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très remarquable. M. Martinez de la Rosa a écrit grand nombre de pièces de théâtre dont voici les principales: OEdipe, dans lequel « il a trouvé le secret, dit M. Louis Viardot, dans ses excellentes Études sur l'Espagne, d'être original, après Sophocle, Senèque, Corneille, Voltaire, Lamothe et Dryden; » la Nina en casa, délicieuse comédie qui, sous le titre la Mère au bal, a été jouée avec beaucoup de succès sur je ne sais plus quel théâtre de Paris; la Conjuracion de Venecia, beau drame dans le goût moderne, qui a donné en Espagne le signal de la régénération dramatique qui s'opère en ce moment. Ses autres pièces sont : la Vidua de Padilla, tragédie de circonstance, jouée à Cadix pendant le siége avec un grand succès, dû plutôt à l'à-propos du sujet et à la beauté des vers qu'à la contexture de la pièce, qui est des plus faibles; Moraima, tragédie qui offre une grande analogie avec Mérope; Lo que puede un empleo, et los Celos infundados, jolies comédies qui ne valent pas, il s'en faut bien, la Nina en casa. Il faut ajouter enfin, au répertoire de M. Martinez de la Rosa, une comédie nouvelle jouée dernièrement à Madrid.

Le duc de Rivas (don Angel Saavedra), est l'auteur de Don Alvaro ou la Fuerza del Sino, drame philosophique à grand spectacle, dans le genre de Calderon et de Shakspeare. C'est la seule des pièces de M. de Rivas qui soit en harmonie avec les idées littéraires qu'il a si bien exposées dans la belle préface de son Moro exposito. M. le duc de Rivas est à la fois un excellent écrivain et un homme d'état. Ministre de la gobernacion sous la présidence de M. Isturiz, M. de Rivas appartient aujourd'hui au parti conservateur. Remarquez, monsieur, en passant, combien le parti contraire compte peu de représentans dans la littérature: c'est qu'il est composé d'hommes d'action plutôt que de pensée. Tandis que leurs adversaires font de beaux discours et de beaux vers, ceux-ci font mieux, ils agissent; ils manient la matière électorale, ils ébranlent la fidélité des régimens, et quand il le faut, ils prennent un fusil et..... mais nous voilà bien loin de la poésie dramatique, car les parodies n'en sont pas. Ces scènes étranges feraient pourtant bien rire si elles n'aboutissaient pas si souvent à des assassinats réels.

M. Gil y Zarate, qui a été long-temps un des plus fermes soutiens de l'ancienne école dramatique, fit amende honorable il y a trois ans, alors qu'il nous montra sur la scène, dans son magnifique drame Carlos II, ce roi stupide gravement occupé à prendre son chocolat aux biscuits en discourant de la façon la plus niaise. C'est vous montrer combien M. Gil y Zarate a cru devoir sacrifier au goût nouveau. Peut-être a-t-il été entraîné par l'exemple de M. Casimir Delavigne. Quand ils sont le fruit d'une conviction réelle comme dans ces deux cas, j'aime à le croire, ces changemens me paraissent non seulement légitimes, mais louables. Je ne conçois pas ces gens qui se vantent d'avoir la tête dure comme un roc, et d'être inaccessibles à toute idée nouvelle, fût-elle un progrès. M. Gil y Zarate avait écrit avant son Carlos II, entre autres pièces fort belles, une tragédie purement classique, dona Blanca de Castilla, qui lui assurait une place élevée parmi les écrivains de cette école; mais persuadé sans doute qu'il y a salut aussi hors de la stricte observation des trois unités,

il ne s'en est pas tenu à son essai romantique, qui a été un coup de maître; il vient de faire jouer un second drame non classique, Rosmunda, qui a été non moins applaudi que le premier. Je voudrais bien voir, sur un théâtre de Paris, transporter ces deux drames d'un intérêt si saisissant, le Charles II surtout, grande page historique, peinture fidèle et affligeante de cette agonie misérable de la grande maison d'Habsbourg en Espagne. Le tableau de cette époque, toute remplie du génie de Louis XIV, intéresserait certainement un public français.

Vous vous étonnez sans doute que je ne vous aie pas encore dit un mot du plus fécond de nos poètes dramatiques vivans, dont on vous a souvent vanté sans doute le prodigieux talent d'improvisation, M. Breton de los Herreros, qui, dans les piquantes letrillas politiques publiées par le journal l'Abeja, a fait dans le temps une guerre si plaisante à don Carlos et à ses partisans. M. Breton s'est créé un genre à lui tout seul, qu'on pourrait appeler le genre qui fait rire. Il ne faut pas chercher dans ses nombreuses comédies, hormis deux ou trois tout au plus, un plan bien médité, un but profondément philosophique, des caractères fortement rendus. Pour cela, renoncez-y. Mais de la vis comica, des situations inouies, des traits d'esprit jetés dans chaque vers, vous en trouverez autant que dans Molière, Moreto et Goldoni. Il y a telle comédie en cinq actes de cet auteur qui a été jouée deux fois de suite, d'un bout à l'autre, dans la même soirée et sur les mêmes planches, par l'effet de la volonté énergiquement exprimée d'un public enthousiaste. La Marcela, comédie qui réunit toutes les qualités et tous les défauts de l'auteur, a reçu plus d'une fois cet hommage insolite. M. Breton a encore écrit une belle tragédie classique, Mérope, et un drame intitulé Elena, qui est à mon avis le meilleur de ses ouvrages, dans le genre passionné. M. Gorostiza (don Eduardo), homme d'état au service du Mexique, bien qu'Espagnol, depuis long-temps connu en France comme diplomate habile, a écrit avant et après son émigration dans sa nouvelle patrie quelques comédies charmantes, dont la plus estimée est celle intitulée Indulgencia para todos. Voilà déjà, avec M. Jerica, deux poètes qui nous disent adieu. Ajoutez à MM. Gorostiza et Jerica M. Mora, fonctionnaire au service du Chili, et M. Blanco, qui depuis long-temps a quitté sa belle Séville pour la nébuleuse Albion. Que voulezvous? c'est le sort des pays devenu pauvres d'être peu recherchés.

Deux poètes nous ont été ravis par l'Amérique, mais elle nous a donné en échange un autre poète, M. Heredia, né à Cuba, que je revendique pour la mère-patrie. M. Heredia, tout jeune encore, est connu par un volume de poésies; ce volume témoigne d'un génie privilégié, qui n'attend qu'un peu plus d'étude et un peu plus d'expérience pour se déployer dans toute sa force. Parmi nos bons poètes lyriques, je dois encore vous citer MM. Somoza et Sérafin Calderon. Le frère de M. Gorostiza (don Pedro Angel) et M. Solis, qui portait (car il est mort) un nom célèbre dans notre histoire littéraire, méritent aussi une mention honorable à côté des auteurs de premier ordre dont je viens de vous citer les principaux ouvrages.

Voilà, monsieur, les écrivains qui ont déjà chez nous ce qu'en France vous appelez un nom. Avant de clore ma lettre, un mot sur quelques débutans dans la carrière de la poésie dramatique, qui jouissent déjà d'une réputation naissante.

Une scène assez semblable à celle dont M. Zorrilla fut le héros bienheureux sur la tombe de Larra, eut lieu au théâtre du Principe, à Madrid, dans la nuit du 1er mars 1836. Témoin et tant soit peu acteur dans celle-ci, comme dans celle-là, je vous en rendrai un compte aussi exact que ma mémoire me le permettra. On donnait ce soir-là la première représentation du Trovador, drame en cinq actes, premier ouvrage d'un jeune homme parfaitement inconnu. On savait seulement qu'il était très malheureux; que, poussé par la misère et le patriotisme, il venait de s'engager comme volontaire dans l'armée du Nord, et qu'il n'attendait que le produit de sa pièce, pour s'équiper en soldat et pourvoir aux frais de son voyage en Navarre. Les affiches avaient dit quelques mots de cette position particulière où se trouvait l'auteur; les habitués des coulisses avaient dit le reste. Puis, on ajoutait que le Trovador avait été fort mal accueilli par l'administration des théâtres d'alors, qu'on accusait, comme cela se pratique toujours, d'être peu encourageante, et même assez mal disposée à l'égard des poètes nationaux. Le jeune auteur, disait-on, avait eu à essuyer des refus, des humiliations sans nombre, etc. De tous ces bruits, il était parvenu quelque chose au public; mais enfin on voulait voir avant de juger. La pièce fut jouée : jamais triomphe ne fut ni plus complet ni plus éclatant. Je ne me souviens pas d'avoir jamais vu au théâtre l'enthousiasme poussé plus loin. Il y eut des applaudissemens délirans, des trépignemens à briser les banquettes, des cris forcenés à faire crouler la salle. La pièce en effet était fort belle, et toutes les fois qu'elle a été jouée, elle a réussi sans contestation. C'est de cette soirée que date à Madrid l'usage de demander, après la représentation d'une pièce qui réussit, le nom de l'auteur, et encore le public, ne trouvant pas suffisante cette démonstration inusitée, en improvisa une autre: il appela sur la scène l'auteur lui-même. Il voulait saluer ce génie naissant qu'il avait compris et presque deviné, il voulait le dédommager de ses longues souffrances. On eût dit que le public était content de lui-même, comme doit l'être un bon juge qui vient de rendre un arrêt équitable et sauveur. Que salga el autor! criait-on de toutes parts. L'auteur en effet, pâle, tremblant, parut entre deux acteurs, comme un condamné qu'on traîne au supplice. Il savoura dans sa plénitude cette immense ovation; il fut enivré, ébloui. Quelques jours plus tard, un journal publia sa biographie et son portrait lithographié par un de nos premiers artistes, le jeune don Frederico de Madrazo, dont vous avez vu à Paris quelques beaux ouvrages. Le nom du poète, don José Garcia Gutierrez, devint un nom fameux depuis Cadix jusqu'aux Pyrénées, depuis l'Estramadure jusqu'à Valence. Inutile d'ajouter que le jeune volontaire d'Isabelle II ne partit nullement pour l'armée du Nord. Malheureusement, M. Garcia Gutierrez en est resté là, et cependant il a fait d'autres pièces. Sauf le dénouement, Dieu merci! son histoire a été

celle du pauvre Victor Escousse, qui avait vu une ovation à peu près semblable accueillir son drame de Farruck le Maure. Peut-être y a-t-il des intelligences poétiques semblables à ces plantes qui ne fleurissent qu'une fois; mais M. Garcia Gutierrez est fort jeune, et il faut attendre. Attendons.

Plus heureux, M. J.-Eugenio Harzembusch, après avoir débuté par un coup de maître, en 1837, a donné au théâtre un second drame, Dona Mencia, qu'on dit de beaucoup supérieur au premier, los Amantes de Teruel. Je n'ai pas vu jouer Dona Mencia, et ainsi je ne puis établir de comparaison entre les deux ouvrages; mais quant aux Amans de Teruel, je vous assure, monsieur, que c'est une des plus belles choses qu'on ait écrites depuis long-temps en Espagne, et, j'ose à peine le dire, même en France. Le sujet des Amans de Teruel, touchante et poétique tradition du XIIIe siècle, a été traité par Rojas et par Montalvan, qui tous les deux ont échoué devant les difficultés qu'il offre pour la scène. Figurez-vous que le sujet se réduit à un amant qui expire de douleur en retrouvant sa fiancée mariée à un autre; sa fiancée le suit dans la tombe. Tout cela sans poignard, sans poison, sans mari jaloux, sans père inflexible, sans rien de ce qui peut aider la mise en scène. C'est le sentiment isolé, l'amour céleste. Il faut voir quel parti M. Harzembusch a su tirer d'une donnée si simple.

Dona Maria de Molina, par M. Roca de Togores, est un drame parfaitement versifié et d'un puissant intérêt historique. C'est une large et belle peinture des premières années de la minorité de Ferdinand IV, époque turbulente et désastreuse, pendant laquelle brille d'un si noble éclat dans notre histoire la reine-régente doña Maria, surnommée la grande. — J'aime beaucoup l'Alfredo de M. Pacheco, qui pourtant a été peu goûté sur la scène. L'Alfredo me rappelle les drames du théâtre allemand, auxquels il ressemble par la simplicité antique et par le sentiment vif et profond: c'est beau comme Schiller. - Le Fray Luis de Léon, ou le Cloitre et le Siècle, de M. de Castro y Ovozco, n'a pas été non plus très applaudi; mais ce drame, dont le défaut est d'être trop lyrique, n'en restera pas moins comme un admirable poème. — Antonio Perez et Felipe II, par don José Muñoz Maldonado, serait un excellent drame, si le dernier acte n'était pas si inférieur aux autres. - M. Diaz (don José) est l'auteur de deux drames intitulés, je crois, Philippe II et Elvire.

Me voici, monsieur, au bout de ma récapitulation; je souhaite que vous ne la trouviez pas trop longue. Vous le voyez, nous ne manquons pas de prosateurs distingués et de poètes d'un grand mérite. Encore me suis-je abstenu de vous parler de plusieurs écrivains qui pourraient, à la rigueur, être considérés comme appartenant à ce siècle. Parmi ces écrivains se seraient trouvés les noms de Capmani, Jovellanos, Campomanes, Muñoz, Melendez, Cienfuegos.... Je puis donc vous dire, comme don Ruy Gomez de Silva à Charles-Quint, ces fières paroles : « J'en passe et des meilleurs. »

EUGENIO DE OCHOA.

LA

VIE DE CHATEAU EN 1840.

Quand le carnaval vient d'agiter à Longchamp son dernier grelot, quand les prédicateurs romanesques sont au bout de leur chapelet, le salon au bout de ses chefs-d'œuvre, il n'y a plus rien de bon à faire à Paris, si ce n'est de s'en aller. Adieu, Mme la marquise d'autrefois; adieu, Mme la marquise d'hier; que le vent d'avril vous soit léger! Allez revoir vos châteaux, vos paysages, vos hirondelles. L'heure est venue, partez. On a déjà recrépi les donjons hérédi taires et les villas rustiques; la violette parfume le sentier du parc et la roche de la montagne, la primevère embaume l'avenue et la prairie, le bocage chante de plus belle, et, dans la champêtre église, M. le curé a chassé l'araignée de votre banc. Allez! allez! fuyez Paris; la vie est là-bas avec le soleil. Allez! allez! ne fût-ce que pour reposer votre cœur et votre esprit plus ou moins. Je n'écris pas ceci pour vous, mais pour les pauvres prisonniers de Paris qui, durant la belle saison, n'ont que par-ci par-là un brin d'herbe, un rayon de soleil, une branche souillée; pour les députés qui font des discours sous prétexte qu'ils ne font rien; pour les auditeurs au conseil d'état, qui aimeraient mieux entendre bramer le cerf, hennir le cheval, aboyer les chiens; pour les incroyables du boulevart de Gand, qui n'ont encore que des châteaux en Espagne; pour les professeurs de toutes les façons qui n'ont vu qué le printemps des Géorgiques; pour les Parisiennes de Paris qui ont vu le mois de mai sur le bord d'une fenêtre — ou sur le chemin de fer de Saint-Germain; enfin, pour les pauvres diables de journalistes qui, au lieu de raconter ce qui ne se passe pas et même ce qui se passe à Paris, iraient de si bon cœur écouter les divagations d'un rossignol champenois.

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