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Allez la rassurer dans sa frayeur mortelle :
On accuse son père; il n'est point condamné;
A la rigueur des lois s'il semble abandonné,
Des fureurs d'un amant qu'elle excuse le crime.
J'ai moins prétendu perdre un sujet que j'estime,
Qu'arrêter Eugénie au point de fuir ma cour:
L'amour va réparer le crime de l'amour.

Oui, fût-il condamné, le sang de ce que j'aime
Est sacré dans ces lieux ainsi que le mien même;
Sans le sceau de ma main les lois ne peuvent rien:
Le coupable est son père, et son père est le mien.
Qu'elle vienne : elle sait mon trouble et sa puissance,
Qu'un seul de ses regards enchaîne ma vengeance.
J'espère tout du sort, puisqu'il a confié

La cause de l'amour aux soins de l'amitié.

Je ne veux qu'une grace; à mes feux moins contraire, Qu'elle n'écoute plus un préjugé sévère;

Que par un tendre amant son front soit couronné; Qu'elle accepte mon cœur, et tout est pardonné.

ALZONDE..

Seigneur, si vous voulez le bonheur de sa vie,
Si vous daignez m'en croire, oubliez Eugénie.
On n'attend point l'amour d'un cœur infortuné
Par lui-même à l'exil, aux larmes condamné.
Sans lui faire acheter la grace qu'elle espère,

Sans troubler son repos, terminez sa misère.
N'attendez pas qu'ici pleurant à vos genoux,
Elle vienne arrêter un funeste courroux.
Sûre que l'équité va lui rendre son père,
Sa vertu ne sait point descendre à la prière.
Mettez fin à ses maux, si vous y prenez part,
Et faites son bonheur en souffrant son départ.

ÉDOUARD.

Moi! que pour son bonheur je m'intéresse encore,
Tandis que, sur la foi des feux que je déplore,
La cruelle se plaît à faire mon malheur,
Me brave avec orgueil, me fuit avec horreur!
Il en faut à ma gloire épargner la faiblesse.
Vengeons d'un même coup mon trône et ma tendresse.
Pour sauver un proscrit que peut-elle aujourd'hui,
Quand elle est à mes yeux plus coupable que lui ?...
Que dis-je? quand je puis terminer tes alarmes,
Quand la main d'un amant doit essuyer tes larmes,
Je livrerais ton père au glaive d'un bourreau!
J'attacherais tes yeux sur un affreux tombeau!
O ma chère Eugénie! ah! punir ce qu'on aime,
Frapper un cœur chéri, c'est se frapper soi-même.
Non, son seul souvenir désarme mon transport.
Il faut, chère Aglaé, faire un dernier effort.
S'il reste quelque espoir à mon ame enflammée,

Rassurez, ramenez Eugénie alarmée :
Qu'abrégeant à-la-fois sa peine et mon tourment,
Au tribunal d'un juge elle trouve un amant.
Dites-lui mon amour, mes pleurs, ma fureur même ;
Tout est justifié par un amour extrême:

Mais si, fidèle encore à de fausses vertus,

Si pour le vain honneur d'un superbe refus,
Trop sûre qu'arrêtant un jugement sévère
Mon cœur va prononcer la grace de son père,
Évitant ma présence, et fuyant ce palais,

Elle bravait mes feux, mon courroux, mes bienfaits;
Il m'en coûtera cher; mais j'atteste la gloire
Que de ses vains attraits j'efface la mémoire;
Et son père, à l'instant déchu de tous ses droits,
N'est plus qu'un criminel que j'abandonne aux lois.
Ne perdez point de temps; allez : je vous confie
Mes desseins, mon espoir, le secret de ma vie.
Priez, promettez tout; effrayez s'il le faut.
Un mot va décider; le trône ou l'échafaud:
Son sort est dans ses mains: allez, qu'elle prononce;
Le destin de mes jours dépend de sa réponse.

SCENE III.

ALZONDE.

Je ne formais donc pas un frivole soupçon!
Trop heureuse rivale!... Ah! que dis-je ? et quel nom!
N'ai-je point immolé mon amour à ma gloire,
Et rendu tout mon cœur au soin de la victoire?...
Quoi! des soupirs encor reviennent me trahir!
Fallait-il le revoir, s'il fallait le haïr?

Ton supplice est entier, amante infortunée!
Il ne manquait aux maux qui font ta destinée
Que d'entendre d'un cœur dont tu subis la loi
Des soupirs échappés pour une autre que toi.
Je n'en puis plus douter; et, pour comble d'outrage,
On veut que leur bonheur soit encor mon ouvrage!
J'en rends grace au destin : ce soin qui m'est commis
M'aide à désespérer mes cruels ennemis ;

Dans le sang le plus cher, répandu par ma haine,
Que tout ici gémisse et souffre de ma peine :
On retranche à l'horreur de ses maux rigoureux
Ce qu'on en peut verser sur d'autres malheureux.
Tremble, crédule amant; en frappant ce qu'il aime,

L'amour est plus cruel que la haine elle-même.
Mais ma rivale vient; cachons-lui son bonheur;
Dissimulons ma rage, et trompons sa douleur.

SCÈNE IV.

ALZONDE, sous le nom d'Aglaé; EUGENIE.

EUGÉNIE.

Ah ! ma chère Aglaé, dans quel temps déplorable
Me laissez-vous livrée à l'effroi qui m'accable!
Ismène ne vient point en dissiper l'horreur :
Tout me fuit, tout me laisse en proie à ma douleur.

ALZONDE.

Si vous en voulez croire et ma crainte et mon zèle,
Fuyez, chère Eugénie, une terre cruelle;
Des mêmes délateurs je redoute les coups;
Peut-être leur fureur s'étendrait jusqu'à vous.
Il en est temps encor, , fuyez.

EUGÉNIE.

Moi, que je fuie!

Je crains, mais pour mon père, et non pas pour ma vie.

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