Images de page
PDF
ePub

A sa mort, il ne laissa pas de postérité; les Etats déférèrent la couronne à la princesse Ulrique Éléonore et au prince Frédéric de Hesse-Cassel, son époux. Comme ils ne parvenaient pas à la couronne par droit de succession, ils furent obligés de souscrire à toutes les conditions que leur dictèrent les Etats; ceux-ci élevèrent leur autorité et restreignirent la puissance royale en des bornes très-étroites.

Ce fut sous ce règne que se formèrent en Suède les deux factions désignées sous les noms bizarres de Bonnets et de Chapeaux. Les premiers, créatures du Sénat, partisans de l'Angleterre et de la Russie, étaient soudoyés par ces deux puissances; les Chapeaux attachés à l'autorité royale étaient très-affectionnés à la France, qui leur payait des subsides considérables. La Suède était un champ de discorde sur lequel les sujets du royaume se disputaient les sommes d'argent dont les puissances étrangères alimentaient leur insatiable avidité.

Frédéric Adolphe, désigné roi de Suède en 1743, succéda à Frédéric en 1751. C'était un prince plein d'excellentes qualités, mais auquel il manquait toutes celles qui font les grands rois. Il est malheureusement prouvé qu'une nation est plus heureuse sous un roi impérieux, même sous un tyran, que sous un prince faible et débonnaire.Frédéric Adolphe, rempli d'amour pour son peuple et du désir de le rendre heureux, fut sans cesse contrarié par les Etats de Suède, qui restreignirent son autorité et ne lui laissèrent pas même la liberté de faire le bien. Ils forcèrent la reine à laisser faire la visite de ses diamants; ils exigèrent le renvoi d'un sousgouverneur des enfants du roi ; ils exigèrent qu'il fût remis entre les mains du sénat, une estampille pour tenir lieu de la signature royale; enfin, ils envoyèrent au supplice le comte de Brach et le baron de Horn, soupçonnés d'avoir voulu rendre l'autorité au roi, qui fit de vains efforts pour les sauver.

C'était malheureusement à la France que la Suède était redevable de la dégradation du roi et de l'affaiblissement de la puissance aristocratique. C'était un spectacle vraiment pitoyable que celui des intrigues, des menées sourdes, des moyens de corruption qu'employaient les trois cours de Russie, de France et d'Angleterre, pour se rendre maitresses des diètes et contrarier réciproquement leurs projets.

La France, en entraînant la Suède dans des guerres tantôt contre la Russie, tantôt contre la Prusse, l'exposait à des défaites et à un fardeau d'engagements, dont les misérables subsides qu'elle lui accordait, ne pouvaient l'aider à supporter le poids. A mesure qu'une diète devait s'ouvrir, les agents des trois cours tâchaient d'y introduire un plus grand nombre de membres affidés à leurs partis.

La France menaçait de ne plus fournir les arrérages qu'elle devait, si l'on concluait un traité avec l'Angleterre et la Russie. La Suède aurait mieux agi en renonçant à ces subsides avilissants; mais, dans un pays où le numéraire est si rare, ces secours qui s'élevaient chaque année à plusieurs millions, paraissaient indispensables; le parti opposé à la France craignait d'attirer sur lui toute la colère du peuple, s'il l'exposait à une perte aussi énorme.

Après dix ans d'intrigues et de ressorts politiques mis en jeu, le parti de la France, triomphant depuis 1756, eut le dessous, et ne put s'opposer à ce que la Suède fit avec l'Angleterre et la Russie, un traité dont le principal article portait: Que les sujets de chaque nation jouiraient réciproquement, dans leurs royaumes respectifs, ports et havres, de tous les avantages et immunités accordés aux nations les plus favorisées.

On aurait pu croire que la France, mécontente de ce traité, en profiterait pour renoncer à un projet de domination in

fructueuse et s'affranchir des subsides qu'elle avait promis. Il n'en fut rien.

Le duc de Choiseul, alors Ministre des affaires étrangères, voulait, à quelque prix que ce fût, donner la loi en Suède; ayant échoué dans son dessein, sous les derniers états, il tenta de régner sous le nom même de Frédéric Adolphe ; il conçut le plan le plus hardi, ce fut de rendre au roi toute l'autorité que sa couronne avait perdue, et de détruire le sénat, que le parti favorable à l'Angleterre et à la Russie avait composé de membres contraires aux intérêts de la France.

Pour effectuer un pareil dessein, il fallait une nouvelle diète; les sénateurs, jaloux de se maintenir dans leurs places, se seraient opposés à une convocation qui pouvait amener leur destitution; le roi n'était pas assez puissant pour assembler les états, malgré le vœu du sénat, il était donc nécessaire de faire naître une occasion assez importante, pour contraindre le sénat de convoquer une diète extraordinaire.

On va voir quelles étaient les ressources de la politique du ministre de France, et juger de son ascendant à la cour de Suède. Il détermina le roi à notifier au sénat, « que, touché >> des taxes pesantes dont ses peuples étaient surchargés, son >> intention était que les états fussent convoqués, et que si le >> sénat s'opposait à cette convocation, il se démettait de la » royauté et défendait qu'il fût fait usage de son nom dans >> les résolutions des états. >>

Une déclaration aussi inattendue déconcerta les sénateurs; ils connaissaient l'attachement du peuple pour le roi. Ils essayèrent d'abord de le faire changer de résolution, mais il insista pour avoir une réponse dans les vingt-quatre heures. Le surlendemain, le roi se transporta au sénat et demanda une réponse décisive; on lui objecta l'impossibilité d'exa

miner en si peu de temps toutes les raisons pour et contre la convocation d'une diète extraordinaire. Le roi déclara qu'il prenait cette réponse pour un refus, se leva et sortit du sénat.

De retour dans son appartement, S. M. envoya le prince royal, accompagné de plusieurs officiers, au collège de la Chancellerie, demander formellement l'estampille dont on se servait pour suppléer à la signature du roi.

La Chancellerie ayant refusé de satisfaire à cette demande, le prince se rendit aux autres colléges, déclara que S. M. s'était démise du Gouvernement, et donna un exposé imprimé des raisons de son abdication.

Le Sénat fit, par une espèce de proclamation, la tentative de continuer son administration pendant les dix-huit mois qui devaient s'écouler jusqu'au terme ordinaire de la convocation des Etats; mais les principaux colléges répondirent, que par les lois fondamentales de Suède, ne pouvant pas plus gouverner sans Roi que sans sénat, ils resteraient dans l'inaction jusqu'à ce que les états fussent convoqués.

Par cette réponse, le pouvoir exécutif demeura suspendu; le Sénat sentant alors qu'il ne lui était plus possible de gouverner l'Etat, se détermina à convoquer la diète. Ce qu'avaient prévu les sénateurs arriva : ils furent tous déposés, et ceux qui les avaient précédés furent rappelés.

La France triompha, le roi de Suède reprit son autorité, et les deux partis, élevés, abaissés tour à tour, suivirent les impulsions étrangères qu'ils reçurent.

Frédéric Adolphe mourut d'apoplexie le 12 février 1771. Gustave III, son successeur, était alors en France. On lui expédia des courriers pour hâter son retour.

Une diète allait être convoquée. Les deux partis redoublèrent d'intrigues pour que les nominations leur fussent favorables. Les Bonnets annonçaient les intentions les plus

criminelles; ils comptaient profiter de leur supériorité à la diète pour détrôner le roi et pour ouvrir un champ libre à l'anarchie. Ils cherchaient à ameuter le peuple, et lorsque le héraut proclama Roi le prince Gustave, un d'eux osa crier qu'il ne le deviendrait pas; ils répandirent sur ce prince les bruits les plus injurieux, jusqu'à l'accuser de la mort de son père. Les Chapeaux, affaiblis, sollicitaient sans cesse les secours de la France. A cette époque même, M. Barthélemy, chargé par intérim des affaires de France en Suède, se crut obligé de leur sacrifier une somme de 150,000 dahlers, sans en avoir reçu la permission de sa cour. Mais l'occasion était pressante, et le duc de La Vrillière, ministre des affaires étrangères, ne le désavoua pas.

M. le comte de Vergennes fut nommé ambassadeur de France en Suède. Ses instructions portaient le caractère de la politique de la France. Il lui était recommandé d'éloigner la Suède de la Russie, de tâcher de la réunir au Danemarck pour former une balance dans le Nord, de tâcher de détruire les factions, surtout de s'opposer aux entreprises des Bonnets, de gagner la confiance du roi de Suède, de diriger sa conduite et de le prévenir contre les plans d'une ambition prématurée. Nous tirerons de la correspondance de ce ministre une partie des détails que nous allons donner.

Le roi Gustave arriva à Stockholm dans les derniers jours de mai; sa bienveillance et son application aux affaires lui gagnèrent l'affection du peuple.

N° 3. Dép. de M. de Vergennes, du 17 juin. « L'ouverture de la diète s'est faite le 13. Les trompettes l'ayant annoncée, les membres qui composent les différents ordres, se sont rendus incontinent dans leurs chambres respectives pour y procéder à la vérification de leurs pouvoirs et à l'élection de leurs orateurs. Le début n'est rien moins que favorable aux Chapeaux; les bourgeois, sur l'ordre desquels ils paroissoient

« PrécédentContinuer »