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CHAPITRE XLIV.

La forge; les fontaines; divers travaux.

Le lendemain était un dimanche, et j'en fus bien aise. Outre la solennité de ce jour, où j'aimais à m'occuper plus particulièrement avec ma famille de notre Créateur et de notre Sauveur, mes enfans, à l'exception d'Ernest, avaient besoin de ce jour de repos. Ils avaient mis un si grand zèle, une telle activité à l'exécution de nos projets pour procurer à leur mère une agréable surprise, que je craignais que Jack et surtout François n'eussent excédé leurs forces. Quand je laissais ce dernier à Falkenhorst, il se dépêchait vite de faire son ouvrage, et dès qu'il avait préparé le dîner de sa mère, il se hâtait de nous joindre à Zeltheim pour nous apporter le nôtre, et travailler tout le reste du jour. Quelquefois, lorsqu'il était

trop chargé, il montait sur le cou de son taureau; mais le plus souvent il venait à pied, et je le préférais, craignant toujours quelque incartade de maître Vaillant, qui avait alors toute la fougue de la jeunesse. Je déclarai donc que je voulais que le jour du repos du Seigneur lui fût entièrement consacré et fût aussi celui de ma famille. La mère, heureuse de nous voir tous rassemblés autour d'elle, nous assura qu'elle serait bientôt guérie.

«Non pas si tôt, je vous en prie, lui dit Jack, pas avant quinze jours.

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LA MÈRE. Comment, mon cher enfant serais-tu donc fâché de me voir debout avant quinze jours ?

FRANÇOIS. Oui, bien fâché. Vous voudriez courir, travailler, et vous vous casseriez encore la jambe ; n'est-ce pas, mon père, il faut que maman ne se lève pas avant quinze jours, lorsque son jardin commencera à lever ? » Elle rit et le lui promit.

Après une journée passée en actes de dé

votion et en doux entretiens, mes fils aînés

me demandèrent la permission d'aller se promener jusqu'à notre ferme de Waldeck, et j'y consentis. Ernest, qui depuis longtemps n'avait pas fait d'exercice, était bienaise de faire cette course; François n'aurait pas mieux demandé, mais j'exigeai de lui de rester avec nous, et lui donnai une leçon de lecture et d'écriture. Ses frères revinrent avant la nuit : Fritz, avec un léger signe d'intelligence, me dit qu'il avait trouvé là bien du désordre, et qu'il serait essentiel d'y travailler quelques jours, ainsi qu'à nos plantations de maïs et de pommes de terre. C'était prendre ma bonne Élisabeth par son faible que de lui parler des provisions du ménage; elle nous encouragea à ce travail, en s'affligeant de ne pouvoir pas nous aider.

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Le lendemain, quoique éveillé de bonne heure, je trouvai que Fritz et Jack étaient partis depuis long-temps. Je supposai qu'ils étaient à Zeltheim, où je me proposais de les aller rejoindre après avoir soigné notre bétail; mais, à ma grande surprise je ne

trouvai dans nos écuries que l'âne, s'ennuyant de sa solitude et faisant des hi, ha', à en perdre la tête; je l'apaisai en lui donnant à manger, et je fus bien aise de l'avoir pour faire cheminer sur lui mon bon petit François. Je m'aperçus aussi que mon chariot était démonté, et qu'ils avaient emporté les quatre roues ; cela m'expliqua le but de leur émigration. Dans leur promenade de la veille, ils avaient sûrement cherché et découvert quelque arbre propre à faire les tuyaux de leurs fontaines, et ils étaient occupés à l'abattre et à le transporter à Zeltheim. Comme je ne savais où les trouver, je les laissai à leur ouvrage, et j'allai prendre congé de ma femme et d'Ernest, qui était presque guéri; mais il n'aurait pas encore pu nous aider à notre grosse besogne, et soignait très bien sa mère. L'âne porta François, qui sautait de joie de ce que j'allais enfin commencer sa galerie. J'en traçai d'abord le plan sur le terrain en prenant toutes mes mesures. A la distance de douze pieds environ du rocher qui formait la façade

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de notre maison, je marquai une ligne droite d'environ cinquante pieds, que je divisai en dix espaces de cinq pieds en cinq pieds, pour ma colonnade; les deux bouts furent réservés pour les pavillons que mes fils voulaient construire. J'étais occupé de mon calcul, et de faire planter par François de petits jalons aux places où je voulais creuser, quand j'entendis rouler le char, et que je le vis bientôt paraître escorté de mes deux braves ouvriers, la hache sur l'épaule. J'avais bien deviné: ils avaient cherché et trouvé la veille une espèce de pin qui leur avait paru ce qu'il fallait pour leurs tuyaux ; ils en avaient abattu quatre de quinze à vingt pieds chacun, et de la grosseur d'un sapin ordinaire ; puis, ayant posé leurs arbres sur les roues à la distance nécessaire, ils avaient attelé leurs quatre bêtes à ce train; Jack les conduisait, et Fritz, placé derrière, veillait à ce que rien ne s'accrochât aux arbres et aux longues herbes. Ils avaient eu beaucoup de peine, mais le plus difficile restait à faire ; il fallait

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