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çant debout les uns à côté des autres au devant de l'ouverture, à en faire un rempart contre la pluie, qui sans cela les aurait inondés ; je louai son invention. Comme ils interceptaient aussi la lumière, ils avaient déjà allumé le gros cierge des soirées pluvieuses; et, pour distraire sa mère, Ernest lisait dans un livre de voyages de la bibliothèque portative du capitaine. Par un hasard singulier, tandis qu'en cheminant nous nous entretenious des sauvages, ils en étaient aussi profondément occupés. Ma femme frémissait au récit de leurs cruautés, et croyait déjà les voir arriver dans des centaines de pirogues, armés de leurs zagaies, de leurs lances, de leurs frondes et de leurs flèches empoisonnées. Elle s'effrayait aussi des tempêtes; enfin, je la trouvai très agitée, et je grondai Ernest d'avoir choisi ce moyen de distraction. Après l'avoir un peu calmée, j'allai me sécher au feu de François et manger avec appétit la collation qu'il nous avait préparée. Outre les oiseaux, il nous avait fait cuire des œufs frais et des pommes de

terre. Il me raconta que maman l'avait installé à sa place dans l'emploi de cuisinier, et nous promit qu'il s'en acquitterait très bien, pourvu qu'on lui fournit des provisions. Fritz devait chasser, Jack devait pêcher,moi commander les repas,et lui les apprêter. « Quand nous n'aurons trouvé ni gibier ni poisson, lui dit Jack, nous ferons main basse sur ta basse-cour.» Ce n'était pas le compte du bon petit François, qui chérissait ses poules et ses poulets etaurait voulu que l'on n'en tuât jamais ; il avait presque pleuré la belle poule dont on avait fait le bouillon de sa mère : il fallut lui promettre de n'en tuer que pour cet usage, et d'avoir recours à nos tonnes de poisson salé quand la chasse et la pêche ne suffiraient pas. Par accommodement, il nous permit cependant de disposer de quelques oies et canards dont le caquetage l'ennuyait.

Après avoir mangé, bu et causé, nous remontâmes chez nos pauvres blessés à qui nous apportâmes leur part de notre régal. Il fallut ensuite raconter notre course par

mer et par terre, qui fit encore frémir ma femme, quoique nous n'eussions couru aucun danger; elle ne voyait plus que tempêtes et sauvages.

« Ainsi donc, chère amie, lui dis-je, te. voilà décidée actuellement à quitter cette île orageuse, et si le ciel nous envoie un vaisseau, à en profiter bien vite pour retourner en Europe?

LA MÈRE. Moi! le ciel me préserve de me remettre jamais moi et les miens sur cette maudite mer, où l'on n'est pas une heure en sûreté, où les vents vous poussent de côté et d'autre à leur gré, où le moindre des dangers que l'on court est de se noyer quand le vaisseau se brise, comme le nôtre et tant d'autres qui ont été jetés sur des bancs de sable, à la merci des sauvages ! Grâce à Dieu, ce dernier malheur nous a été épargné, n'allons pas le chercher ailleurs ; puisqu'il n'en est pas venu ici, il n'en viendra point, et la tempête ne brisera pas notre maison de rochers. Promets-moi que nous y resterons.

LE PERE. Il le faudra bien; je n'ai plus d'espoir que ce vaisseau arrive; l'orage l'aura écarté de sa route ; le ciel sait où il est en ce moment.

LA MÈRE, Il est où sont presque tous les vaisseaux qui voyagent sur ces mers 9 échoué contre quelque rocher, et tout son monde à la merci des sauvages: lis seulement le livre d'Ernest, c'est l'Histoire des naufrages.

LE PERE. Je la connais, et je conviens qu'elle n'est pas gaie; mais je t'en chercherai d'autres où tu verras que tous les voyages ne sont pas malheureux, ni tous les sauvages méchans. Tu liras avec plaisir les relations de plusieurs voyages à Otaïti et dans l'île des Amis, et surtout des îles Pelew (1). Si jamais nous devons être visités par des insulaires, je désire que ce soit par ceux-là, dont nous nous ferons des amnis. >>

(1) Voyez dans l'Abrégé des Voyages modernes, par M. Eyriès, vol. II, la relation de deux voyages à l'ile Pelew, par les capitaines Wilson et Macluer. 1783 et 1790.

Ainsi finit cet entretien, qui amena l'heure du repos, troublé par la tempête, qui continuait encore ; mais les hamacs, que j'assujettis mieux qu'ils ne l'étaient, nous garantissaient du vent et de la pluie. Mes fils s'étendirent par terre sur les petits matelas de coton que leur mère leur avait faits ; je m'établis aussi à côté de ma compagne, et, malgré les sifflemens du vent et le bruissement des vagues, l'excès de la fatigue me procura un assez bon sommeil, dont j'avais grand besoin.

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