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qu'il était avant l'orage, mais de faire la digue qui devait le garantir à l'avenir des inondations ; c'est ce qui nous donna le plus de peine. Pendant que nous étions à l'ouvrage, Fritz me proposa de pratiquer un conduit en pierre, pour faire écouler dans notre potager de l'eau du ruisseau, qui y rentrerait après avoir circulé autour de nos planches de légumes. Cette idée nous épargnait tant de peine à l'avenir, qu'il fallut bien l'adopter, et faire ce travail. Il fut considérable; il fallut creuser la terre assez profondément, à près d'un quart de lieue de longueur, et construire au fond notre conduit d'eau, en ayant soin de bien observer la pente. Fritz, assez bon géomètre, m'aida pour cette partie; Jack choisissait les pierres dans le lit du ruisseau, lui et Fritz les apportaient sur une claie, et François me les tendait à mesure. Je creusai aussi un étang au dessus du jardin, où la conduite amenait l'eau, qui se réchauffait au soleil et pouvait remplir à volonté, au moyen d'une écluse, les petits canaux d'arrose

ment : cet étang pouvait aussi nous servir de réservoir pour de petits poissons et des écrevisses, , que nous trouverions tout prêts au besoin.

seau,

Nous nous occupâmes ensuite de la digue. J'avais été, avant mon mariage, instituteur en Hollande, ce qui m'avait donné l'idée d'une pareille construction, que je fis très légère, afin de pouvoir remédier facilement aux défauts que j'y trouverais. Elle devait nous garantir de la crue extrême du ruisdans les temps de forte pluie, et de l'eau découlant des rochers. Nous traçâmes ensuite nos compartimens de jardin sur le plan que ina femme avait adopté ; je fis seulement les sentiers plus larges et plus bombés, et j'en traçai un qui allait en ligne droite à notre maison; je me promis d'y planter des arbustes en automne, pour que ma femme pût aller à l'ombre à son jardin, où j'arrangeai aussi une place pour une tonnelle de verdure, garnie de bancs sur lesquels elle pût se reposer. Il croissait contre les rochers une telle quantité de plantes

grimpantes produisant des fleurs charmantes, que je n'avais qu'à choisir pour garnir bien vite mon treillage.

Tout cela et la fermeture du jardin, qui fut enclos d'une palissade de bambous contre les invasions des chiens et des chacals, nous prit près de quinze jours, pendant lesquels la guérison de nos chers blessés avançait. Ils se trouvaient si bien ensemble, qu'ils prenaient leur parti de nos absences nécessaires. Je leur laissais souvent François pour les soins du ménage et pour faire plaisir à sa maman ; elle aimait aussi beaucoup Ernest, plus doux, plus tranquille que Fritz et Jack, et qui l'amusait par ses lectures.

Enfin le jardin fut fini, et François me tourmenta pour commencer sa galerie. Ses deux frères furent enchantés de mon plan, qui donnerait très-bonne façon, disaientils, à notre demeure, et l'empêcherait de ressembler à une caverne.

JACK. Une caverne, avec des portes et des fenêtres où as-tu vu cela?

FRITZ. Ou bien une grotte de sel, si tu

l'aimes mieux; mais elle n'en est pas moins bonne et commode, et le sera plus encore quand elle aura un joli balcon en colonnade, et à chaque bout un petit pavillon avec une fontaine au milieu.

LE PERE. Je n'ai pas dit un mot de ces pavillons, comment l'entendez-vous ?

JACK. Oh! bien nous, papa, nous en avons parlé ; j'entends Fritz et moi. Ces pavillons sont de notre invention: la galerie s'appellera Franciade, à la bonne heure ; mais l'un des cabinets s'appellera Fritzia, et l'autre Jackia, à vous servir.

LE PERE. Fort bien; mais où prendrezvous l'eau pour vos fontaines?

FRITZ. A la cascade, mon père; elle n'est pas épuisée, et un filet d'eau viendra fort bien jusque chez nous.

LE PÈRE. Par enchantement, sans doute? Je ne vois pas d'autre moyen de lui faire

franchir cette distance.

JACK. Et n'y a-t-il pas des bambous dans le monde, des cannes àsucre, des palmiers à sagou, dont un seul suffirait, et votre arbre

à moelle, et tant d'autres qui ne demanderont pas mieux que d'apporter de l'eau dans nos fontaines?

LE PÈRE. Et de se percer tout seuls ? Petit fanfaron, je voudrais bien voir comment tu t'y prendras pour faire couler l'eau dans les tuyaux et les attacher l'un à l'autre.

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FRITZ. Laissez-nous faire mon père, nous en viendrons bien à bout; puisque ces pavillons seront nos filleuls, c'est à nous à en avoir le soin. Si vous voulez bien seulement nous aider à les construire, nous nous chargeons des fontaines; pensez quel plaisir elles feront à ma mère ! »

J'étais charmé de voir à mes fils de l'imagination, de l'invention et du zèle pour obliger leur mère: son malheur avait donné plus de force à leur amour filial: ils ne pensaient tous qu'à la consoler, à la distraire, à la caresser. Elle me disait quelquefois qu'elle bénissait cet accident, qui lui avait appris combien elle était aimée de ceux qu'elle chérissait.

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