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CHAPITRE XLII.

Retour du beau temps; désastres le petit François; le panier.

La tempête continua toute la journée suivante et jusqu'au surlendemain avec la même violence. Om aurait dit que les élémens allaient se dissoudre et que c'était la fin du monde; la grêle et les torrens de pluie se succédaient sans interruption; les vents étaient déchaînés et quelquefois impétueux. Cependant notre arbre tint bon et ne fut point ébranlé, mais il y eut beaucoup de branches cassées, entre autres celle où tenait le fil de fer de François : je le remis avec plus de soin; il dépassait de beaucoup notre toit et j'y adaptai, à son extrémité supérieure, l'instrument pointu qui avait si bien attiré la foudre. Tranquille de ce côté-là, je substituai aux hamacs, devant la fenêtre, des planches assez fortes, qui m'étaient restées

depuis ma bâtisse, et que mes fils m'aiderent à monter avec la poulie; après les avoir sciées à la hauteur convenable, j'y fis aussi plusieurs trous ou lucarnes, pour donner de l'air et du jour; et, pour que la pluie n'y entrât pas, j'y enchâssai des bouts de tuyaux faits d'une espèce de bois que j'avais découvert depuis peu sans savoir son nom. Il m'a paru tenir du sureau par la moelle dont les branches et le tronc sont remplis ; ce dernier, de la dimension d'un sapin ordinaire, se perce et se vide très facilement, cette moelle ou substance très tendre remplissant presque la capacité de l'arbre jusqu'à l'écor ce très épaisse et très dure, et résistant à l'humidité. Cet arbre croît au bord des marais; j'en avais fait très facilement des conduits d'eau pour notre fontaine, et quelques bouts qui en étaient restés me servirent pour mes fenêtres. J'employai les jours où je ne pouvais sortir à différens ouvrages sédentaires, à tirer des graines et semences dont je prévoyais avoir besoin, à raccommoder des outils, pendant que mes fils, nichés

sous l'arbre, entre les racines, travaillaient sans relâche à la voiture de leur mère. Grâce aux karatas, la main d'Ernest avançait vers sa guérison, et déjà il pouvait aider ses frères à préparer le jonc; Fritz et Jack les passaient dans des baguettes de bois aplaties, avec lesquelles ils avaient fait la forme de leur panier, et il en résulta un tissu si fort et si serré, qu'on aurait pu y transporter des liquides. La jambe de ma femme suivait le cours ordinaire des membres cassés, qui ne sont consolidés qu'au bout de six semaines; le pied était toujours très enflé. Je profitai de ce temps de réclusion pour lui faire des lectures, qui la calmèrent un peu sur le danger des voyages, et pour raisonner avec elle sur le triste avenir de nos fils, s'ils restaient dans cette île déserte et si éloignée de tout lieu habité. Elle en convenait et disait qu'elle serait heureuse de voir les enfans de ses enfans. « Mais, ajoutait-elle, si c'est la volonté de Dieu qu'ils en aient, saura bien les faire sortir d'ici, ou leur envoyer des femmes ne peut-il pas arriver

il

un vaisseau, si ce n'est à présent, au moins dans quelques années ? La passion des découvertes s'augmente tous les jours, et quelque marin découvrira bien une fois cette île. Quand nous n'y serons plus, nos fils feront ce qu'ils voudront; s'ils s'ennuient ici, ils retourneront en Europe. N'ont-ils pas, au besoin, la belle pinasse, avec laquelle, si la fantaisie leur en prend un jour, ils pourront quitter cette île ? En attendant, nous y sommes bien, et je ne veux pas m'inquiéter d'avance; à chaque jour suffit sa peine. Si seulement la grêle et la pluie n'ont pas abîmé mon beau jardin potager, je prendrai mon parti du reste.

LE PÈRE. Il faut bien t'y attendre, chère amie, et je crains beaucoup aussi pour mes plantations de maïs, de cannes à sucre, etc., et mon beau champ de blé et d'avoine.

LA MERE.Eh bien! en tout cas,nous recommencerous à travailler sur nouveaux frais pour les remettre en état ; tout notre temps est à nous, et nos ouvriers aussi; nous avons encore des semences en réserve, et Dieu

nous aidera. Pourvu que je puisse bientôt marcher, pour aller voir ce qui en est, et me remettre à l'ouvrage! »

Enfin la tempête s'apaisa, les nuages se dissipèrent, et la lune, dans tout son éclat,

nous fit espérer le retour du beau temps. Pour jouir en plein de cet espoir, ma femme me pria de lever les planches que j'avais mises au devant de la grande ouverture, et le bel astre des nuits répandit sa douce lumière au dessus de notre arbre et dans notre chambre ; un vent léger venait nous rafraîchir, et nous étions si enchantés de cette nuit, et de ne plus entendre les éclats de la tempête, qu'aucun de nous ne pouvait se résoudre à dormir. Nous la passâmes presque entière à faire, pour les jours suivans, des projets d'excursions et de travaux; la bonne mère seule s'affligeait de ne pouvoir en être.

Il faut pourtant que vous en soyez, lui dit Fritz; moi et mon père nous vous porterons sur nos mains.

LA MERE. Pas bien loin, j'espère ! Vous me laisseriez bientôt tomber; je suis pesante.

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