Je frissonne en l'offrant... Mais un devoir austère M'impose malgré moi ce cruel ministère. Vous êtes désarmé... ce poignard est à vous, Que votre sein ne soit percé que de vos coups. Prenez ce fer, frappez; je m'en réserve un autre ; Trop heureux que mon ame accompagne la vôtre, Et qu'admirant un jour ce généreux courroux Londres nomme l'ami qui tomba près de vous!
Quelque honneur qu'à ce sort la multitude attache, Se donner le trépas est le destin d'un lâche; Savoir souffrir la vie, et voir venir la mort, C'est le devoir du sage, et ce sera mon sort. Le désespoir n'est point d'une ame magnanime; Souvent il est faiblesse, et toujours il est crime: La vie est un dépôt confié par le ciel: Oser en disposer, c'est être criminel.
Du monde où m'a placé la sagesse immortelle J'attends que dans son sein son ordre me rappelle. N'outrons point les vertus par la férocité; Restons dans la nature et dans l'humanité. Garde ce triste don : ton ami ne demande Qu'un service important, que l'état te commande. Cet écrit, que Volfax adresse aux ennemis, Par les soins d'un des miens venait d'être surpris,
Quand, l'apportant au roi, j'ai trouvé l'esclavage. Porte-le; d'un perfide il y verra l'ouvrage...
VOLFAX, VORCESTRE, ARONDEL,
Holà, gardes, à moi ! saisissez-les tous deux. ARONDEL, frappant Volfax du poignard qu'il tenait encore. Voilà ton dernier crime; expire, malheureux!
Faites votre devoir; je suis prêt à vous suivre. Vous vivrez, cher Vorcestre, ou je cesse de vivre.
Séparés si long-temps, deux vertueux amis N'avaient-ils que les fers pour se voir réunis ?
ÉDOUARD, GLASTON, GARDES.
Oui, je vais confirmer l'arrêt de son supplice : Qu'avant tout cependant cet ami, ce complice, Qui s'obstine au silence, et brave le danger, Soit conduit devant moi : je veux l'interroger.
Aux portes du palais Eugénie éplorée
Depuis long-temps, seigneur, en demande l'entrée.
Qu'elle paraisse ; allez.
Je tremble... je frémis... Quel sera mon destin? Qu'Eugénie à mon cœur laisse au moins l'espérance, Et je lui rends son père... O ciel! elle s'avance; Sa grace est dans ses yeux.
Je puis enfin, seigneur, vous adresser ma voix. Mon père est condamné. Souverain de sa vie, L'abandonnerez-vous aux fureurs de l'envie?
Je pouvais le sauver, quoiqu'il fût convaincu : Il va mourir, madame, et vous l'avez voulu.
Le plus juste des rois permettra-t-il le crime? D'infames délateurs, qu'un vil espoir anime, Ont osé le charger du plus faux attentat; Des traîtres ont jugé le soutien de l'état : Que son maître le juge; ou, s'il faut qu'il périsse, Si détournant les yeux vous souffrez l’injustice, S'il n'obtient plus de vous un reste d'amitié, A ma douleur du moins accordez la pitié: Ma vie est attachée à celle de mon père:
Ainsi donc par vos coups je perdrais la lumière!... Mais dans vos yeux, seigneur, je lis moins de courroux: Achevez, pardonnez; je tombe à vos genoux.
En quel état vous vois-je, ô ma chère Eugénie! Vous l'objet de mes vœux, vous l'espoir de ma vie : Commandez en ces lieux; n'accablez plus mon cœur Du remords d'avoir pu causer votre douleur. Quoi! c'est vous qui priez ! c'est moi qui vous afflige! A quels affreux excès votre haine m'oblige! Terminez d'un seul mot ma peine et votre effroi; Régnez; au même instant donnant ici la loi, Vous dérobez Vorcestre au coup qui le menace; C'est moi qui dans ce jour vous demande sa grace.
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