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nons demain matin le capitaine, le lieutenant, et tous ceux qui auront pu entrer dans notre canot.

-Si nous prenious la pinasse, me dit Jack, tout l'équipage y pourrait tenir, et ⚫ nous aurions aussi des canons pour leur répondre. >>

Je lui répondis que nous ne pourrions jamais à nous deux la mettre à flot et la diriger,et quant aux canons,il nous serait plus difficile encore de les charger, n'ayant ni poudre ni balles avec nous. Mais notre canot n'avait aucun de ces inconvéniens, il était si léger et si bien construit qu'il pouvait résister aux vagues, et que les outres de peaux de chiens marins dont vous avez garni les côtés le tiennent dans un parfait équilibre. Nous le montâmes donc avec courage, et, nous aidant des rames, il fut bientôt dans la baie; après quoi, la voile enflée par le vent de terre nous suffit de reste, nous n'eûmes plus besoin de ramer. Je m'assis au gouvernail, mon fanal nous éclairait suffisamment, et sans la pluie qui tombait

et

par torrens sur nous, les vagues qui passaient sur le canot, notre inquiétude sur le vaisseau et sur vous, et la crainte d'être poussés par le vent en pleine mer, notre promenade maritime aurait été délicieuse. N'est-ce pas, Jack, qu'il est charmant'd'être en bateau ?

JACK. Oui, oui, quand il fait beau et que nous sommes tous ensemble; j'aime bien autant à présent être couché dans mon hamac qu'au fond du bateau, sous une vague. C'était pourtant drôle à voir, papa, quand elles arrivaient comme des géans, et qu'elles passaient par-dessus nous sans renverser le canot; il était quelquefois tout penché de côté, et puis il se relevait et penchait de l'autre ; il montait, il descendait, ; c'était comme une danse, mais qui me fatiguait bien un peu.

LA MERE. Au nom du ciel, mes enfans, revenez à terre, je ne puis supporter de vous voir, même en récit, sur ce canot.

LE PERE. Je suis un peu en peine de savoir comment vous aurez viré de bord pour revenir, ayant le vent contraire.

FRITZ. Cela eût été difficile en effet si je n'avais pas alors plié la voile, au moyen des cordes que vous Y aviez attachées. Lorsque nous fûmes sortis de la baie, je vis que la direction du vent nous conduisait vers le petit îlot de sable où mon gros requin alla mourir et où nous tuâmes tant de mouettes; il est au devant de la baie, et forme ainsi deux entrées. Je me proposai d'en faire le tour et d'y descendre, s'il nous était possible, pour voir de là si nous apercevrions le vaisseau ou la chaloupe; mais nous ne le pûmes pas, la mer était trop haute; nous n'aurions su d'ailleurs où amarrer notre canot, n'y ayant pas un seul arbre sur cet ilot, ni rien où l'on pût l'attacher; les vagues l'auraient bientôt entraîné. On ne voyait plus la lumière que nous avions cru venir du vaisseau; on n'entendait plus ce que j'avais pris pour le canon; l'orage augmentait. Je pensai à vous, mes chers parens, à votre inquiétude; l'heure où nous avions promis de revenir était passée depuis longtemps, je me décidai donc à rentrer par

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l'autre côté de la baie, en tâchant d'éviter le courant, qui nous aurait rejetés en pleine mer : c'est alors que je pliai les voiles et qu'à force de rames je revins au port. Après avoir soigneusement attaché le canot, nous prîmes, sans revenir à Zeltheim, le chemin de Falkenhorst;. nous traversâmes le pont comme Jack avait fait; les planches s'étaient écartées, l'eau courant entre deux rendait le passage moins difficile, en prenant quelques précautions: nous retrouvâmes de l'au tre côté le manteau de caoutchouc et le sac de karatas que Jack y avait laissés, et peu après nous vîmes venir Ernest. Comme il faisait jour, je ne le pris pas pour le capitaine; mais je le reconnus bientôt : il nous raconta comment vous aviez passé la nuit dans la peine et les angoisses, et je me le suis bien reproché. Notre entreprise était imprudente, et tout-à-fait inutile; passe encore si nous avions distingué le vaisseau, ou la chaloupe, ou quelques naufragés, alors c'était notre devoir de tout quitter pour les sauver; mais nous n'avions rien vu, rien

aperçu. Que pensez-vous,mon père,qui leur soit arrivé ?

LE PERE. Aucun autre mal, j'espère, que celui, bien assez grand, d'errer sur une mer inconnue, et semée d'écueils et de récifs de corail, qui sont à fleur d'eau, qu'on n'aperçoit qu'en les touchant, et contre lesquels le bâtiment se brisera. J'espère que le capitaine Johnson saura les éviter; mais, s'il est encore dans nos parages, nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour pourvoir à sa sûreté. Dès que la tempête sera apaisée, nous monterons dans notre pinasse, et nous ferons le tour de notre île Depuis long-temps tu me presses de le faire, mon fils; qui sait si de l'autre côté nous ne trouverons pas quelques traces des pauvres navigateurs, ou peut-être eux-mêmes !

-Il me semble que la tempête augmente,» dit ma femme en regardant du côté de la fenêtre. Elle ne voulait pas démentir l'humanité dont je l'avais si fort louée, et mettre des obstacles à la course que je méditais pour chercher le vaisseau, mais elle en

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