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A chaque refrain, nous fimes chorus; aucun de nous ne pensait ni à un vaisseau, ni à l'Europe, ni à rien de ce qui se passe dans Je monde; notre île était notre univers, et

notre Zeltheim un palais plus beau que tous ceux qu'on vante, et que nous n'aurions pas échangé contre aucun de ceux où l'on n'est sûrement pas aussi heureux que nous l'étions. Ce fut une de ces journées rares que le ciel accorde quelquefois à l'homme pour lui donner une idée de la béatitude céleste; et nos jours de tribulations passées y ajoutaient encore. Tous nos sentimens étaient d'accord, tous exprimés et sentis avec la même affection, tous liés à nos devoirs les plus sacrés, et approuvés par notre conscience; nous étions contens les uns des autres, de nous-mêmes, et tous nos cœurs étaient également pénétrés d'amour et de reconnaissance pour notre Créateur et Conservateur, et pour notre divin Sauveur. Qu'elle fut ardente et sincère la prière d'actions de grâces qui termina ce doux repas ! Nous ne demandâmes à notre Dieu que la continuation de sa protection miraculeuse et des biens qu'il nous accordait; il nous semblait, dans cet instant de bonheur, que tout vœu téméraire pour l'aug

menter l'aurait peut-être détruit, et qu'il nous suffisait de rester ensemble. Hélas! ce ne fut qu'un moment de douce illusion, du moins pour moi; j'en revins bientôt à mes désirs vagues, au lieu de me confier entièrement à celui qui sait mieux que nous ce qui nous convient, et compte tous les cheveux de notre tête.

Revenons à ce jour fortuné dont nous n'avons pas encore épuisé toutes les délices; il nous reste à voir la grotte Ernestine, et le jardin, et la digue, et la tonnelle. Après le dîner, je déclarai à ma femme qu'elle ne retournerait pas à Falkenhorst ; que je ne pouvais me résoudre à lui voir encore monter et descendre l'escalier tournant, et courir les risques d'une seconde tempête; qu'à Zeltheim elle serait tout-à-fait en sûreté, et pourrait se promener facilement, soit à pied, appuyée sur l'un de nous, soit dans son panier; et qu'elle ne saurait mieux récompenser ses fils de la peine qu'ils avaient prise pour embellir sa demeure qu'en l'habitant avec eux. Elle fut du même avis, et

se réjouit d'être aussi près de sa cuisine, de ses provisions, et de pouvoir déjà, à l'aide d'un bâton, se promener seule sur la galerie; mais elle me fit promettre cependant ce que j'avais déjà résolu, de laisser Falkenhorst comme il était, et d'en faire un joli but de promenade : quelque charme qu'eût acquis Zeltheim, le château d'arbre avait encore le mérite d'avoir été inventé par elle. Nous convînmes que, dès ce même soir, elle coucherait dans sa jolie chambre, toute prête, garnic de notre bon tapis de feutre, lequel elle marcherait plus mollement, et que, le lendemain, j'irais, avec les bêtes et mes fils aînés, chercher notre chariot et les ustensiles de ménage dont nous avions besoin, sans oublier toute notre volaille. Nos chiens ne quittaient jamais leurs jeunes maîtres, et nous avaient suivis, ainsi que notre Kneps et le chacal de Jack; ils étaient tous si privés, si bien accoutumés à nous, qu'ils ne nous donnaient aucune peine.

sur

J'engageai ma femme à passer dans sa chambre et à s'y reposer pendant une heure,

après quoi nous la mènerions à son jardin. Après son repos, elle trouva en dehors de la galerie ses quatre fils prêts à la porter dans le panier, comme dans une chaise à porteur; les deux ainés auraient suffi, mais les cadets ne voulurent pas céder leur part de ce plaisir. Lorsqu'elle fut assise, chacun saisit un des bambous; ils portèrent ainsi l'heureuse mère le long du rocher, et ils entrèrent tout droit dans la grotte, où je les attendais. Nouvelle surprise de la bonne mère : « Qu'est cela? Où me menez-vous? » disait-elle. Cachée sous son grand chapeau, elle n'avait vu la grotte qu'au moment où elle y était entrée. Ses fils la déposèrent devant l'autel, derrière lequel j'étais debout comme le grand-prêtre; chacun de nos enfans se plaça aux coins devant les colonnes. Jack et François sortirent leurs flageolets et accompagnèrent Fritz et Ernest, qui chantèrent en partie le couplet suivant, qu'Ernest avait ajouté à sa romance.

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