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ment sur sa pesante charge; l'un lui offrait de la porter, l'autre d'aller chercher l'âne; il conservait son air grave et sournois, et fut s'étendre sur une chaise à côté de sa mère, qui s'occupait de ses échantillons d'histoire naturelle. Jack posa ce qu'il tenait dans un coin et sortit en courant; bien→ tôt nous le vîmes revenir ayant sur la tête une grosse machine à vis, qu'il alla poser devant son frère en le saluant d'un air respectueux. « J'ai l'honneur, dit-il, d'apporter à son altesse le prince des pingoins paresseux la presse pour ses augustes plantes, que son altesse a sans doute trouvée trop pesante et qui l'est en effet beaucoup. »

Ernest ne savait d'abord s'il devait le remercier ou se fâcher; mais il préféra prendre la chose en plaisantant, et lui répondit avec gravité qu'il était confus de la peine que son altesse le prince des singes avait prise pour l'obliger, qu'il aurait dû en charger quelqu'un de ses dociles sujets ; et puis il avoua que la presse, qu'il n'avait

pas vue, lui faisait grand plaisir, et tout de suite il y plaça quelques fleurs qu'il avait cueillies la veille.

La pluie avait un peu cessé ; je dis à Fritz et à Jack de venir avec moi visiter notre digue pour voir si elle n'avait point souffert, si elle répondait à son but, et pour ouvrir les écluses de notre étang. Tout allait bien, et notre potager, rafraîchi par la pluie, était du plus beau vert. Au retour, nous passâmes à la grotte Ernestine, que nous trouvâmes très-inondée par l'ouverture du haut; nous nous proposâmes de faire une rigole ou petit canal qui conduirait au dehors l'eau de la pluie.

Nous revinmes à la maison, et nous nous couchâmes avec l'espoir de pouvoir faire notre course le lendemain.

Nous fûmes encore contrariés dans nos projets de course, et plus long-temps que nous ne le pensions. Non-seulement la pluie continua le lendemain, mais elle dura pendant plusieurs jours, et de nouveau la campagne devint comme un lac; mais il n'y avait

ni vent ni orage: nous ne fûmes pas alarmés sur nos possessions, et nous prîmes le parti d'attendre patiemment que le temps nous permît la course projetée. Ma femme se réjouissait d'être à l'abri et de nous avoir tous autour d'elle. Ces jours d'inaction au dehors ne furent pas perdus : Ernest acheva de ranger sa collection avec sa mère et Francois ; Fritz, aidé de Jack, prépara les outils dont il aurait besoin pour ses grands travaux qu'il voulait commencer par le moulin à scie. Pour avoir des planches comme il les lui fallait, il avait trouvé sur le vaisseau, parmi les outils de charpentier, une trèsgrande scie qui pouvait servir à cet usage; mais il fallait la faire agir par le mouvement de l'eau : et c'était là le difficile. Il fit divers modèles avec le bois mince de nos caisses et les roues de nos canons, mais elles étaient trop petites ; enfin l'imagination de mon jeune mécanicien s'exerçait ; ses idées s'étendaient, se perfectionnaient, et cette science nous était si nécessaire dans notre position, que je laissais faire tous les essais.

Malgré la pluie, garanti par mon manteau de caoutchouc, il alla plus d'une fois à la cascade prendre ses mesures, voir où il placerait ses moulins, où du moins l'eau ne manquerait jamais. Ernest l'aidait de ses conseils, et lui promettait de l'aider de ses mains quand l'ouvrage serait en train. Jack et François aidaient leur mère à carder du coton, dont nous avions fait une bonne récolte et qu'elle voulait filer pour nos vêtemens; et moij'exerçais mes talens mécaniques pour lui tourner un grand rouet qui allât très-facilement, sa jambe étant encore un peu raide ; et un dévidoir à roue où quatre bobines se remplissaient à-la-fois en tournant une manivelle.

Ces différentes occupations nous aidèrent à passer le temps pluvieux, qui vint beaucoup plus tôt cette année, et qui s'écoula aussi plus vite.Ma femme eut la prétention de savoir le métier de teinturière; plusieurs des plantes qu'elle aidait Ernest à sécher avaient déposé sur les papiers de soie des teintes très-agréables, vertes, bleues, vio

lettes; elle fit des essais, des mélanges, et parvint à obtenir un très-joli bleu pour teindre la toile dont elle voulait nous faire des vêtemens; elle avait encore fait, avec les cochenilles de nos figuiers, un beau rouge brun, dont elle s'était teint pour ellemême un habillement complet.

Ainsi s'écoulèrent quelques semaines; Ernest nous faisait, pendant les soirées, des lectures instructives ou amusantes, et, quand sa collection fut en ordre, il travaillait soit au tour, soit au métier de tisserand. Nos bêtes étaient bien soignées, tous les individus de notre ménage étaient heureux, et rien ne nous manquait que le retour du beau temps, après lequel mes fils soupiraient pour faire enfin notre coursi long-temps projetée, autour de notre

se,

ile.

Enfin le soleil reparut, nous en jouîmes quelques jours sur notre délicieuse galerie; nous allâmes visiter la grotte et le jardin, où tout allait bien; la digue avait empêché l'inondation. Contens de nos travaux, nous

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