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Mais les formes de terrain ne sont qu'une partie du spectacle étalé sous nos yeux. La végétation et les œuvres de l'homme influent aussi, et combien ! sur la physionomie des paysages; elles ajoutent de nouvelles touches au tableau. Là aussi s'offre matière à problèmes. Les cultures et les établissements humains ne sont pas groupés au hazard. L'état du manteau végétal est révélateur de changements qui intéressent la vie tout entière de la contrée. La tâche la plus élevée du géographe consiste à démêler l'effort incessant par lequel la nature animée cherche à s'adapter à des conditions perpétuellement sujettes à se modifier.

Les données, qui faisaient défaut autrefois pour ce travail d'interprétation, se sont maintenant multipliées. Elles proviennent de contrées diverses, et elles tirent de ces diversités une valeur comparative, dont la science géographique a déjà fait un usage fécond. Elle a pu dès lors s'acheminer d'un pas plus ferme dans la recherche des causes.

Et par là un attrait nouveau s'attache à la vue ou à la représentation directe des lieux. Le plaisir de philosopher se mêle à celui de voir. Un regard averti saura ainsi trouver de l'intérêt dans des passages qui paraîtraient peulêtre insignifiants ou médiocres à un touriste ou même à un artiste. En discernant les éléments qui le composent, il comprendra mieux ce qui se cache parfois de variété originelle sous l'apparente uniformité des surfaces. Si reculés que soient dans le passé, à la mesure de notre chronologie humaine, les cycles d'évolution qui renouvellent les surfaces, ils y impriment des traces plus durables qu'une observation superficielle ne serait tenté de l'admettre; il subsiste dans l'état présent plus d'un reste des états antérieurs. Celui qui s'est mis en état de déchiffrer ces indices, a la satisfaction de sentir un enchaînement et un travail progressif dans des cas où la nature serait muette ou insignifiante pour d'autres.

Telles sont quelques-unes des idées dont on s'est inspiré dans le choix et l'explication de ces images. Je souhaite que cette édition illustrée contribue ainsi à intéresser un plus grand nombre de personnes à l'étude du sol de la France.

A défaut de la vue directe des choses, la photographie qui emprunte directement à la nature des formes, en attendant qu'elle lui emprunte aussi les couleurs, est un précieux auxiliaire. Il faut, il est vrai, qu'elle soit pratiquée dans un esprit géographique, par des personnes sachant épier la nature. A cette condition, elle a ce mérite remarquable de pouvoir prendre sur le fait les combinaisons les plus expressives, saisir les perspectives suivant lesquelles les traits se composent le mieux. Elle excelle à fixer pour l'étude telle vision fugitive qu'il nous arrive, par exemple, d'apercevoir quelquefois de la fenêtre d'un wagon avec le regret qu'elle échappe !

Ce n'est donc point une dette de gratitude banale que j'ai contractée envers ceux qui m'ont gracieusement fourni la matière de la plupart de ces illustrations. Si le lecteur y trouve un élément d'intérêt, une valeur de documents, je le prie d'en rapporter en grande partie le mérite à ces collaborateurs, dont je me plais à rappeler ici les noms: à mes collègues, MM. Boutry, Blayac, agrégés de l'Université, M. Jean Brunhes, professeur de géographie à l'université de Fribourg (Suisse), M. Demangeon, professeur de géographie à l'université de Lille, M. Flahaut, professeur de botanique à l'université de Montpellier, M. Gallois, professeur de géographie à la Faculté de l'université de Paris, M. Girardin, agrégé de l'Université, M. Haug, professeur de géologie à la Sorbonne, M. Hitier, professeur à l'Institut agronomique, M. Kilian, professeur de géologie à l'université de Grenoble, M. de Martonne, professeur de géographie à l'université de Lyon, M. Vacher, maître de conférences de géographie à l'université de Rennes, M. Vélain, professeur de géographie physique à la Faculté des sciences de l'université de Paris. Je dois aussi des remerciements tout particuliers à M. H. Berge, à M. le D' Bucher, directeur de la Revue alsacienne illustrée, à M. L. Fabre, inspecteur des forêts.

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AVANT-PROPOS

L

'HISTOIRE d'un peuple est inséparable de la contrée qu'il habite. On ne peut se représenter le peuple grec ailleurs qu'autour des mers helléniques, l'Anglais ailleurs que dans son ile, l'Américain ailleurs que dans les vastes espaces des États-Unis. Comment en est-il de même du peuple dont l'histoire s'est incorporée au sol de la France, c'est ce qu'on a cherché à expliquer dans ces pages.

Les rapports entre le sol et l'homme sont empreints, en France, d'un caractère original d'ancienneté, de continuité. De bonne heure les établissements humains paraissent y avoir acquis de la fixité; l'homme s'y est arrêté parce qu'il a trouvé, avec les moyens de subsistance, les matériaux de ses constructions et de ses industries. Pendant de longs siècles il a mené ainsi une vie locale, qui s'est imprégnée lentement des sucs de la terre. Une adaptation s'est opérée, grâce à des habitudes transmises et entretenues sur les lieux où elles avaient pris naissance. Il y a un fait que l'on a souvent l'occasion de remarquer en notre pays, c'est que les habitants se sont succédé de temps immémorial aux mêmes endroits. Les niveaux de sources, les roches calcaires propices à la construction et à la défense, ont été dès l'origine des nids d'attraction, qui n'ont guère été abandonnés dans la suite. On voit, à Loches, le château des Valois s'élever sur des substructions romaines, lesquelles surmontent la roche de tuffeau percée de grottes, qui ont pu être des habitations primitives.

L'homme a été, chez nous, le disciple longtemps fidèle du sol. L'étude de ce sol contribuera donc à nous éclairer sur le caractère, les mœurs et les tendances des habitants. Pour aboutir à des résultats précis, cette étude doit être raison

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née; c'est-à-dire qu'elle doit mettre en rapport l'aspect que présente le sol actuel avec sa composition et son passé géologique. Ne craignons pas de nuire ainsi à l'impression qui s'exhale des lignes du paysage, des formes du relief, du contour des horizons, de l'aspect extérieur des choses. Tout au contraire. L'intelligence des causes en fait mieux goûter l'ordonnance et l'harmonie.

J'ai cherché à faire revivre, dans la partie descriptive de ce travail, une physionomie qui m'est apparue variée, aimable, accueillante. Je voudrais avoir réussi à fixer quelque chose des impressions que j'ai éprouvées en parcourant en tous sens cette contrée profondément humanisée, mais non abâtardie par les œuvres de la civilisation. L'esprit y est sollicité par la réflexion, mais c'est au spectacle tantôt riant, tantôt imposant de ces campagnes, de ces monts et de ces mers qu'il est sans cesse ramené comme à une source de causes.

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