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été, dans le principe, reliés l'un à l'autre par une ligne continue de constructions. Les maisons isolées, surtout au bord des grandes routes devaient être rares à cette époque où la sécurité publique était loin d'égaler celle dont on jouit aujourd'hui dans les états policés.

Mais, admettons pour un moment cette différence de 1,120 mètres; D'Anville ne s'y fût pas arrêté un instant, lui qui en écarte de bien plus considérables. Celle qui nous occupe peut encore s'expliquer d'une manière très-naturelle par une remarque judicieuse du savant géographe. Les distances fixées par l'Itinéraire aussi bien que par la Carte n'admettant jamais de fraction du mille romain ni de la lieue gauloise, et, d'un autre côté, la borne ne pouvant pas toujours se trouver placée au centre de la station, il devait nécessairement en résulter des différences en plus ou en moins, qui pouvaient s'élever jusqu'à près d'une demi-lieue gauloise, environ 1,100 mètres.

Mais revenons à ces restes de constructions auxquelles nous avons donné le nom de ville, bien que nous n'en connaissions qu'une partie. Si l'on s'en tient à ce qui jusqu'à présent a été mis à découvert, on est forcé de reconnaître que, sauf quelques portions de murs et de parquets revêtus de stuc, observés par M. Peyré, presqu'aucune de ces constructions ne donne l'idée d'une ville gallo-romaine d'une certaine importance. Au lieu de l'opus reticulatum (ouvrage à réseau), au lieu de ces murs en pierres de taille, connus sous le nom de grand et de petit appareil, au lieu de ces parquets en mosaïques, nobles débris qu'on retrouve si souvent dans notre vieux Lyon, on ne voit que des fondations ou des voûtes composées de pierres brutes du pays et absolument semblables aux constructions communes de notre époque. Mais cela ne prouve rien selon nous. On ne peut pas attendre d'une petite ville de province le même luxe

de bâtiments que dans les grandes villes telles que Lugdunum et Vienne. Et du reste il nous semble que 1,400 mètres d'étendue prouvent assez qu'il ne s'agit point ici d'un simple village.

Au reste, quel que soit le nom qu'on veuille donner à ces ruines, nous sommes convaincu qu'elles étaient jadis traversées par la voie romaine qui, pour échapper aux débordements de la Saône, devait s'en écarter un peu plus que la route moderne et s'élever sur cette petite colline. Si, dans les fouilles qui ont eu lieu, on n'en a point découvert de traces, on n'en peut tirer aucun argument. Ces fouilles ont occupé si peu de largeur que la plus grande partie de la ville, ainsi que la voie antique ont dû rester enfouies dans la partie du sol non encore explorée. Comment croire en effet que cette ville (ou ce gros bourg), si bien placée dans la direction que devait nécessairement suivre la voie romaine, ne fût pas située sur cette route même, mais à quelques pas de là?

Dans une nouvelle reconnaissance opérée sur les lieux le 15 février, dernier par M. Peyré, notre honorable collaboborateur a constaté l'existence de nouvelles ruines faisant suite aux premières et situées en face de la borne no 38, sur le plateau élevé, joignant le chemin de fer du côté qui regarde la Saône. Les travaux d'agriculture qui viennent de révéler l'existence de ces ruines, n'ont pas pénétré assez profondément pour les faire connaître d'une manière complète. Ils ont seulement amené à la surface du sol de nombreux débris de tuiles romaines. Cette nouvelle découverte confirme ce que nous soupçonnions déjà, c'est que la tranchée profonde du chemin de fer, n'a rendu à la lumière qu'une faible partie de la ville détruite.

A quelle cause doit-on attribuer la destruction de cette ville? Les traces d'incendie qu'on a rencontrées assez souvent dans les fouilles et qui ont été constatées par M. Peyré

et par nous-même, nous conduiraient à penser qu'elle a été détruite par le feu. Mais à quelle époque faut-il rapporter cet incendie? Les nombreuses médailles trouvées dans ces ruines peuvent nous fournir, au moins approximativement, la date de cette catastrophe. Parmi ces médailles dont nous avons vu un grand nombre et dont les autres ont été examinées par M. Peyré, quelques-unes sont gauloises, mais la plupart sont romaines et appartiennent au Haut-Empire. Nous avons même trouvé deux consulaires des familles Julia et Cornelia (1). La suite des impériales s'arrête à Philippe dit l'Arabe qui parvint au trône en 244 et fut tué en 249. On ne trouve aucune médaille appartenant à ses successeurs. Il est vrai qu'il s'en est trouvé une de Gratien qui régna de 375 à 383; mais comme, malgré toutes nos recherches, nous n'avons pu en voir aucune des empereurs qui ont occupé le trône dans l'intervalle de 126 ans écoulés depuis la mort de Philippe en 249 jusqu'à l'avènement de Gratien en 375, cette médaille isolée ne prouve absolument rien, pas plus que celle d'un pape du moyen âge trouvée également dans ces fouilles. L'explication de ce fait est des plus simples. La route ayant continué de passer sur l'emplacement de la ville détruite, ces monnaies ont été perdues par des voyageurs et non par des habitants de l'ancienne ville qui n'existait plus. Comment expliquer autrement l'absence des médailles de Trajan Dèce, de Valérien, de Gallien, de Claude-le-Gothique, mais surtout de celles si communes d'Aurélien, Probus, Dioclétien, Maximien, Constantin et ses fils? Il est donc rationnel de penser que la destruction de cette ville a eu lieu de 245 à 250, si c'est le résultat d'un simple accident. Mais si l'on veut y voir une de ces catastrophes si communes dans les Gaules, à cette époque de guerres civile et étrangère, on peut assi

(1) La dernière porte les noms de Lentulus Spinther et de C. Cassius. Voir Mionnet, famille Cornelia.

gner cet événement, soit à l'année 250 où Dèce alla en personne apaiser les troubles de la Gaule, soit à l'an 260 où Postumus se fit proclamer empereur dans la même province, et en chassa les hordes germaniques qui la ravageaient.

Nous venons de voir que Mannert fixe à l'année 230 la recension de la carte sur laquelle a été copiée celle que nous possédons aujourd'hui. Cette recension serait donc antérieure de 20 ou 30 ans à la destruction de la ville qui nous occupe. Si cette ville était Ludna, il est tout naturel que son nom figurât sur cette carte puisqu'elle existait encore.

Mais alors comment se fait-il que le nom de cette ville détruite se retrouve avec une légère modification (1) sur l'itinéraire dont Mannert croit la dernière édition postérieure de 160 ans à la recension de la carte? Comment se fait-il surtout que l'Itinéraire assigne à cette ville une nouvelle position à quatre lieues gauloises au nord de l'ancienne, position tout à fait incontestable puisqu'elle s'accorde mathématiquement avec les distances données par ce même Itinéraire, avec les antiquités trouvées à Belleville en dedans et en dehors de son enceinte actuelle, avec les traditions du pays, et qu'enfin l'embranchement d'une autre voie romaine vient ajouter une nouvelle preuve à toutes les autres. Certes, si l'on était forcé de faire un choix entre ces deux positions, et que la question fût soumise à un jury composé d'hommes spéciaux, nous pensons que Belleville aurait toutes les chances en sa faveur.

Mais, d'un autre côté, Ludna se présente avec des titres qu'il est impossible de méconnaître. Dira-t-on que c'est le hasard, ou si l'on veut la négligence du copiste de la Carte, qui a supprimé la station d'Asa Paulini et altéré les chiffres des stations intermédiaires? Ce serait un bien singulier hasard

(1) Nous serions tenté de croire que le nom primitif de cette station était réellement Ludna, comme le porte la carte, mais que, plus tard, pour adoucir et latiniser ce nom un peu gaulois, on l'a changé en celui de Lunna.

que celui qui aurait bouleversé les chiffres de détail, tout en conservant une exactitude parfaite dans le total de la distance de Lyon à Mâcon. Le hasard auquel on ferait jouer un si grand rôle, aurait produit un phénomène bien plus étonnant encore, ce serait de faire trouver une ville gallo-romaine jusqu'alors inconnue, au point indiqué par les chiffres de cette carte, chiffres que les savants n'avaient jamais tenté d'expliquer par la raison bien simple que la ville enfouie dans les entrailles de la terre, n'ayant laissé subsister, aucun débris à la surface du sol, l'application de ces mêmes chiffres qu'on croyait altérés devenait impossible. C'est un exemple de plus qui vient nous apprendre combien on doit être réservé avant de condamner le texte des manuscrits que nous a légués l'antiquité.

Quant à l'origine Gallo-romaine de ces ruines, il est impossible de la contester; les nombreuses médailles trouvées dans les fouilles ne peuvent laisser aucun doute. La Carte, le calcul des distances, les poteries romaines et les médailles forment donc un faisceau de preuves qui semblent, par leur réunion, devoir satisfaire tout homme de bonne foi.

Mais si l'on admet les chiffres de la Carte, il faut biffer ceux de l'Itinéraire, malgré leur accord parfait avec les localités; déclarer que la station d'Asa Paulini a été inventée par quelque copiste ignorant, car il ne peut venir à la pensée de personne qu'on eût établi deux stations à 14 kilomètres et demi l'une de l'autre ; telle est en effet la distance qui sépare Anse des ruines de Ludna.

En présence de ces deux systèmes exclusifs l'un de l'autre et qui tous deux s'appuient sur des titres incontestables, la difficulté semble devenir tout à fait insoluble. C'est en effet l'impression qu'au premier aspect on ne peut manquer d'éprouver et que nous avons éprouvée nous même.

Mais enfin, animé comme nous l'étions d'un vif désir de

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