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et qui leur coûterait bien des regrets dans le moment actuel, mais qui ne leur présentait aucune chance de bonheur pour l'avenir. Combien de fois j'avais pensé avec anxiété aux longues années que mes enfans avaient à passer sur cette plage déserte, soutenant leur misérable existence par un travail pénible et continuel, sansa voir pour stimulant le bonheur de travailler pour leur famille, seuls,privés des plus doux liens de la nature, lorsque leur mère et moi aurions cessé d'exister; sans femme, sans enfans, sans aucun intérêt dans cette vie, que leur propre conservation et leur amour fraternel, qui s'altérerait peut-être quand nous ne serions plus là pour l'entretenir ! Ils s'aimaient sans doute; mais, ainsi qu'on a pu en juger, leurs caractères avaient peu de rapport; cependant, avec des nuances différentes, ils étaient tous quatre de très-bons enfans. Je n'en étais que plus af- fligé en pensant à leur avenir et à leur triste et solitaire vieillesse, et j'étais bien décidé, s'ils ne voulaient pas retourner en Europe

avec le capitaine Johnson, de conjurer ce dernier de nous envoyer des colons pour peupler notre île, et d'avoir soin qu'il y eût dans le nombre quelques jeunes et belles filles.

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Après avoir quitté le lieutenant Bell, je revins à Falkenhorst tout occupé de ces pensées. On se rappelle que j'en étais parti seul de grand matin, ayant aperçu du haut de notre arbre le vaisseau en mer, avec ma lunette d'approche. Je m'attendais à trouver tous mes bien-aimés dans une grande inquiétude sur mon absence. J'étais parti seul, et, contre ma coutume sans avoir rien pris à déjeuner, sans avoir donné aucune tâche à mes fils, ni rien concerté avec eux sur l'emploi de notre journée. Ma conférence avec le lieutenant Bell avait été longue; il était plus de midi, et sachant combien ma femme était prompte à s'alarmer, je fus surpris de ne voir venir au devant de moi ni elle, ni aucun de mes fils. J'en conçus de mon côté une crainte, qui ne fut que trop tôt réalisée quand,

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après avoir monté rapidement l'escalier tournant, je trouvai mon excellente Elisabeth, ma fidèle compagne, étendue sur son matelat, entourée de ses quatre fils, et paraissant souffrir beaucoup. Cependant, au moment où j'entrai, tous, et même la pauvre malade, jetèrent un cri de joie, auquel je répondis par un cri de douleur. « Au nom du ciel! m'écriai-je, qu'est-il arrivé? Chère amie, qu'as-tu donc ?» Tous voulaient parler à-la-fois, et je n'entendais rien. Ma femme leur imposa silence par un geste, et ce fut elle qui me raconta qu'ayant voule descendre l'escalier, elle avait été saisie d'un vertige; qu'elle était tombée assez rudement pour ne pouvoir se relever sans aide, et qu'elle ressentait de violentes douleurs à la jambe droite et au pied gau

che.

FRITZ. Nous sommes allés bien vîte là, Ernest et moi, pour la porter sur son lit, non sans peine, l'escalier est si étroit; mais elle souffre toujours davantage, et nous ne savons que lui faire.

JACK. Je n'ai cessé de frotter son pied; mais il enfle toujours de plus en plus, ainsi que la jambe, qu'on n'ose pas toucher, tant elle lui fait de mal.

FRANÇOIS. Et moi je souffle chaud dessus. Elle m'a dit que je lui faisais du bien.

ERNEST. Je me rappelle, mon père, que dans les caisses que nous avons apportées du vaisseau et que nous n'avons pas ouvertes, il y en a une intitulée médicamens : n'y en aurait-il pas qui pussent soulager

maman?

LE PÈRE. Peut-être, mon fils : tu fais bien de m'y faire penser, et nous irons la chercher; elle est restée à Zeltheim, mais je connais la place et je l'aurai bientôt trouvée. Fritz, tu viendras avec moi pour m'aider à la porter. »

Je voulais avoir ce prétexte d'être seul avec lui, pour lui apprendre l'apparition de la chaloupe anglaise et du lieutenant Bell, et que j'attendais le lendemain le capitaine Johnson; je voulais surtout à présent consulter sa bonne tête sur les moyens d'y pré

parer sa mère sans lui causer trop d'émotion.

Avant de la quitter, je voulus examiner cette jambe et ce pied, qui étaient si douloureux qu'à peine pouvait-elle retenir ses plaintes. Lorsque je me destinais à l'état ecclésiastique, j'avais joint à mes études théologiques un cours de médecine et même de chirurgie pratique, pour venir au secours de mes pauvres paroissiens, non-seulement pour l'ame, mais aussi pour le corps. Nos curés de village dans la Suisse allemande sont très-souvent dans des montagnes, et dans des villages écartés, où l'on n'est à portée ni de médecins ni de chirurgiens un pasteur est heureux de pouvoir les remplacer. Je savais saigner, remettre un membre disloqué. Au moyen d'une petite pharmacie portative, j'avais souvent fait des cures; et quoique j'eusse un peu négligé ma science depuis notre séjour dans l'île, où nous nous portions tous si bien, j'espérais me la rappeler assez pour être en état de guérir aussi ma chère compagne. Je commençai

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