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Nous offrons la grotte Ernestine
Au cher objet de notre amour.
Grand Dieu, que ta bonté divine
Veille sur nous dans ce séjour !
A tes ordres chacun docile
T'adore ici du fond du cœur :
Laisse-nous couler dans notre île

Des jours de paix et de bonheur.

Je n'essaierai pas de rendre l'effet de ce concert de famille, de ces voix si jeunes, si fraîches, répétées par les échos du rocher. Mon fils aîné avait une belle basse-taille, Ernest un charmant ténor, et les deux cadets accompagnèrent très bien de leurs flageolets. Ni leur mère ni mơi n'aurions pu nous y joindre; notre émotion était trop vive, nous versions tous les deux de douces larmes; elles prévinrent le mal que cette émotion aurait pu faire à ma femme. Au bas du vase de fleurs, Ernest avait écrit sur le bloc de sel en style lapidaire (1):

(1) C'est ainsi qu'on appelle le style des inscriptions gravées.

Ernest, aidé de son bon frère Fritz,
A rangé cette grotte

Pour le repos de sa mère chérie,
Lorsqu'elle ira travailler
A son jardin.

Ernest conduisit ensuite sa mère sur le siége qu'il lui avait préparé : il avait étendu de la mousse sur un des bancs de débris, sur lequel elle se reposa mollement, en écoutant, avec le plus vif intérêt, le récit de la découverte de la grotte. Ce fut ensuite mon tour de lui présenter mon cadeau : le jardin, la digue, l'étang et la tonnelle; elle y alla à pied, appuyée sur mon bras, et son ravissement fut extrême, en trouvant son empire si bien arrangé, elle avait peine à s'y reconnaître ; l'étang, qui lui donnait la facilité d'arroser ellemême ses légumes, fut sur-tout ce qui l'enchanta, ainsi que la tonnelle ombragée, sous laquelle elle trouva tous ses outils de jardinage, ornés de fleurs et augmentés de deux arrosoirs très légers, composés de deux grosses calebasses que Jack et François

avait creusées; ils y avaient adapté trèsartistement des tuyaux avec une courgebouteille percée au gros bout comme les arrosoirs elle leur fit le plaisir de s'en servir d'abord, ils étaient très-légers et versaient à merveille. La digue aussi la surprit beaucoup, il fallut lui en expliquer l'usage; elle eut l'idée de mettre au dessus des plantes d'ananas et de melons, qui seraient là comme dans une couche, et je le lui promis. Elle donna sa bénédiction aux plants de légumes qui commençaient à ver dir et nous promettaient d'excellentes provisions européennes, qui avaient un grand charme pour elle. Après m'avoir témoigné sa tendre reconnaissance, elle reprit mon bras pour retourner à la grotte Ernestine, où nous avions laissé sa chaise à porteurs; elle y remonta après un quart d'heure de repos sur son banc de mousse, et reprit le chemin de Zeltheim pour se reposer d'une journée bien douce, mais bien fatigante, au moral comme au physique, par tout ce qu'elle lui avait fait éprouver. Nous ne nous

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couchâmes pas sans avoir remercié Dieu à genoux de tous les bienfaits dont il nous comblait ; j'y joignis l'instante prière de me donner une résignation complète à sa volonté sur moi et mes enfans : je me décidai à jouir du présent sans penser à l'avenir. Mes quatre fils étaient encore heureux, parce qu'ils étaient encore innocens et sages; les deux aînés étaient déjà dans l'âge des passions : mais n'entendant aucun propos, ne faisant aucune lecture, ne voyant aucun objet qui pût les exciter étant toujours occupés de travaux utiles et pénibles, ils n'avaeint pas même le temps de se livrer aux rêveries vagues qui tourmentent la jeunesse. Ils joignaient à la pureté, la naïveté de l'enfance, la force et l'intelligence de leur âge, et pour leur mère et pour moi un attachement plus vif, plus tendre, plus actif que celui qu'on partage dans la société avec d'autres objets; et puis, si nous les voyions malheureux, agités, désirant une autre existence, un autre séjour, d'autres relations, etc., n'avions-nous pas notre pinasse

et la possibilité de rentrer dans le tourbillon du monde, qu'aucun ne regrettait ni ne désirait encore ? Ma femme ne cessait de répéter que la fête de sa convalescence n'aurait pas été célébrée ainsi en Europe. « Là, disait-elle, on donne un bouquet, un ruban, un petit bijou de fantaisie; ici, j'ai reçu une voiture, un balcon, des pavillons, des fontaines ornées, une immense grotte, un jardin, un étang, une tonnelle et un chapeau de Montreux. Ah! comme je suis riche et heureuse! » Elle s'endormit avec cette douce pensée, et son bonheur recommença le lendemain.

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