entrer de certaines chofes qui n'y font placées que pour orner l'Image. On apporte même pour exemple, la Comparaifon que fait Virgile de ce jeune Ligurien vaincu par Camille, avec une Colombe qui eft entre les ferres d'un Epervier. Après avoir dit ce qui eft de principal, & fur quoi tombe la Comparaison, il ajoute : Tum cruor & vultus labuntur ab æthere pennæ Ce qui n'eft point de la Comparaifon, & qui ne fert qu'à faire une peinture d'une Colombe qui eft déchirée par un Epervier. Pour moi, je crois que c'eft un vérita ble deffaut, & je me hazarde à foutenir que la beauté d'une Comparaison fe mefure également fur les trois conditions que nous venons de marquer. Les Anciens, dit-on, n'ont point connu cet art ingé nieux, cette méthode de détail qui confifte à ménager l'attention de l'efprit, en ne lui préfentant que des rapports fimples & faciles à démêler. Leurs Comparaifons font chargées de circonftances étrangeres au fujet, je l'avoue, mais je nie la conféquence qu'on en veut tirer. Et quoi, le beau n'eft-il jamais échappé à ces Grands Maîtres? Les vrais agréments ne fe trouvent-ils que dans leurs Ecrits, ou dans ceux qui les copient fervilement ? Ne nous y trompons point, l'eftime aveugle qui les croit inimitables, les honore moins que l'émulation éclairée qui s'efforce de les furpaffer, & il n'y en a point qui ne nous dife, avec le Poëte Grec : * Un encens fuperftitieux; Il n'y a jamais eu de véritables beautés, fi elles ceffent de l'être, parcequ'elles font nouvelles. Depuis les Critiques d'Homere, on eft affez perfuadé de cette vérité. Le pompeux défordre & la magnificence confufe des Comparaifons de ce Poëte, n'éblouit plus que des yeux anciens; & la fimplicité fi analogue à l'efprit humain, en eft devenue la proprieté effentielle. Cependant quand je dis qu'une Comparaifon doit être fimple, ce n'eft pas qu'elle ne puiffe abfolument comprendre plufieurs rapports. La fimplicité dont je parle, eft une fimplicité de netteté qui écarte la confufion, & non pas une fimplicité d'unité, qui réprouve toute multiplicité : au contraire une Comparaifon composée * La Motte, dans l'Ode intitulé, l'Ombre d'Homere. de plufieurs rapports détaillés avec ordre & délicateffe, pourvû que d'ailleurs on n'y mêle rien d'étranger au fujet, fera plus picquante qu'une Comparaifon plus fimple & froidement réguliere. Car telle eft la nature de l'efprit de l'homme, une clarté trop familiere ne le bleffe pas moins qu'une obfcurité affectée : pour lui plaire, il faut fçavoir accorder entr'elles fa vanité & fa pareffe: la multiplicité de rapports nettement expofés, produit cet accord fi difficile, elle lui procure un exercice moderé, & cette douce agitation qui n'eft autre chofe que le plaifir. Je ne crois pas devoir m'étendre beau coup fur ce que j'ai dit en fecond lieu, que les Comparaisons doivent être nobles & agréables; on le fçait affez. Ce qui eft fans agrément, nous rebute, & nous effarouche; ce qui eft fans élévation, nous dégoute & nous affadit; on ne plaît qu'en attirant l'admiration ou l'amour. J'ai encore ajouté que les Comparaifons doivent avoir un certain accord avec ce qui les précede & ce qui les fuit, & cela demande quelque explication. Les Comparaifons qu'on employe dans les Ouvrages de Poëfie, n'y font pour l'ordinaire qu'à titre d'Images poëtiques. Le Poëte, naturellement vif & fougueux, reprouve la modération timide & fcrupuleufe du Philofophe, qui n'admet que des fimilitudes exactes: fa fin principale eft de jetter de la varieté dans la narration, qui fans le fecours des Comparaisons, courroit rifque d'ennuyer par fon uniformité, mais il y a là-deffus une précaution à prendre. Dans le difcours, dit l'illuftre M. Pascal, il ne faut pas détourner l'efprit d'une chofe à une autre, fi ce n'eft pour le délaffer; mais dans le temps où cela eft à propos, & non autrement. Car qui veut délaffer hors de propos, laffe. J'ofe donc affurer, fuivant ces principes, que cette prétendue varieté, que les Comparaifons répandent dans le difcours, en interrompt fouvent la vivacité, & ne fert quelquefois qu'à énerver la narration. Qu'on y prenne garde, il eft une uniformité vive & animée qui fixe l'attention de l'efprit, & le tient comme en fufpens. Le Poëte, par exemple, m'annonce le combat de deux Héros : Je les vois, ils s'approchent, ils font aux mains; fi dans le fort de l'action, il cherche à me distraire par quelque image riante, je perds ce trouble précieux qui m'avoit faifi d'abord; le plaifir s'enfuit infenfiblement de mon cœur, & fait place à un calme infipide, & à une ennuyeufe tranquillité. Mais, dira-t'on, ce qui ne présente qu'une idée gracieuse & touchante, peutil jamais manquer de nous plaire ? Oui, fans doute, & l'expérience nous eft un bon garant, que tout ce qui eft agréable en foi ne nous plaît pas toujours. En effet, la plupart des chofes n'ont point d'agrément perfonnel & indépendant ; elles empruntent de nous-mêmes le plaifir qu'elles nous procurent; l'éclat dont elles brillent à nos yeux, & qui nous fait fi fouvent illufion, eft pour l'ordinaire notre propre ouvrage. Nous nous regardons dans un miroir, & notre image nous éblouit; l'impreffion que font fur nous les objets extérieurs, indifférente d'elle-même à la peine ou au plaifir, reçoit fa détermi nation des difpofitions différentes où elle nous trouve. Ce qui nous réjouit dans un temps, nous irrite dans un autre. Dérangez un peu l'ordre, & pour ainfi dire, le fiftême de nos plaifirs, vous leur ôtez tou te leur vivacité, & le nom même de plaifir. La Symphonie plaît fort entre les Actes d'une Tragédie, elle délaffe l'efprit d'une application trop forte, elle le tranquillife; mais pourroit-on la fouffrir au milieu d'une Scène vive & intéreffante il en eft de même dans notre fujet. A la vûe de ce Combat vivement décrit, une étincelle du |