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ni si éloquent. Tout cela fut dit avec un feu, une sensibilité que je n'attendais pas de lui et qui m'enchantèrent.

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« Tu as raison, mon fils, lui dis-je,et plût au ciel que ce bonheur de vivre toujours ensemble nous fût accordé ! Mais je reprends où tu m'as interrompu : nous ne sommes pas du même âge, et par les lois de la nature nous devons être un jour séparés. Jusqu'à présent, par une espèce de miracle dont nous ne pouvons assez remercier la bonne Providence, aucun malheur, aucun mal ne nous ont atteints; depuis que nous habitons cette île, nos santés se sont conservées ; mais nous ne pouvons nous flatter que ce bonheur durera toujours : voilà déjà votre mère malade, et qui sait quelles suites...

FRITZ. Mon Dieu ! la croyez-vous en danger? Retournons vite auprès d'elle; venez, je vous en conjure.

LE PÈRE. Portons-lui du moins ce qui pourra la soulager, et j'espère que ce bon Dieu, qui nous a protégés jusqu'à présent d'une façon si particulière, nous accordera

la grâce de la conserver bien des années encore. Mais enfin celle qui doit nous séparer pour un temps de nos chers enfans arrivera une fois, et combien ne me serait-il pas cruel de les laisser sur cette terre déserte, et de penser que l'un d'eux doit finir par y rester seul, et qu'aucun de vous ne jouira du bonheur dont nous avons joui, que vous ne serez à votre tour ni époux ni pères ! Je te l'avoue, Fritz, cette idée me poursuit sans cesse et me ferait désirer de retourner en Europe, et de me retrouver au milieu de mes semblables, où je pourrais penser à vous établir. Penses-y bien, mon fils: te sentirais-tu la force, si tu survivais à tes frères, de vivre tout seul ici dans cette île déserte sans personne pour te fermer les yeux ?

FRITZ. Je n'y veux pas penser, mon père, c'est trop triste. Pourquoi voulez-vous que ce soit moi qui reste le dernier?Je suis venu au monde le premier, je dois donc aussi en sortir le premier.

LE PÈRE. Il en sera ce qu'il plaira à Dieu, mon fils; la mort frappe à tout âge, et je

dirai la même chose à tes frères. Je veux aussi les consulter, du moins Ernest, qui a dix-sept ans passés, et qui désirera peutêtre continuer ses études avec plus de moyens qu'il n'en peut avoir ici. Mais arrêtons-nous un moment devant ces arbres, je crois que ce sont des tamariniers ; leur fruit doit renfermer une pulpe dont la médecine fait un grand usage, et qui conviendra, je crois, à ta mère, ainsi que le jus d'orange et de citron. Nous en trouverons dans notre plantation près de Zeltheim; grimpe en attendant sur ce tamarinier et tâche de cueillir des gousses assez semblables à celles des fèves; remplis-en un des côtés de ton sac l'autre sera pour des citrons et des oranges. Moi, pour ne point perdre de temps, j'irai à Zeltheim chercher les deux caisses; tu viendras m'y joindre, et tu les trouveras prêtes. »

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Fritz grimpait déjà sur le tamarinier

(1) Le tamarinier qui porte les fruits d'où on tire cette pulpe est graud comme un noyer, mais plus touffu;

Nous étions près du Pont de Famille, je me hâtai de le traverser, et j'eus bientôt atteint notre belle grotte. Dès que j'y fus arrivé, je battis mon briquet, j'allumai une grosse bougie que je tenais prête, et j'allai dans notre magasin, où j'eus bientôt trouvé ce que je cherchais. Les deux caisses, étiquetées, n'étaient ni très-grosses ni très-pesan

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son tronc a quelquefois dix pieds de circonférence; il est revêtu d'une écorce épaisse, brune et gercée ; son bois est très -dur ; il pousse des branches rameuses qui s'étendent symétriquement. Les feuilles, plantées alternativement sur ses rameaux sont d'un vert gai, un peu velues en dessous. Leur saveur est acide. Les fleurs, composées de trois pétales couleur de rose. parsemées de veines pourpres, se disposent en groupes. Le pistil est crochu et seulement accompagné de trois étamines, qui se changent en un fruit ressemblant aux grosses fèves; la pulpe se trouve entre deux écorces; elle est très-acide, rafraichissante et laxative, quoiqu'elle soit astringente. Les médecins l'ordonnent contre l'échauffement du sang et la bile. Les Turcs et les Arabes en font provision pendant leurs longs voyages, pour se désaltérer ; les marins en font aussi usage. Ce fruit, commun en Egypte, au Sénégal et en Amérique, se nomme tamarin.

tes; je les entourai de petites cordes pour les porter plus facilement sur mes épaules, et j'allai visiter nos orangers et nos citronniers, où je trouvai quelques fruits assez mûrs pour en faire de la limonade. Fritz vint m'y rejoindre avec une bonne provision detamarin, les oranges et les citrons firent le contre-poids; il jeta le sac sur son épaule, et n'étant ni l'un ni l'autre trop chargés, nous reprîmes le chemin de Falkenhort, marchant très- vite malgré la chaleur, qui était accablante, quoique le soleil fût caché sous d'épais nuages qui nous dérobaient presque la vue de la mer. En vain Fritz, qui m'avait demandé mes lunettes, s'efforça de découvrir le vaisseau, il ne vit rien que des vagues écumantes contre les rochers. «Mon père, me dit-il, je crains que nous n'ayons de l'orage, hâtons-nous; maman s'inquiétera.

LE PÈRE. Oui, la pluie commence déjà, et le ciel est bien menaçant.

FRITZ. C'est singulier, il ne fait aucun vent, et la mer est agitée comme par une

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