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ERNEST. Et moi des plantes et des curiosités naturelles.

JACK. Moi, je ne serais point fâché d'y trouver une gentille petite amie. »

Pour faire cesser cette conversation, au moins inutile, je dis à mon fils aîné de nous raconter ce qui les avait amenés là.

FRITZ. Absolument le hasard, mon père, ou plutôt notre bonne étoile. Peu de jours après que nos travaux de Zeltheim furent terminés, nous nous promenions, Ernest et moi, autour de ces rochers; il me parlait de son désir de causer aussi une surprise à ma mère, pour fêter son rétablissement; mais il ne savait à quoi se décider. « Je voudrais, me disait-il, lui procurer un moyen de se reposer à l'ombre, en allant à son jardin ; ce sentier est brûlant et n'offre pas le moindre ombrage; ces jeunes arbres n'en donneront pas de long-temps ; si nous faisions ici une tente ?» Mais le sentier était trop étroit, et le rocher, échauffé par le soleil, était comme un poêle. Nous étions là à réfléchir sur ce qu'il pouvait faire,

quand j'aperçus tout à coup au sommet du rocher un petit quadrupède charmant, et que je n'avais point encore vu dans notre île. A sa forme svelte et légère, à sa belle couleur fauve, à son attitude, je l'aurais pris pour un jeune chamois si j'avais été en Suisse ; mais Ernest me dit avec raison que le chamois ne se plaît que dans les pays froids et près des glaciers; qu'il croyait que c'était une gazelle ou un antelope, et comme cet animal ne se trouve guère qu'en Afrique, aux Indes orientales et au Sénégal, il pensait que celui-là était la gazelle de Guinée ou celle de Java, que les naturalistes désignent sous le nom de memina chevrotain (1). Vous comprenez,

(1) La gazelle ou antelope est un charmant quadrupède à pied fourchu et de l'ordre des ruminans ; leurs caractères distinctifs sont des cornes creuses et persistantes, cannelées, et se rapprochant par les bouts, comme les branches d'une lyre. Leurs oreilles sont assez grandes, droites et terminées en pointe, sans poil en dedans, où la peau est noire et polie comme de l'ébène. Leur taille est élégante et svelte; elles varient

mon père, que le désir d'avoir ce charmant animal mort ou en vie s'empara de moi tellement, que j'essayai de gravir le rocher sur lequel elle restait comme immobile, un pied levé et sa jolie tête se tournant de tous côtés. Je ne pus parvenir à grimper sur ce roc à pic et tout uni ; j'aurais d'ailleurs fait

de grandeur, suivant les pays, mais n'excèdent pas celle du chevreuil ou de la chèvre domestique, et sont souvent plus petites. Leurs jambes, extrêmement fines et déliées, sont plus courtes devant que derrière, ce qui leur donne une grande facilité pour courir en grimpant, ainsi que le chamois, qui est la gazelle européenne. Elles gravissent les rochers les plus escarpés avec une vitesse incroyable; c'est dans cette agilité de course que consiste leur défense: le moindre bruit les fait partir comme un trait, et il est très difficile de les atteindre. Leur couleur générale est fauve, plus ou moins foncée sur le dos ou blanche sous le veutre, avec une bande brune qui sépare ces deux couleurs; les yeux sont noirs, assez grands, très vifs et brillans. Elles aiment les contrées chaudes et sablonneuses. On en rencontre des troupeaux dans les déserts de l'Afrique. Celle connue sous le nom de memina ou chevrotain de Java est un peu plus graude, d'un fauve plus foncé, avec des bandes blanches et point de cornes.(Dictionnaire d'Histoire naturelle.)

fuir la gazelle, qui est d'un naturel timide et farouche. Je me rappelai que près de Zeltheim il y avait une place où la bande du roc paraissait interrompue et offrait une espèce de passage pour le tourner ; j'y courus, Ernest m'accompagna, et nous trouvâmes qu'en effet nous pouvions, avec un peu de peine, escalader le roc un peu plus bas, là où il présentait plusieurs inégalités. Ernest se moquait de moi, il me demandait si je croyais que ma gazelle m'attendrait paisiblement. N'importe, je voulais au moins l'essayer; un bon chasseur ne connaît ni peines ni difficultés. Je dis à mon frère qu'il pouvait rester et m'attendre; mais bientôt il eut autant d'envie que moi de gravir au sommet ; il crut voir briller dans les fentes du rocher une fleur de la plus belle couleur de rose, qu'il ne connaissait point encore. Mon savant botaniste jugea que c'était une erica ou bruyère arbre, et voulut s'en assurer: ainsi, nos deux passions mises en activité nous firent surmonter les difficultés; et nous aidant l'un l'autre, nous accrochant

aux pierres, aux buissons, nous parvînmes au dessus de la bande de rochers, et nous fûmes déjà récompensés de nos fatigues par la vue superbe qui s'offrit à nous de tous côtés. Nous en reparlerons, mon père; j'ai pu déjà me faire une idée de la contrée dont les rochers nous séparent, revenons d'abord à ce que vous voulez savoir, à la découverte de cette belle grotte. J'allais en avant, regardant de tous mes yeux si je ne voyais pas ma jolie gazelle, et j'eus le plaisir de la retrouver encore, léchant un morceau de roc, où sans doute elle trouvait du sel. Il me semblait que j'en étais à peine à cent pas, et quoique je n'eusse d'autre chemin que des pointes de roc et des pierres, j'avançais doucement, tenant mon fusil en joue, lorsque je fus tout-à-coup arrêté dans ma marche par un précipice qni ne laissait aucun passage. Les rochers recommençaient au-delà en pointes saillantes; mais aucun moyen de passer : l'ouverture, sans être très large, l'était trop cependant pour pouvoir la traverser. Le joli quadrupède

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