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tements les plus brutaux ; & à travers fon affoupiffement & fa péfanteur, on appercevoit de la malice & de la férocité.

Le caractère d'André fit comprendre à Robert, que les mefures les mieux prises font fouvent inutiles, & que fi fa précaution garantiffoit fon Etat d'une guerre étrangere, il avoit peut-être jetté pour toujours, des fémences de haine & de divifion dans fa famille. Il crut apporter quelque remede à ce mal, en faisant proclamer [1343] Jeanne, feule Reine de Sicile & Comteffe de Provence ; ce qu'il confirma quelques années après, étant au lit de la mort, en préfence des principaux Seigneurs du Royaume. Il ajoûta que fi Jeanne venoit à mourir fans enfants, il vouloit que fa foeur Marie lui fuccédât; qu'en ce cas André auroit la Principauté de Salerne ; qu'au refte fes Filles & fon Gendre fe conduiroient jufqu'à l'âge de vingt-cinq ans par le confeil de la Reine Sanche fa Femme, de l'Evêque de Cavaillon, Vice-Chancelier, du Comte de Hauteflamme, Sénéchal de Provence, & du Comte d'Equillas, Amiral. Il voulut encore, que les Comtés de Piémont, de Forcalquier, & de Provence, demeuraffent unis pour toujours au Royaume de Sicile. Ce fut

-vous,

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dans ces derniers moments, qu'ayant fait approcher la Princeffe de fon lit, il lui tint ce difcours, qu'elle n'oublia que trop tôt dans la fuite: Je vous laiffe, ma Fille, un Royaume floriffant, dont les plus grands Princes voudroient devenir Souverains. Si le Prince André meurt avant que vous n'ayez de lui aucun enfant, je ne crois pas que fon procédé vous rende fa mémoire affez chere pour vous empê-cher de prendre un fecond Mari; alors vous choisirez un Prince puiffant, qui foit en état de foutenir le poids de la guerre. Préférez toujours le bonheur de vos peu-ples à votre goût particulier. Si vous vous trouvez preffée par vos ennemis, vous remettrez auffi-tôt vos Etats entre les mains du Pape Sa protection ne peut manquer de vous être très - avantageufe. Telles furent les dernieres paroles de ce fage Monarque, qui avoit fçû foutenir fa fille contre les dégoûts que lui donnoit continuellement fon Mari. Après fa mort, cette Princeffe abandonnée à elle-même - s'attira des malheurs infinis, dont jufques-là il l'avoit toujours garantie.

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Le premier foin de la jeuné Reine fut -de faire mettre fon nom dans touts les Actes, fans y joindre celui de fon Mari. Ce n'eft pas qu'elle fût née extrêmement

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ambitieufe la maniere dont elle en ufa depuis avec Louis Prince de Tarente, prouve affez qu'elle étoit exempte de cette paffion; mais elle ne pouvoit donner une place au Trône à celui qui n'en avoit aucune dans fon cœur. Jeune, picquante, très-fenfible à l'amour, elle fe voyoit facrifiée à un homme continuellement abruti par les fumées du vin, qui ne répondoit à fes careffes qu'avec froideur, foit que ce fut feulement un effet du peu de tendreffe qu'il avoit pour elle, ou que fon tempérament fut en cela d'intelligence avec, fon antipathie; de maniere que fe croyant méprifée, elle crut être en droit de s'en vanger en ennemie qui vient jufqu'a oublier fes devoirs les plus facrés. Elifabeth, Reine de Hongrie, & Mere d'André, apprit avec chagrin ces démêJés domeftiques, & le peu de cas que l'on faifoit a Naples, de fon Fils. Elle vint dans cette Cour, croyant que fa préfence adouciroit tout: elle y fut témoin de la maniere dont la Reine en ufoit avec André; elle démêla même quelques intrigues fecretes de cette Princeffe, qui fe dédommageoit par fes bontés pour quelques-uns de fes Sujets, du peu d'agrément qu'elle trouvoit avec le Prince.

La Reine Sanche, & les autres Ad

miniftrateurs du Royaume n'avoient qu'un nom fans autorité. On éloignoit des Charges & des Honneurs, les Hongrois, & touts les autres qui avoient part à la confiance du Prince; on écartoit les vieux Courtifans du feu Roy, gens que l'exemple de leur Maître avoit formés à la vertu & à la fageffe, & dont la préfence fembloit condamner les défordres de la nouvelle Cour. Les principaux Seigneurs étoient renvoyés dans leurs terres, pendant que des gens de baffe naiffance étoient pourvus de leurs emplois. - Elifabeth s'en plaignit au Pape, elle lui expofa la fituation où fe trouvoit fon Fils, & le pria de le couronner au plutôt, afin de rendre fa perfonne plus refpectable à fes Peuples. Jeanne de fon côté, envoya des Ambaffadeurs à Avignon, où le Saint Siége étoit alors. Ces Ambaffadeurs repréfenterent, que fi là Reine avoit toute l'autorité, c'étoit pour l'avantage de fes Sujets qu'ayant confié à fon Mari pendant quelques jours le foin des affaires, il avoit affez fait connoître fon peu d'ha'bileté ; que c'étoit un Prince imbécille, défiant, foupçonneux, & adonné aux vices les plus groffiers. Clément V, après avoir péfé ces raifons, déclara qu'étant le Pere commun, il vouloit penfer

rieufement à terminer ces différents; qu'en attendant il envoyeroit un Légat à Naples, pour gouverner le Royaume, fuivant le teftament du Roi Robert.

Ce n'étoit pas là ce que Jeanne demandoit, elle affembla fon Confeil compofé alors de Robert Ponciaco, Gouverneur de Naples, d'Adenulphe de Camano, fameux Jurifconfulte, de Robert de Chabanes fon Chevalier d'honneur, de Robert de Milot, & de Barthelemi de Bifanto fon Médecin. Il fut réfolu que les Ambaffadeurs demanderoient au Pape une feconde Audience, qu'ils lui remontreroient que la Reine ayant affez d'âge & d'expérience pour gouverner par ellemême, ne vouloit point de furveillant que cette fujettion lui feroit un tort confidérable auprès de fes Sujets, & la décréditeroient chez les Princes Etrangers; qu'elle le prioit donc de ne point troubler le repos de fes Peuples, par une commiffion auffi injurieufe. Les Ambassadeurs s'acquitterent auprès du Pape de l'ordre qu'on leur avoit donné ; il les écoùta avec bonté, & répondit qu'il avoit extrêmement à cœur la gloire du Royaume de Sicile & les intérêts de la Reine; qu'au refte il avoit choifi par l'avis du Sacré College, un Légat qui lui feroit fans

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