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mesure des détails qui sont partout, et quelquefois aussi il glisse en quelques lignes sur des points neufs et peu connus. Il y aurait injustice, cependant, à se montrer trop sévère; car il y a plus d'une page de cette monographie qui trouverait fort utilement sa place dans un travail général. On y rencontre d'ailleurs un respect du passé, de la ruine et du cartulaire, une bonne foi de recherches qui commande l'indulgence. Si quelques noms cités çà et là, au bas des pages, ne rappelaient de temps en temps le XIXe siècle, on croirait lire une édifiante chronique écrite à Port-Royal ou à Saint-Germain-des-Prés, dans une cellule sans feu, entre vêpres et matines. On est parfois en pleine légende, et l'auteur se préoccupe plus volontiers des austérités de saint Vital que de l'organisation de la commune. C'est là une manière d'autrefois, qui a sa nouveauté, quelquefois même un certain charme, et, en fait de critique historique, j'aime encore mieux les gens qui croient que ceux qui inventent. M. Desroches rappelle la pieuse science et la méthode des bénédictins, mais sans exclusion, sans réticence. Il se montre sévère, même pour l'église, quand la vérité le demande. Il se montre sévère surtout à l'égard des systèmes modernes. Le catholicisme, à son sens, n'a point trouvé auprès de quelques écrivains, même auprès de ceux qui sont le plus en crédit, la justice, les hommages qu'il mérite. M. Desroches, ici, a peut-être raison, car à force de voir partout l'élément romain, l'élément populaire, nous avons oublié trop souvent l'élément chrétien, qui certes a bien eu aussi son influence active et bienfaisante dans le pénible enfantement de la civilisation et la difficile conquête des libertés modernes.

Une nouvelle édition des poésies d'Hégésippe Moreau vient de paraître (1), augmentée de plusieurs pièces inédites et précédée d'une notice biographique. La triste destinée de l'auteur n'est pas le seul titre qu'offrent ces poésies à un sérieux intérêt. Il règne dans les chansons et les élégies de Moreau une inspiration fraîche et naïve qui doit suffire pour leur assurer de nombreux suffrages. Après avoir lu la Fermière et la Voulzie, on reste convaincu que le talent qui a rêvé ces chants aimables, fortifié par le travail, par de courageux efforts, aidé surtout par une vie calme, eût pu arriver à une heureuse et riche maturité. Tel qu'il est, offrant des chants imparfaits à côté de chants achevés, des réminiscences à côté d'abondantes et vives inspirations, le Myosotis ne peut être accepté comme l'expression définitive du talent de Moreau; assurément ce recueil doit être lu avec attention, comme le témoignage d'une réelle vocation de poète.

(1) Un vol. in-18°, chez Masgana, galerie de l'Odéon.

F. BONNAIRE.

L'AMITIÉ DU ROI.

Quelques semaines avant la mort de la reine-mère Anne d'Autriche, la faculté déclara que, les progrès du cancer ne laissant aucun espoir, il n'y avait plus qu'à donner à la malade des potions assoupissantes, afin de la mener de vie à trépas par le plus doux chemin qu'il fût possible. M. Vallot, le premier médecin du roi, fit administrer tant de pavots, que la reine demeura plusieurs jours de suite comme en léthargie; mais, au bout de cela, elle sortit de ce mauvais sommeil pour crier et se lamenter plus fort qu'auparavant, et donna nuit et jour tant de peines à sa maison, que tout le monde en était harassé. Les femmes se donnaient à tous les diables; parmi ceuxmêmes qui devaient perdre le plus à la mort de la vieille reine, couraient à demi-voix ces tristes rumeurs auxquelles on reconnaît que les moribonds tardent trop à rendre leur ame pour laisser derrière eux aucuns regrets. La première femme de chambre, qui se nommait Mme Beauvais, était la seule dont la patience n'eût point fait de fauxpas; on n'aurait point osé murmurer devant elle, car on la savait aussi implacable pour les méchans serviteurs qu'elle était chaude amie pour ceux qui partageaient son zèle et son dévouement. A force de se creuser l'esprit à chercher des soulagemens aux douleurs de la reine-mère, Mme Beauvais s'imagina un matin que la musique était propre à faire oublier le mal en charmant les oreilles, cette idée plut

TOME XX. AOUT.

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à la malade. Le confesseur eût préféré qu'elle offrît à Dieu ses souffrances; mais on jugea qu'elle en avait de reste à offrir, et l'on appela messieurs de la symphonie du roi.

En ce temps-là, les petits violons, qui n'étaient encore qu'au nombre de douze, étaient déjà commandés par le fameux Lully. Malgré leur envie de bien faire et le soin qu'ils prirent de jouer leur musique le plus doucement qu'ils purent, ils n'allèrent pas au bout du premier morceau sans que la reine-mère leur dît de finir, et qu'ils lui fendaient la tête avec leur vacarme. La symphonie se retira fort triste de son peu de succès; Me Beauvais tenait pourtant à son expédient; elle jugea que si ce grand nombre d'instrumens ne valait rien à une personne malade, un seul musicien faisant moins de bruit réussirait mieux. Or, le baron de Beauvais, son fils, avait pour ami et compagnon un petit gentilhomme nommé Fromentel, qui chantait bien, et s'accompagnait à ravir du luth ou de la guitare. La reine ayant agréé la proposition d'entendre ce jeune homme, on alla chercher Fromentel.

Jean de Bethoulat, chevalier de Fromentel, était un estimable garçon qui avait le malheur d'être brouillé mortellement avec la fortune. On le prenait souvent pour un Espagnol, tant il était brun de: visage; ses traits n'avaient rien de beau, mais sa taille était admirablement bien faite, et il avait les talens, les manières et les complaisances qu'on aime en compagnie. Le trait dominant de son caractère était une probité fière, qui non-seulement ne lui permettait d'employer aucun moyen malhonnête de se produire, mais qui l'empêchait même d'avouer sa misère à personne.

Il n'était pas rare alors de voir de ces gentilshommes sans argent, pour qui l'éclat de leur nom et le respect d'eux-mêmes n'étaient qu'un embarras de plus et une chance de mourir de faim, avec une réputation sans tache. Ne voulant point s'abaisser au négoce ni à des. états de roture, ils n'avaient qu'une avenue ouverte à l'ambition: c'était la cour et la faveur du roi; mais alors Louis XIV, âgé de vingtcinq ans, vivait un peu au dedans avec ses maîtresses, et ne prenait pas encore ce soin vigilant qu'il eut plus tard de tendre une main secourable aux gens de la noblesse qui étaient dans la peine. Fromentel, sans aucun parent et ne possédant pas à la lettre un sou vaillant, n'avait pour amis et soutiens que Me Beauvais et son fils, qui, le logeaient chez eux et pourvoyaient à ses besoins en usant de ménagemens infinis pour ne point blesser sa délicatesse.

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Lorsqu'on dit à Fromentel que la reine-mère souhaitait de l'entendre, il n'en éprouva point de frayeur, car il avait de l'assurance raisonnablement. On ne voit pas d'un bon œil les gens timides en compagnie, soit qu'on ne veuille pas se fatiguer à découvrir un mérite qui se cache, soit qu'on prenne la timidité pour le sentiment d'un mauvais esprit qui se trahit. Fromentel n'avait pas ce fâcheux défaut qui nuit à tant d'autres; mais dans son caractère étaient bien des empêchemens à son bonheur, comme on le verra par cette histoire. Notre jeune homme mit donc un habit que lui prêta le petit Beauvais, pour paraître devant la reine-mère, accorda son meilleur luth, et monta dans un carrosse qui l'était venu chercher. La première femme de chambre le prit par la main, et l'introduisit auprès du lit de la malade. Anne d'Autriche, appuyée sur des coussins, poussait des gémissemens à fendre l'ame, et sa figure, étrangement bouleversée par les douleurs, offrait un spectacle horrible à voir. Fromentel se retira d'abord au fond de la chambre, et préluda sur son luth; puis il chanta de ces romances d'Espagne, qui ne ressemblent à nulle autre musique. Outre qu'il s'en acquittait le mieux du monde, et que sa voix avait beaucoup d'agrément, ces chansons eurent un prix particulier pour les oreilles de la vieille reine, qui reconnut les airs de son pays. Elle se rappela son enfance, et le temps heureux où Dieu lui donnait la santé avec la jeunesse; elle versa des larmes dont la plus grosse part venait d'un retour sur les maux qui l'accablaient, mais il y en eut aussi quelques-unes données aux souvenirs que les chansons réveillaient. Quand Fromentel essaya d'autres airs non moins beaux et plus à la mode, la reine le pria de retourner aux boleros et aux seguidilles. Une grande heure s'écoula ainsi, pendant laquelle les souffrances éprouvèrent un relâche qui se prolongea encore après le départ du musicien.

Il faisait bon tre des amis de Mme Beauvais; aussitôt que Fromentel se fut retiré, la bonne dame parla de lui favorablement à la reinemère, et demanda si elle ne le voulait pas récompenser de l'adoucissement qu'il avait donné à ses maux. Anne d'Autriche promit qu'elle ferait compter à ce jeune homme une somme de six cents livres par son trésorier, et commanda qu'on tint l'ordonnance prête, pour la signer le lendemain, quand le musicien reviendrait. Elle parla aussi d'ajouter un legs pour lui sur son testament; mais, une fois que l'argent se met à ne point vouloir entrer dans la poche d'un honnête homme, il invente mille subterfuges pour s'en détourner. Le lendemain, la reine-mère était si malade, qu'on ne pouvait laisser péné

trer personne ni lui présenter à signer des écrits. Le jour d'après, elle souffrait plus encore, et, jusqu'à sa mort, le mal ne fit aucune trève. A ses derniers momens, Anne d'Autriche regretta pourtant d'avoir oublié le jeune musicien; elle tira de son doigt une bague où était une perle fine qu'elle remit à Mme Beauvais, pour la donner à Fromentel. Le présent était d'une grande valeur; notre jeune homme le conserva précieusement en mémoire de la reine, et, lorsqu'on lui conseilla de le vendre, il n'en voulut jamais rien faire. A l'ouverture du testament, il y eut un legs magnifique pour la Beauvais et les autres femmes; mais le nom de Fromentel ne s'y trouva point. La vie de ce gentilhomme est pleine de ces grossières malices par lesquelles il semblerait qu'un hasard implacable s'amuse à tourner en dérision la droiture et la probité, tandis qu'il est souple et bassement complaisant pour la cupidité ou l'intrigue.

Cependant on n'est jamais très malheureux à vingt ans, et la fortune, dans ses humeurs cruelles, a toujours quelques sourires pour la jeunesse; elle se comporta, vis-à-vis de Fromentel, comme font ces coquettes perfides et sans ame, qui promettent leurs faveurs sans les jamais donner, et qui vous montent l'esprit afin de vous mieux accabler plus tard. Le roi, qui était au fort de sa passion pour la belle La Vallière, entendit parler des talens de notre gentilhomme, et pensa qu'il serait agréable à sa maîtresse de l'entendre. Le valet de chambre Bontemps vint un jour chercher Fromentel; il le conduisit aux petites réunions qui se tenaient chez la favorite, et où les confidens du roi étaient seuls admis. Ces intimes étaient MM. de Guiche, de Lauzun et de Vardes, le poète Benserade et le petit Dangeau, qui, avec des ridicules et un esprit borné, tira, comme on sait, un merveilleux parti des bontés de Louis XIV. On a tant écrit sur Mile de La Vallière, et ces réunions sont choses si connues, que nous n'en parlerons guère. Fromentel y plut autant par l'aimable simplicité de son caractère que par ses chants et son luth. La favorite, qui avait le meilleur cœur du monde, apprécia ses bonnes qualités, et se prit d'amitié pour lui. Les intimes et le roi firent de même, et Fromentel se trouva en si beau chemin pour parvenir, qu'il n'était pas un courtisan qui ne lui eût envié sa position.

Il ne se passait guère de jours sans que l'un des confidens du jeune monarque profitât du laisser-aller de ces petites réunions pour obtenir quelque faveur. Vardes et Lauzun, ambitieux comme des démons, visaient aux dignités, Benserade à l'argent, et Dangeau à tout ce qui se présentait, honneurs ou gratifications. Le roi, étant

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