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mouvement, au moins les empêcher de lui barrer le chemin.

« Tel est l'état actuel des choses dont on pourroit se promettre du succès, s'il y avoit plus de secret dans la conduite d'une entreprise qui me paroit très bien combinée; mais je remarque avec inquiétude que le nombré des confidens augmente, et j'apprehende que dans le nombre il n'y ait des imprudens et des indiscrets. Il n'est pas de pays ou l'on connoisse moins que dans celui-ci le mérite du secret. Je redoute sur toute chose la facilité du roi de Suede et celle du prince son frere. Ils sont difficilement en réserve avec leurs entours, et je ne suis pas sans défiance sur la plupart de ceux qui les environnent.

Le 12 août, le commandant de Christianstadt fit publier un manifeste, par lequel lui et sa garnison se revoltoient hautement contre le sénat.

Le 16 aout, le general Rudbeck, arrivé à Stockholm à son retour de Scanie, rendit compte de cette revolte.

Le 17, le sénat fit donner ordre à deux bataillons des régiments d'Upland et de Sudermanie de se rendre à Stockholm, et nomma le senateur comte de Kalling, general commandant avec la plus grande autorité. Il prit toutes ces mesures sans la participation du roi.

Un nouvel incident obligea ce prince à hater l'execution du projet qu'il méditoit. Une lettre qu'il ecrivoit au roi de France, dans laquelle il lui faisoit part de ses desseins, heureusement d'une maniere un peu detournée, fut vendue à l'ambassadeur d'Angleterre, qui la rendit publique, et reveilla par là toutes les inquiétudes des Bonnets.

Le 19, le Roi fit assembler son regiment des gardes, prononça un discours éloquent sur la necessité d'arracher la Suede à l'anarchie à laquelle elle etoit en proie, de se reunir à leur prince et de s'unir à lui pour sauver l'état. Il fut très applaudi, et tous les officiers, à l'exception de trois, preterent

le serment d'obéissance et de fidelité; le régiment des gardes preta le même serment. On fit fermer les portes de la salle dans laquelle le senat etoit assemblé, avec injonction d'attendre les ordres du roi.

Les portes du château furent aussitôt fermées, les chaînes tendues S. M. se transporta au parc d'artillerie, où elle fit assembler toutes les troupes, leur fit donner des munitions, distribua des pieces d'artillerie dans différents quartiers de la ville; expedia aux troupes mandées par le sénat l'ordre de rebrousser chemin; l'amirauté se déclara hautement pour le roi, et le général Rudbeck fut arreté.

Une proclamation fut publiée par laquelle le roi assuroit le peuple de sa protection, et que son desir etoit de conserver la liberté publique, de réformer les abus et de détruire l'anarchie. Le peuple témoigna partout la plus vive allegresse et son amour pour son roi.

Ce prince fit appeler les ambassadeurs des puissances etrangeres, leur rendit compte de la révolution qu'il venoit d'opérer et les engagea à rester dans son chateau pour se soustraire aux désordres qui pourroient avoir lieu dans un jour de trouble. La nuit s'est passée dans le plus grand calme. Le roi a veillé lui-même à la sureté publique, parcourant les différents quartiers à la tête de quelques détachements de cavalerie.

Le 20, les différents colleges, la grande et la petite bourgeoisie, la milice bourgeoise, et les troupes mandées par le senat preterent le serment. L'assemblée des états fut indiquée pour le lendemain.

Le 21, les États étant assemblés, le roi, après avoir donné de nouvelles assurances de son attachement pour son peuple et de son éloignement de l'autorité absolue, a fait lire un plan de gouvernement, à peu près semblable à celui qui avoit été observé depuis Gustave-Adolphe, jusqu'à Charles XI,

en 1680. Il a demandé aux etats s'ils l'approuvoient; tous ont répondu oui, les principaux membres l'ont signé, et tous en ont juré l'observation.

La séance s'est terminée par un cantique d'actions de graces.

Aucun sénateur n'a assisté à l'assemblée. Lors de leur arrestation, le roi leur avoit fait déclarer qu'il ne reconnoissoit plus leur autorité.

La nouvelle Constitution porte ce titre : Forme du Gouvernement de Suede, établie par le Roi et les Etats de Suede, le 21 aout 1772.

L'original est entièrement de la main du roi de Suède; le manuscrit est de 80 pages. On ne conçoit pas avec quelle facilité ce prince embrassait tant de plans différents. Voici quelques fragments de la lettre qu'il écrivait à M. de Vergennes la veille du jour de l'exécution de son projet : « Je vous prie, M. le comte de témoigner au Roi, votre maître, une sensible reconnoissance pour l'amitié constante qu'il me témoigne, et de lui marquer que j'espère démain me trouver digne d'un ami aussi fidèle. Ma bonne cause et la protection divine me soutiendront et me feront vaincre. Mais si je succombe, j'espère que son amitié s'étendra sur les chers restes que je laisse après moi, et qu'un frère dont le courage et la fidélité se sont montrés si éclatants et des braves sujets qui auront tout sacrifié pour moi et pour leur patrie, ne seront point abandonnés du plus ancien allié de ma couronne, etc., etc.

L'un de ces trois officiers aux gardes qui refusèrent de prêter serment au roi se nommait d'Eissenstein. Il fut mis aux arrêts et cassé. A cette nouvelle, la cour de Versailles le raya de la liste de ses pensionnés.

Le lendemain de la révolution, M. d'Eissenstein écrivit au roi Gustave la lettre suivante :

« Les bontés dont Votre Majesté m'a toujours honoré m'avoient pénétré de la plus vive reconnoissance et me plongent dans ce moment dans le plus grand désespoir. J'ai été obligé de vous désobéir parce que j'ai cru que les Etats seuls pouvaient lever le serment que je leur avois fait... Vous venez de rendre la liberté à la nation, action qui n'a presque point d'exemple et que je ne pouvois prévoir malgré l'opinion que j'ai toujours eu de vos grandes qualités. C'est donc en bonne conscience que je porte mon hommage aux pieds de V. M. Mais, Sire, permettez, qu'après avoir parlé à mon Roi, je m'adresse à mon ami. Ce terme de la part d'un sujet ne doit pas choquer les oreilles de Gustave: vous avez outragé mon cœur; un mot m'eût fait voler à votre secours. Il y a eu un complot contre vous et vous ne me le dites point; je ne l'ai appris qu'hier au soir, dans la lettre dont vous m'honorâtes, et que lorsque la ville étoit déjà soumise, vous ne me donnez d'autre motif que de rétablir la constitution de Gustave-Adolphe; adoptée au terme présent, ce pouvoit être celle de Charles XI: cela me fit prendre le parti que j'ai pris. Il ne me reste qu'un second, qui est de remettre mes emplois. La plume me tombe des mains. >>

Cette lettre aurait pu irriter le monarque. Il en jugea autrement : il alla remettre lui-même à M. d'Eissenstein son épée.

La pension de la France fut rétablie.

Paris, 1806.

LYON APRÈS LE IX THERMIDOR,

FRAGMENT INÉDIT

Lu à l'Académie des sciences, belles-lettres et arts de Lyon,
dans la séance du 19 mai 1857 (1),

Par M. J. MORIN.

Nous continuerons de trouver dans notre histoire locale la confirmation et quelquefois l'éclaircissement des faits généraux qui composent l'histoire de la Révolution française.

La terreur était devenue de crise en crise, de nécessité en nécessité, le ressort révolutionnaire; non pas encore toutefois l'unique. Nous voyons toujours dans ce drame. compliqué les convictions profondes et ardentes, le pur et saint dévoûment; mais la terreur qui s'y mêle comme un alliage funeste envahit tout, couvre tout de son voile sombre, jusqu'aux plus libres expansions de la conscience, jusqu'aux actes les plus spontanés du courage et de l'enthousiasme.

Puis s'étaient déroulées les conséquences successives, toujours combattues mais fatales: le papier monnaie à cours forcé, le maximum qui en était la suite inaperçue longtemps repoussée, le système de préhension et de réquisition, les vengeances sanglantes contre les adversaires,

(1) Ce fragment fait suite au IIIe volume de l'Histoire de Lyon depuis la Révolution. Il est le commencement du IVe volume encore inédit.

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