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JACK. Alor ;, maman, François et moi nous prendrons leur place; chacun son tour.

LE PÈRE. Pourquoi, chère Élisabeth, n'irais-tu pas dans notre char, conduit par moi ou par un de tes fils?

LA MÈRE. Je crains de ne pouvoir le soutenir, il est trop dur; ma tête est trop faible et mon pied trop douloureux pour supporter le bruit des roues et des cahots. »

Fritz et Jack sourirent en se regardant d'un air d'intelligence ; ils pensaient à leur chaise à brancard, qui était près d'être finie. Enfin la lune se coucha, et nous de même. Le lendemain, le soleil le plus brillant nous réveilla; nous en remerciâmes Dieu en famille, puis nous descendimes pour soigner l'écurie et la basse-cour, et commencer nos travaux de la journée. Fritz et Jack me prièrent de les laisser achever leur voiture sans roues. Ernest resta avec ma femme, et cette fois je pris avec moi François pour le mener au grand jardin de Zeltheim, que lui et sa mère avaient si bien arrangé, et dont elle était impatiente d'avoir des nouvelles. Nous

passâmes facilement le pont; la force de l'eau avait écarté quelques planches, ce qui facilita l'écoulement. Mon petit garçon s'en tira à merveille; ses frères n'auraient pas mieux sauté d'une planche à l'autre, quoique la distance fût quelquefois assez grande. Il était si fier et si content de faire une course tout seul avec moi, qu'il ne touchait pas terre, et courait toujours en avant ; mais il eut un grand rabat-joie en arrivant à son beau jardin, dont il ne trouva plus la moindre trace. Tout était détruit, ravagé creusé; les sentiers, les belles planches de légumes, les plantations d'ananas et de melons, tout avait disparu, tout était anéanti. François fut tellement saisi au premier moment, en voyant cette destruction, que j'en fus effrayé; il restait comme une statue de marbre, et il était devenu presque aussi pâle. Enfin, des larmes sortirent de ses jolis yeux bleus, et il fut soulagé. «Oh! ma bonne maman, dit-il en joignant les mains, que dira-t-elle quand elle saura ce désastre, et que toutes nos peines sont

perdues? Mais il ne faut pas qu'elle le sache, reprit-il après un moment de silence n'est-ce pas, cher papa, il ne faut lui pas dire, elle en aurait trop de chagrin ? Elle ne peut pas venir le voir encore, et si vous et mes frères vous voulez m'aider, tout sera réparé quand elle pourra marcher. Les plantes ne seront pas aussi grandes ; mais à présent que la terre est mouillée, elles croîtront vite, et je travaillerai de bon courage pour remettre tout en ordre. » J'embrassai tendrement ce cher enfant, et je lui promis que ce serait notre premier ouvrage ; j'en prévoyais bien d'autres ailleurs, mais un enfant de douze ans me montrait l'exemple de la résignation et de la force. Nous convînmes de dire seulement à la mère que son jardin avait besoin de quelques réparations, et que dès le lendemain nous viendrions y travailler. Il était trop bien situé pour l'abandonner: il s'élevait en douce pente au pied des rochers, qui le garantissaient du vent du nord, et à portée de la cascade, qui l'arrosait sans peine. Je résolus

seulement d'y faire une espèce de digue ou terrasse pour le mettre à l'abri des grosses pluies, telles que celles que nous venions d'avoir. François, à qui je fis part de mon idée, en fut si enchanté, qu'il commença vite à relever les pierres dont le jardin était encombré, et à les mettre en tas à la place où je voulais établir ma digue. Il y aurait travaillé tout le jour si je l'avais permis, mais d'autres soins, d'autres inquiétudes m'appelaient ailleurs ; je voulais examiner mes plantations de jeunes arbres, celles de cannes à sucre, mes champs de blé et de maïs, et, d'après l'état piteux du jardin, j'avais tout à craindre. Je pris donc tristement le chemin de l'allée d'arbres fruitiers qui conduisait à Zeltheim, m'attendant à les trouver tous cassés, arrachés, et n'existant plus. O douce surprise! Ils étaient, il est vrai, à demi couchés sur la terre, ainsi que les bambous qui les soutenaient, et les avaient fait plier comme eux sans se casser. Très peu étaient déracinés, aucun entièrement; et je vis que, dans deux ou trois jour

nées de travail, moi, Fritz et Jack, nous pourrions les relever. Quelques-uns avaient déjà commencé à donner du fruit; il était tombé, et la petite récolte de cette année était perdue; mais c'était peu de chose auprès de ce que j'avais craint; n'ayant plus de plant de ces fruits européens, je n'aurais pu les remplacer. Décidé d'ailleurs à habiter à présent, toute l'année, ma solide maison de Zeltheim, à l'abri de la foudre et de la pluie, il était essentiel pour moi d'y avoir de l'ombre: mes nouvelles plantations en donnaient peu encore, et je tremblais de proposer à ma femme, qui craignait la chaleur, de venir habiter entre ces rochers brûlans. Je l'avoue, je regrettais alors amèrement que le capitaine Johnson n'eût pu venir nous emmener. Je réfléchissais tristement en regardant la masse de rochers immenses au dessus de notre demeure, et la petitesse des arbres qui l'environnaient, François cherchait et cueillait des fleurs pour porter un bouquet à sa mère; notre île en produisait de très belles, inconnues en

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