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JACK. Tu auras bientôt ce plaisir ; c'est une bagatelle, il ne nous manque que la pierre, le bois, les outils et la science. » Au mot de science, Ernest qui lisait dans un coin sans nous écouter, leva le nez en disant: «< Quoi? de quelle science est-il question ?

JACK. De celle que tu ignores, monsieur le savant; voyons, sais-tu faire un moulin?

ERNEST. Un moulin ! lequel veux-tu ? Il y en a de plusieurs sortes ; c'est précisément ce que je cherche dans mon dictionnaire moulin à blé, moulin à poudre, moulin à huile, moulin à vent, moulin à moulin à bras, moulin à scier: duquel est-il question? En voilà à choi

eau,

sir. »

Fritz aurait voulu les avoir tous. « Tu me fais penser, dis-je à Ernest, que nous avions apporté du vaisseau un moulin à bras et un à scier, démontés il est vrai, mais étiquetés; ils doivent être dans le magasin où vous avez trouvé l'enclume, les

outils de forgeron et les barres de fer; je les avais oubliés.

-Allons vite les examiner, dit Fritz en battant le briquet pour allumer sa lanterne, cela me donnera des idées. - On t'épar gnera la peine d'en avoir et de les exécuter, lui dit sa mère. »

Je les laissai aller tous les quatre à la recherche de nos trésors du vaisseau, entassés dans un endroit si obscur que, ne les voyant point, je les avais oubliés en partie. Quand je fus seul avec ma femme, je la priai sérieusement de ne pas s'opposer aux occupations de nos fils, fussent-elles même au-delà de leurs forces et de leur pouvoir. « L'essentiel, lui dis-je, est de ne pas leur laisser un jour, s'il est possible, un moment d'oisiveté, excepté le jour du repos, où de bonnes lectures de dévotion remplaceront le travail, du moins en arrêtant mieux encore les mauvaises pensées et les écarts de l'imagination. Laisse-les s'occuper de leurs travaux, de leurs projets ; laissons-les de les réaliser. S'ils n'y réussissent

essayer

pas,

ils auront gagné d'avoir moins de présomption et cependant la pensée d'avoir employé leur temps avec l'intention d'être utiles et l'émulation d'y parvenir une autre fois. Quand ils reviendront le soir bien harassés de leur journée laborieuse, ils ne songeront qu'à dormir ; ils n'auront ni regrets sur leur sort, ni désirs inutiles, ni ennui, ni satiétés; car nous n'avons trop de rien, et chaque nouve'le découverte peut nous procurer une nouvelle jouissance, et tous leurs essais leur ouvrent l'esprit et leur donnent des idées. La jeunesse est ardente, elle forme des projets, elle bâtit des châteaux en Espagne et ici des pavillons, de jolies fontaines et des moulins. N'aimes-tu pas mieux que tes fils s'occupent à t'en faire un, que si tu les voyais s'affliger, se dépiter d'être relégués dans une île déserte, loin de tous les plaisirs de leur âge, sans amis, sans femmes ? Ah! laisse-les tailler la pierre, fendre le bois, creuser des fontaines, faire des collections, et bénis le ciel que leurs innocentes pensées se tournent de ce côté-là. }}

Elle me comprit et me promit de les encourager; mais, en tendre mère, elle craignait ponr eux l'excès de la fatigue ou quelque accident.

« Rassure-toi, lui dis-je, à leur âge ce qui fait plaisir ne fatigue pas, et nous sommes toujours là pour les arrêter s'ils allaient trop loin; quant aux accidens, n'as-tu pas la triste preuve qu'il peut en arriver partout et sans faire de grands travaux ? Remets tes enfans à Dieu, et crois qu'ils seront bien gardés; il ne leur arrivera jamais que ce qui sera pour leur bien. »-

Ils revinrent du magasin, enchantés de ce qu'ils y avaient trouvé, et chargés d'outils : ceux de maçon, le ciseau, le marteau court, la truelle, manquaient cependant, ce sont les outils qu'on trouve le plus rarement sur les vaisseaux; en revanche tous ceux de charpentier, scies, rabots, équerres, etc., y sont en grand nombre. Mais à présent que Fritz était forgeron, il n'était pas en peine de se faire les outils qui lui manquaient. Il en portait sur l'une et l'autre épaule, et de

plus dans chaque main une poignée de poudre à tirer l'une bien conditionnée, dont il avait trouvé un tonneau plein ; l'autre avariée par l'eau et toute agglomérée. Il me demanda bien vite si, en la pilant de nouveau, elle ne pouvait pas nous servir; je lui appris alors que la poudre, lorsqu'elle est trop fine et réduite vraiment en poudre et non en grains, ne vaut plus rien pour l'explosion, mais fait ce qu'on appelle long feu, et peut encore servir pour des traînées. Jack et François étaient aussi chargés de différens objets, entre autres, de plusieurs pièces du moulin à bras que Fritz voulait examiner. Notre brave Ernest, toujours un peu paresseux, portait fièrement en bandoulière une grande boîte en fer-blanc, appartenante au naturaliste pour placer ses plantes, et à la main une petite pelle légère et recourbée pour les arracher; il s'était aussi chargé d'un havresac de cuir propre à mettre des pierres, des minéraux et des coquilles. Ses jeunes frères, et même le bon petit François, le raillaient impitoyable

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