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des buffles tant qu'on en veut; il y en a par centaines, et tous plus gros que le mien. LE PÈRE. Tu exagères un peu, mon ami il y en avait au plus une trentaine et, suivant toute apparence nous en retrouverons. Mais cet animal n'est hostile et méchant que lorsqu'on l'attaque ou qu'on l'effraie. Ceuxci, qui ne connaissent point l'homme et n'ont pas appris à s'en défier, ne nous feront aucun mal. Mais garde-toi bien, Fritz, de tirer un coup de fusil, cette explosion les rend furieux, alors ils sont très-dangereux : je ne veux pas même prendre nos chiens dans cette excursion, ils faillirent nous perdre en les attaquant. En général, dis-je à mon fils aîné, je ne puis assez te recommander de ménager notre poudre; il ne nous en reste plus pour bien long-temps, pour une année tout au plus, en ne la prodiguant pas, et il peut se trouver des occasions où elle serait pour nous un grand moyen de défense. J'ai dessein d'en faire, me répondit Fritz, qui ne trouvait jamais de difficulté à rien ; je sais déjà de quoi elle

se compose, vous nous l'avez dit à propos du tonnerre: c'est du charbon, du salpêtre, du nitre et du soufre; nous devons trouver ces ingrédiens dans notre île, il s'agit seulement de les combiner et de les mettre en petits grains ronds, et c'est là ce qui m'embarrasse; mais j'y penserai, et d'abord il faut mon moulin. Je me rappelle confusément avoir vu à Berne une fabrique de poudre ; c'étaient des rouages qui allaient au moyen de l'eau ; ces rouages faisaient mouvoir des espèces de marteaux qui pilaient et mêlaient ensemble ces ingrédiens. N'est-ce pas cela, mon père?

LE PERE. A-peu-près, mon fils; mais nous avons bien des choses à faire avant la poudre. Pour commencer, allons dormir ; il faut partir avant le jour si nous voulons revenir coucher ici. » Nous fûmes en effet, levés bien avant le soleil, qui ne se leva point pour nous.Le temps était très-nébuleux et tourna tout à coup en pluie abondante et continuelle, qui nous força d'ajourner notre voyage, et nous mit tous de mauvaise humeur, à l'exception de ma femme, qui n'é

tait pas fâchée de nous garder, et disait que cette bonne pluie arroserait son jardin et le terait pousser. François, qui ne devait pas être du voyage, pestait presque autant que nous du retard. Comme grand amateur des contes de fées, il aimait toutes les choses nouvelles, extraordinaires, et se réjouissait d'avance de tout ce que nous lui raconterions, et d'y aller une fois à son tour, qui était aussi retardé.

Fritz fat celui qui se consola le premier ; il ne songeait plus qu'à la construction de ses moulins, à la fabrication de la poudre, et me fit mille questions sur ces deux objets. Il me pria de lui dessiner un moulin ; ce qui fut très-facile pour l'extérieur, c'est-à-dire la roue et la chute d'eau qui la met en mouvement: mais l'intérieur, l'engrenage des rouages, les meules pour écraser le grain, les tamis ou bluteaux pour passer la farine et la séparer du son, toute cette manutention était plus compliquée, et j'eus de la peine à lui donner les explications nécessaires ; mais il comprenait tout, devinait tout, me disait

en y

son refrain accoutumé: J'essaierai et j'y parviendrai. Pour ne pas perdre de temps et profiter de ce jour de pluie, il se mit à commencer à faire des tamis de différentes matières, qu'il assujettissait à un cercle de bois pliant, et dont il éprouvait la finesse faisant passer de la farine de cassave; il en fit quelques-uns avec de la toile de voile, et d'autres avec des crins de notre onagre, qui sont très-durs et très-longs; d'autres encore avec des filamens d'écorce.Sa mère admira son travail, qu'il perfectionna de plus en plus ; elle lui dit que cela seul suffirait, qu'il était inutile de se donner le tourment de faire un moulin, et qu'elle aurait bien la patience de passer elle-même la farine au tamis.Fritz,qui ne songeait qu'à son moulin, ne fut point de cet avis: « Et le grain, ma mère, comment l'écraserons-nous ? Nous aurions trop de peine, et ce serait trop long.

JACK. Crois-tu donc ne point avoir de peine à faire ton moulin ? Je suis curieux de voir comment tu t'y prendras pour fabriquer

cette grosse pierre creusée qu'on appelle une meule.

FRITZ. Bah! entre nous deux ce sera bientôt fait; trouvons seulement la pierre. Croyez-vous, mon père, que celle de nos rochers soit bonne ?

LE PERE. Elle m'a paru fort dure lorsque j'ai voulu faire notre demeure ; mais vous pourrez difficilement en tailler dans le roc un morceau assez gros pour cet usage. »

Fritz me fit sa réponse accoutumée : J'essaierai; Ernest et Jack m'aideront, et peut-être vous aussi, mon père?

LE PÈRE. Sans aucun doute; mais tu seras cette fois le chef de l'entreprise, le maître maçon, et nous trois les ouvriers.

FRANÇOIS. Et moi, pour quoi me comptez

vous?

LE PÈRE. Toi? tu seras le brasse-mortier, le petit manœuvre.

FRANÇOIS. A la bonne heure, pourvu que je sois quelque chose dans ce beau moulin ; je suis déjà impatient de le voir

tourner.

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