Images de page
PDF
ePub

prisonniers. Puisse la divine lumière du christianisme pénétrer chez ces malheureuses peuplades idolâtres et les éclairer ! Puissent le zèle et le dévouement des missionnaires recevoir cette récompense !

FRITZ. Vous deviez, ce me semble, être missionnaire à Otaïti?

LE PERE. Oui, je suis parti dans ce dessein, le ciel en a ordonné autrement; mais cette œuvre excellente s'exécutera sans doute, et le jour viendra où toutes les nations de la terre adoreront et connaîtront le vrai Dieu.

JACK. Ah! je m'en réjouis bien! Nous n'aurons plus peur des sauvages, et s'il en vient dans notre île, nous les recevrons comme des frères.

LE PÈRE. Prions plutôt qu'il n'en vienne point, ils ne sont pas tous convertis.

FRITZ. Pourquoi, mon père, n'y en a-t-il point dans cette île, qui est si délicieuse à habiter?

LE PERE. Je ne puis te le dire, mon fils; et je m'en suis souvent étonné : sans doute elle est inconnue et trop éloignée des autres

îles dont cette mer abonde. Les voyageurs en ont remarqué plusieurs qui leur ont paru très fertiles et inhabitées; peut-être que la chaîne de récifs qui l'entoure en empêche l'abordage, et qu'on n'a pas découvert encore notre petite baie du Salut, par où y avons pénétré.

nous

FRITZ. Et la grande baie de l'Espoir trompé ?

Le PERE. Nous ne l'avons pas sondée, peutêtre a-t-elle aussi ce qu'on appelle, en terme de marine, des bas-fonds, c'est-à-dire pas assez d'eau pour y naviguer. Cependant, puisque notre canot a pu aborder, des pirogues de sauvages le pourraient aussi; Dieu veuille qu'ils ne s'en avisent pas!

FRITZ. Je voudrais bien cependant faire le tour de notre île, pour en connaître la grandeur, et savoir si de l'autre côté elle est bordée de rochers, comme de celui-ci.

LE PERE. Je le crois, mais enfin nous pourrons nous en assurer; dès que la tempête sera passée et ta mère assez bien pour aller s'établir à Zeltheim, nous monterons

notre pinasse et nous ferons le tour de l'île. FRITZ. J'ai le projet d'une espèce de voiture pour maman, qui ne la fatiguera pas du tout, et dans laquelle elle pourra bientôt aller à Zeltheim. Puisque nous sommes près du marais, permettez-nous d'aller y couper des joncs dont j'ai besoin. » J'y consentis et j'y allai avec eux. Il m'expliqua, chemin faisant, son idée ; il voulait tresser avec ces joncs, qui sont très forts, une espèce de panier en carré long, dans lequel sa mère pourrait être assise ou à demi couchée, et qui serait suspendu entre deux cannes de bambou par des anses de corde; deux de nos plus paisibles animaux, la vache et l'âne, seraient attelés, l'un devant et l'autre derrière, entre ces brancards, et montés chacun par un des enfans pour les diriger, au moins sur celui du devant; l'autre suivrait naturellement, et la bonne mère serait ainsi, comme dans une litière, sans éprouver aucun cahot. Cette idée me plut; j'en louai mon fils aîné, et nous nous mimes vite à l'ouvrage pour emporter chacun un gros paquet de

[ocr errors]

joncs. Ils me prièrent tous les deux de n'en point parler à ma femme, pour lui ménager une surprise agréable. Il ne fallait pas moins que notre tendresse filiale et conjugale pour faire cette cueillette par un temps aussi désastreux. Il pleuvait à verse, et le terrain auprès du marais était si mou et si détrempé que nous pouvions craindre d'enfoncer à chaque pas. Rien ne rebuta mes fils, et j'aurais eu honte d'être moins courageux. Lorsque nous en eûmes coupé ou arraché une charge suffisante pour chacun de nous, nous les liâmes en paquets attachés avec les jones les plus minces. Jack mit les siens sur sa tête en tous sens; il se fit ainsi une espèce de parapluie qui le garantissait passablement, et nous suivîmes son exemple: de là nous fûmes arrivés bientôt à Falkenhorst, où nous étions attendus avec impatience. Avant d'arriver à notre arbre, je vis de loin briller un feu qui m'effraya; je doublai le pas, et je trouvai avec plaisir que ce n'était qu'une attention de mon François, ou plutôt de sa mère. Lorsqu'elle vit, de son lit,

tomber la pluie, elle ordonna à son petit aide de camp d'aller allumer un bon feu à notre foyer, placé à peu de distance de l'arbre, et couvert, en forme de demi-tente, d'une toile de voile enduite de gomme élastique, qui le garantissait de la pluie. Mon jeune marmiton entretenait un bon feu pour nous sécher au retour et il en profitait pour rôtir deux douzaines de ces excellens oiseaux que ma femme avait conservés dans du beurre, eufilés dans l'épée qui nous servait de tourne-broche; ils étaient prêts à manger, et le feu et le rôti firent grand plaisir aux trois voyageurs, épuisés par leur longue course et mouillés jusqu'aux os.

Cependant, avant même de nous asseoir, nous montâmes vite l'escalier tournant pour embrasser et rassurer nos chers blessés, que nous trouvâmes assez bien, mais inquiets de notre absence et de la tempête. Ernest, avec sa bonne main et l'aide de François, était parvenu à décrocher les quatre hamacs où lui et ses frères couchaient, en les pla

« PrécédentContinuer »