribuer. Le Massif central, par exemple, ne peut être considéré comme un noyau autour duquel se serait formé le reste de la France. De même que la France touche à deux systèmes de mer, elle participe de deux zones différentes par leur évolution géologique. Sa structure montre à l'Ouest une empreinte d'archaïsme; elle porte, au contraire, au Sud et au Sud-Est, tous les signes de jeunesse. Ses destinées géologiques ont été liées pour une part à l'Europe centrale, pour l'autre à l'Europe méditerranéenne.

V

HARMONIE

ET

ÉQUILIBRE

DES PARTIES

Mais l'individualité géographique n'exige pas qu'une contrée soit construite sur le même plan. A défaut d'unité dans la structure, il peut y avoir harmonie vivante; une harmonie dans laquelle s'atténuent les contrastes réels et profonds qui entrent dans la physionomie de la France.

Cette harmonie est en effet réalisée. Elle tient surtout à la répartition suivant laquelle se coordonnent, en France, les principales masses minérales'. Les massifs anciens avec leurs terres siliceuses et froides, les zones calcaires au sol chaud et sec, les bassins tertiaires avec la variété de leur composition, se succèdent dans un heureux agencement. Les massifs ne sont pas, comme dans le Nord-Ouest de la Péninsule ibérique, concentrés en bloc. L'Ardenne, l'Armorique, le Massif central, les Vosges, alternent avec le bassin parisien, celui d'Aquitaine, celui de la Saône. En vertu de cette disposition équilibrée, aucune partie n'est en état de rester confinée à part dans un seul mode d'existence.

Partout, sur la périphérie des différents groupes entre montagne et plaine, terres froides et terres chaudes, bocage et campagne, bon et mauvais pays, éclatent des contrastes dont s'est emparé et qu'exprime avec sûreté le vocabulaire populaire. Si les hommes ont saisi ces différences, c'est qu'elles les touchaient de près, qu'elles se traduisaient en réalités pratiques. Ces

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- Les

1. La qualité des sols tient à leur composition minéralogique. Les roches primitives et primaires (granits et schistes) engendrent par leur décomposition des sols pauvres en chaux et en acide phosphorique, plus favorables, tant qu'ils ne sont pas amendés, aux bois et aux landes qu'aux cultures. Les terrains de l'époque secondaire, parmi lesquels les calcaires dominent, sont souvent trop secs (Causses, Champagnes), mais généralement assez riches; parmi eux, le calcaire coquillier (Lorraine) et le lias sont regardés par les agronomes comme donnant des terres «< naturellement complètes >>. terrains tertiaires se distinguent par une grande variété, qui est avantageuse soit pour la formation des sources et le mélange des cultures, soit pour l'abondance des matériaux (argile plastique, calcaire et gypse des environs de Paris). Quelques sols, il est vrai, sont très pauvres (sables de Fontainebleau, argile à silex); mais d'autres sont très fertiles, comme les molasses d'Aquitaine; ou privilégiés par les multiples ressources qu'ils offrent à l'homme, comme le calcaire grossier parisien. Les alluvions fluviatiles ou marines doivent souvent une grande fertilité au mélange d'éléments dont elles se composent (Val de Loire; Ceinture dorée en Bretagne). Nous aurons maintes fois dans le cours de ce travail, à mentionner ces terrains et d'autres encore: nous chercherons toujours à en expliquer les caractères; mais pour les détails qui ne sauraient trouver place ici, le lecteur pourra se référer à la Géologie agricole d'E. Risler (Paris, Berger-Levrault, 1884-1897, 4 vol.), et notamment au chapitre xix du tome quatrième (Terres complètes et terres incomplètes).

réalités, c'était pour eux la manière de se nourrir, de se loger, de gagner sa
vie. Suivant que le sol est calcaire ou argileux, pauvre ou riche en substances
fertilisantes, suivant que
l'eau se ramasse en sources, ou court en mille filets
à la surface, l'effort de l'homme doit se concerter autrement. Ici il se livrera
aux cultures de céréales; là il combinera avec une agriculture plus maigre
un peu d'élevage, ou un peu d'industrie; ailleurs il saura pratiquer l'art de
diriger et de rassembler ces eaux diffuses qui semblaient vouloir échapper à
son action. Tout cela s'exprimera pour lui dans un nom : celui d'un « pays »
qui souvent, sans être consacré par une acception officielle, se maintiendra,
se transmettra à travers les générations par les paysans, géologues à leur
manière. Le Morvan, l'Auxois, la Puisaye, la Brie, la Beauce et bien d'autres
correspondent à des différences de sol.

Ces pays sont situés, les uns par rapport aux autres, de façon à pouvoir recourir aux offices d'un mutuel voisinage. Le bon pays est tout au plus à quelques jours de marche du pays plus déshérité, dont l'habitant a besoin d'un supplément de gains et de subsistances. Celui-ci peut trouver à sa portée les ressources qu'en d'autres contrées il faudrait aller chercher bien loin, avec moins de certitude, avec plus de risques. La France est une terre qui semble faite pour absorber en grande partie sa propre émigration. Une multitude d'impulsions locales, nées de différences juxtaposées de sol, y ont agi de façon à mettre les hommes à même de se fréquenter et de se connaître, dans un horizon toutefois restreint.

Plus on analyse le sol, plus on acquiert le sentiment de ce qu'a pu être en France la vie locale. Aussi des courants locaux, facilement reconnaissables encore aujourd'hui, se sont formés spontanément à la faveur de la variété des terrains. Leurs buts sont rarement éloignés: marchés, foires ou fêtes dans le voisinage, tournées périodiques aux époques de morte-saison, enrôlements au temps des moissons. Mais ces dates attendues et espérées prennent place dans les préoccupations ordinaires de la vie. Les différences qui sont mises par là en rapport ne sont pas de celles qui ouvrent des horizons lointains; ce sont des contrastes simples et familiers, qui s'expriment par dictons, proverbes ou quolibets. Malgré tout il en résulte une ventilation salubre. On est moins étranger l'un à l'autre. Il se forme un ensemble d'habitudes dont s'est visiblement imprégnée la psychologie du paysan de France.

VI

PASSAGES

DE CIRCULATION GÉNÉRALE

Des courants généraux se sont fait jour à travers la foule des courants locaux. Car la vie générale a trouvé aussi des facilités dans la structure de la contrée. Elle s'est frayé des voies à la faveur des seuils qui séparent les massifs, et des dépressions qui longent les zones de plissement. La vallée du Rhône, sur le bord extérieur des Alpes, le couloir du haut Languedoc sur le front septentrional des Pyrénées, rentrent dans cette seconde catégorie. A la première appartiennent les seuils qui, entre les Vosges

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EXEMPLE DE DISLOCATION

Butte

laine).

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VERTICALE

utte de grès à Saint-Germain-sur-Ille (Ille-et-ViDes couches alternantes de grès blanchâtres et de schistes noirs ont été disloquées par un mouvement vertical. On distingue au centre une surface miroitante, qui est le plan de faille. Le compartiment à droite de ce plan est soulevé par rapport au compartiment de gauche, comme le montre la position respective des lits schisteux de part et d'autre. Les couches ont été légèrement rebroussées le long du plan de faille. L'érosion a fait disparaitre la dénivellation. Phot, de M. de Martonne (Fig. 5).

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Comprise entre le Gresson et le Rossberg (1196 met.) qu'on aperçoit à l'arrière-plan vers l'est, cette haute vallée

vosgienne a été burinée et élargie par les glaciers: ses flancs s'écartent; des moraines accidentent le fond, et sur le seuil de la vallée, par 871 met. d'altitude, brille un petit lac; lac des Perches pour les Lorrains, des Bærs pour les Alsaciens, Sternsee de la Carte d'état-major (Feuille n° 100, Lure). Phot. communiquée par M. Vélain (Fig. 6).

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E CHER EN AMONT DE MONTLUCON.

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Tandis que la surface du plateau a acquis une horizontalité l'activité des rivières et les force à creuser leur lit. Le Cher s'est encaissé, à 110 mètres de profondeur relative, dans les anfractuosités d'une vallée où ne court pas même un sentier. Thot communiquée par M. Vélain (Fig. 7).

Le presque parfaite, les flancs sont entaillés par le travail des cant. Un changement du niveau de base a retaile

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L

A VILAINE, ENTRE RENNES ET REDON, traverse une série de bandes de grès orientées de l'est à l'ouest. A mi-route, vers Saint-Malo de Phily, elle s'est encaissée de 70 mètres environ. Les roches font saillie çà

et là, sous forme de blocs, d'escarpements ou de promontoires nus contrastant avec l'aspect bocager des

alentours.

Phot. de M. de Martonne (Fig. 8).

et le Morvan (Bourgogne), entre le Limousin et l'Armorique (Poitou), séparent les anciens massifs.

Si remarquables dans l'économie générale de la contrée, ces seuils ne sont en réalité que les parties surbaissées de rides souterraines qui rattachent ici les granits des Vosges à ceux du Morvan, là ceux du Massif central à ceux de la Gâtine vendéenne. Les dépôts sédimentaires qui les recouvrent dissimulent cette connexion, que trahissent seulement, en Bourgogne comme en Poitou, quelques pointements isolés au fond des vallées. Il aurait suffi que l'érosion, qui sur tant d'autres points a débarrassé les terrains primitifs de leur couverture sédimentaire, poussât un peu plus avant son œuvre pour que la liaison granitique qui existe souterrainement se poursuivit au grand jour. Qu'en serait-il résulté pour les communications, privées de la facilité que les dépôts calcaires ménagent à la circulation? Sans doute les relations entre les hommes. seraient devenues plus malaisées. Peut-être les voies du commerce eussent-elles pris d'autres directions. Assurément les séparations seraient restées plus fortes entre le Nord et le Sud. Cela n'a pas eu lieu; et l'on voit ainsi comment une circonstance, qu'on peut qualifier de secondaire au point de vue de l'évolution géologique, est devenue capitale au point de vue de la géographie humaine.

Mais une réflexion doit nous retenir de pousser plus loin. Les rapports dont il vient d'être parlé supposent dans une région un certain degré de vie générale. Or, comment naît et s'éveille une vie générale, c'est ce que nous n'avons pas examiné encore. Nous sommes amenés à cette question.

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