Et, pour faire fon choix confultant la Nature,
Sur une feule enfin prendre fa nourriture. Oui, de cette leçon nous devons profiter,
Cher le Petit, permets que j'ofe me citer : Faifons de touts les Arts des épreuves utiles, Goûtons les Cicerons, les Platons, les Virgiles; Alors, plus en état de former un projet, Réuniffons nos foins fur un unique objet; ' Et loin d'être égarés pat un orgueil perfide, Que le goût naturel foit toujours notre guide : La gloire, qui le fuit, femble nous inviter A cueillir les Lauriers qu'il fait feul mériter. Mais, fi, fermant l'oreille à fa voix falutaire, Nous fommes ennivrés d'un espoir téméraire ; Si nous ofons former l'ambitieux deffein
De monter, en tout genre, au dégré fouverain Tout ce qu'aura produit notre efprit à la gêne Effuira du Public le mépris ou la haine. Cherchons donc & fuivons notre unique talent Ne le forçons jamais pour le rendre brillant: C'est là le vrai moyen de plaire à tout le monde. Mais n'allons pas auffi d'une plume féconde, Follement enchantés du nombre des Lecteurs, Révolter contre nous le goût des connoiffeurs. Tel mêt qui, fans apprêt contente le Vulgaire, Aux palais délicats doit à coup sûr déplaire. D'un Ouvrage fameux un Auteur s'applaudit : Eft-il bon? Point du tout: mais il eft en crédit :
Il charme l'ignorant, & le Sçavant s'en mocque. Méprifons, cher ami, cette gloire équivoque. Si le Peuple s'empreffe à nous préconifer, Les fuffrages font moins à compter qu'à pefer: Puifque d'injuftes loix réglent la Renommée, Ne nous aveuglons pas de fa vaine fumée. Dans notre cabinet de folides progrès Nous dédommageront des éclatants fuccès, Nous mettront à couvert du fouffle de l'envie, Et fémeront de Fleurs le cours de notre vie.
Que de nouveaux Midas, qu'un fort capricieux
Au fortir de la boue éleve jufqu'aux Cieux Pour mettre plus au jour leur honte & leur baf feffe ;
Que les caquets bruyans d'une folle jeuneffe, Sur nous, fur la science épuifent leurs bons mots! Leurs vains cris pourront-ils troubler notre re- pos?
Non, bravons hautement un air de ridicule Que ce fiécle, aux Sçavants prodigue fans fcru- pule;
Tranquilles, affranchis du joug des préjugés, Mocquons-nous des railleurs fous ce joug engagés. Les beaux Arts fans appui n'inspirent plus de zéle;
Ce feu jadis fi vif n'eft plus qu'une étincelle : Tentons du moins, tentons d'en relever l'éclat.
Il est encor pour nous, dans ce Pays ingrat, Des modéles fameux & glorieux à fuivre: Par leurs foins empreffés le goût pourra revivre. De la nuit de l'oubli leurs grands noms pré- fervés,
Leurs Ecrits fur le marbre en lettres d'or gravés, Pour nos derniers Neveux prétieux héritages, Formeront à jamais des Sçavants & des sages. Que tu nous parois grand, Rollin, charmant Docteur,
Lorsqu'en ornant l'Efprit tu cultives le cœur ! Deux fi nobles objets, remplis avec prudence, T'infcrivent à bon droit aux faftes de la France. Sans écouter la voix d'un délicat orgueil, De tout génie heureux trop ordinaire écueil, Tu ne déguifes point, ftudieux Plagiaire, Les utiles larcins qu'en touts lieux tu vas faire. Tel est l'aimable Auteur dont l'élégant pinceau De l'Univers entier a fini le tableau:
Mille traits lumineux, mille couleurs brillantes Répandent l'agrément fur les touches fçavantes, Sur des groupes riants, fagement réunis, H étend avec art un gracieux vernis; Toûjours original, lors même qu'il copie,
Sous fa main tout s'anime & tout fe vivifie : Mais, pour mieux diriger fon plan & fes con-
Il a fçû fe munir de fertiles fecours,
C'eft ainfi qu'un Ruiffeau foible encore à fa fource,
Par mille autres Ruiffeaux, qu'il reçoit dans fa course,
S'enfle & bien-tôt s'égale à ces Fleuves féconds Qui toujours bienfaifants, majeftueux › pro
Ornent de leur afpect nos Maisons de plaifance, Et fur leurs bords fleuris font régner l'abondance, Que l'émulation, protectrice des Arts,
Sur ces hommes fameux attache nos regards: Emus par leur exemple occupons-nous fans ceffe Des chefs-d'œuvres divers d'Italie & de Grece ; Puifons-y l'heureux goût du vrai, du naturel, Et le jufte mépris du fuperficiel.
Livrons par-tout la guerre au fier Néologiíme, Qui dans notre Patrie a fait un honteux schisme. D'un Plagiat adroit diftingu ons le nouveau, Et jufques dans Gayot rendons juftice au Beau: Un trait heureux chez lui fera-t'il méprisable? Dans Corneille un défaut fera-t'il refpectable? C'est la ftupidité qui fait tout admirer : C'est un injufte orgueil qui fait tout cenfurer. Sur-tout corrigeons-nous avec un foin extrême : Tout Ecrivain exact & févere à lui-même Peut s'attendre à trouver le Public indulgent. Mais en vain aurions-nous d'un zéle diligent, Revû, limé, poli, défarmé la critique, Si, contents d'éviter la cenfure publique,
Loin encore de l'art de nous faire applaudir, Notre ardeur au travail vient à fe refroidir. Oui, ne déplaire pas, n'eft pas affez pour plaire." Gardons - nous, cependant, d'un excès tout con- traire,
De vouloit trop briller, d'affecter trop d'efprit. En arrangeant des Fleurs fouvent on les flétrit. Tournez & retournez cent fois une pensée, Sa couleur fe ternit, fa pointe eft émouffée; Et la belle Nature, inimitable à l'Art, Dédaigne le fecours des mouches & du fard. Fontenelle, Trublet, le Sçavant vous admire ; L'ignorant prend plaifir & profite à vous lire: Philofophes charmants, j'aime dans vos Ecrits Ce que dans mille Auteurs je n'avois pas com- pris.
C'est en joignant ainfi le brillant au folide Que nous rendrons du temps la course moins ra
Et qu'impofant filence à la malignité,
Nous irons prendre place à l'immortalité. Heureux fi nous pouvons, fur des feuilles durables,
Laiffer à l'Univers des leçons agréables! Plus heureux de goûter un innocent plaifir En fervant le Public même dans le loifir.
Vous qui, fans la connoître, ofez blâmer l'E tude,
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