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Ne craint point les regards d'un mortel vertueux.
Je vous estime assez pour vous ouvrir mon ame;
Recevez le premier le secret de ma flamme:

Les graces,
Et marquent la beauté que j'élève à mon rang.
Pourras-tu sur mon choix me condamner encore
Quand tu sauras le nom de celle que j'adore?
O père trop heureux!... Mais quoi! vous frémissez!
De quel soudain effroi vos sens sont-ils glacés ?

les vertus sont au-dessus du sang,

VORCESTRE.

L'orgueil n'aveugle point ceux que l'honneur éclaire,
Et je suis citoyen avant que d'être père.

Mon sang serait en vain par le sceptre illustré
Si moi-même à mes yeux j'étais déshonoré ;
Ces titres de l'orgueil, les rangs, les diadêmes,
Idoles des humains, ne sont rien par eux-mêmes:
Ce n'est point dans des noms que réside l'honneur,
Et nos devoirs remplis font seuls notre grandeur.
Mais de vos sentiments je connais la noblesse ;
Maître de vous, seigneur, vainqueur d'une faiblesse,
Vous n'immolerez point vos premières vertus,
Et la paix, et la gloire, et peut-être encor plus.
Oui, je crains tout pour vous; vieilli sur ces rivages,
J'en connais les écueils, j'en ai vu les naufrages.
La plus faible étincelle embrase ce climat,

Et rien dans ces moments n'est sacré que l'état.
Qui vous en dirait moins dans ce péril extrême
Trahirait la patrie, et l'honneur, et vous-même.
ÉDOUARD.

Votre zèle m'est cher; mais un injuste effroi
Vous fait porter trop loin vos alarmes pour moi.
Élevé dans la paix, nourri dans des maximes
Dont le préjugé seul fait des droits légitimes,
Vous pensez qu'y souscrire et réguer faiblement
Est l'unique chemin pour régner sûrement;
Mais des maîtres du monde et des ames guerrières
Le ciel étend plus loin l'espoir et les lumières;
Et, couronnant nos faits, il apprend aux états
Qu'un vainqueur fait les lois, et qu'il n'en reçoit pas.
Par quel ordre en effet faut-il que je me lie
Aux exemples des temps qui précèdent ma vie;
Qu'esclave du passé, souverain sans pouvoir,
Dans les erreurs des morts je lise mon devoir,

Et

que d'un pas tremblant je choisisse mes guides Dans ce peuple oublié de monarques timides, Qu'on a vus, l'un de l'autre imitateurs bornés, Obéir sur le trône, esclaves couronnés ? Vous savez mes desseins, c'est à vous d'y répondre. On m'apprend qu'Eugénie est prête à quitter Londre: Qu'elle reste en ces lieux. Vous-même en cet instan!

Allez lui déclarer que le trône l'attend:
Fiez-vous à mon sort, à quelque renommée,
Ou, s'il le faut enfin, au pouvoir d'une armée,
De la force des lois que ma voix prescrira,
Et du soin d'y ranger qui les méconnaîtra.

VORCESTRE.

Vous voulez accabler un peuple magnanime;
Vous voyez devant vous la première victime :
Oui, de mes vrais devoirs instruit et convaincu,
S'il faut les violer, prononcez, j'ai vécu.
Je connais Eugénie, et j'ose attendre d'elle
Qu'à tous mes sentiments elle sera fidèle :
Elle n'a pour aïeux que de vrais citoyens,
Des droits de la patrie inflexibles soutiens;
Et le sceptre à ses yeux sera d'un moindre lustre
Qu'un refus honorable, ou qu'un trépas illustre ;
Mais si, trompant mes soins, ma fille obéissait,
Si, changé jusque-là, son cœur se trahissait...
Un exil éternel...

ÉDOUARD.

Arrêtez, téméraire ;

Exécutez mon ordre, ou craignez ma colère. Quant aux soins de l'état, je saurai commander; Et je n'ai plus ici d'avis à demander..

SCENE VII.

VORCESTRE.

Quel sinistre pouvoir, malheureuse Angleterre,
Éternise en ton sein la révolte et la guerre !
Incertain, alarmé dans cet état cruet,

Que n'ai-je tes conseils, ô mon cher Arondel!
Quel désert te renferme, ô sage incorruptible?
Faut-il que la vertu, la sagesse inflexible,

Qui t'éloigne des soins, des chaînes de la cour,
Me laissent si long-temps ignorer ton séjour!
Ciel! je me reste seul : mais ton secours propice
Vient toujours seconder qui défend la justice.
Allons sur un héros faire un dernier effort:

S'il n'est plus qu'un tyran, allons chercher la mort.

FIN DU PREMIER ACTE.

ACTE SECOND.

QUE

SCÈNE I.

EUGENIE, ISMÈNE.

ISMÈNE.

UE craiguez-vous? pourquoi regrettez-vous, madame,

De m'avoir dévoilé le secret de votre ame?
Ce penchant vertueux, ce sentiment vainqueur
Pour le plus grand des rois, honore votre cœur :
La vertu n'exclut point une ardeur légitime;
Quel cœur est innocent, si l'amour est un crime?
EUGÉNIE.

Cruelle! par quel art viens-tu de m'arracher

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