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tempête : voyez quelles énormes vagues! C'est presque comme celle qui nous conduisit ici et fit échouer notre vaisseau.

LE PÈRE. Pas tout-à-fait encore ; mais je ne suis pas sans crainte sur celui du capitaine Johnson, si cette tempête augmente, et la pesanteur de l'air me le fait craindre.

FRITZ. Mon père, qu'en dites-vous ? si j'allais prendre notre pinasse et tâcher d'aller à son secours?

LE PERE. J'aime à te voir ce bon sentiment; mais tu courrais risque de te perdre sans le sauver. Passe encore si je pouvais aller avec toi; mais seul, et sur cette mer orageuse, sans savoir même de quel côté te diriger: non, je n'y puis consentir.

FRITZ. Ne puis-je pas prendre Ernest? LE PÈRE. Et ta mère ! ta pauvre mère! l'astu donc oubliée ? Elle mourrait mille fois pendant votre absence.

FRITZ. Pardon : je ne pensais plus, il est vrai, qu'à ce pauvre vaisseau. Mais le capitaine ne pourrait -il pas faire comme nous, l'abandonner entre des rochers, prendre

tout ce qu'il renferme, et venir s'établir ici? Nous leur céderions un coin de notre île et nous ne serions plus seuls. Le lieutenant Bell ne vous a-t-il pas dit s'il y avait des femmes à bord de son vaisseau ?

LE PÈRE. Il m'a dit au contraire qu'il n'y en avait point.

FRITZ. C'est dommage, maman serait plus heureuse avec une amie. »

Tout en causant, nous avancions autant que nos charges et la pluie qui tombait par torrens nous le permettaient. Lorsque nous eûmes passé le pont, nous vêmes de loin une figure très-extraordinaire qui courait au devant de nous; nous n'aurions pu décider quelle espèce d'animal c'était. Il paraissait en apparence plus grand que les singes que nous avions vus et beaucoup plus gros, de couleur noire ou brune; on ne distinguait point de tête, mais deux espèces de cornes très-épaisses qui se portaient en avant, et nous paraissaient quelquefois en mouvement et changer de place. Heureusement nous n'avions point pris de fusil pour cette ex

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cursion, car je ne doute pas que Fritz n'eût tiré sur cet animal singulier. Mais à mesure qu'il s'approchait avec une grande vitesse nous l'eûmes bientôt reconnu, non-seulement à sa démarche, mais au cri qu'il poussa lorsqu'il nous eut aperçus. « C'est Jack!»> nous écriâmes-nous en même temps: en effet c'était lui qui m'apportait, en toute hâte, mon grand manteau à cape enduit de gomme élastique, et mes bottes imperméables de caoutchouc. Ne me doutant pas de cet orage, j'avais négligé de les prendre ; mon petit drôle s'était offert à réparer mon oubli et à m'apporter le tout à Zeltheim. Pour se garantir lui-même en allant, il avait mis le manteau sur ses épaules, la cape sur sa tête, et mes bottes, trop grosses pour ses jambes, étaient passées dans chacun de ses bras, qu'il tenait en l'air pour assurer la cape: on conçoit comme le tout présentait une singulière apparence. Malgré nos inquiétudes et notre pitoyable état (nous étions mouillés' jusqu'aux os), nous ne pûmes nous empêcher de rire de sa plaisante mine.

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Papa, me dit-il, reprenez tous vos parapluies, ils m'ont tenu bien au sec; c'est mon tour d'être mouillé. »

Je n'y voulus pas consentir; je l'étais, ainsi que Fritz, au point que le trajet qu' nous restait à faire n'y pouvait rien ajouter. et mon pauvre Jack, plus délicat et plu petit, aurait été à demi noyé ; je l'obligea donc à garder son bizarre accoutrement, et je m'informai de l'état où il avait laissé s mère.

JACK. Bien inquiète de vous et de Fritz : mais je crois pourtant qu'elle est beaucoup mieux, car ses joues sont très-rouges, ses yeux bien brillans, et elle cause beaucoup; elle voulait même absolument se lever pour aller vous chercher, mais elle n'a pu se soutenir. Ernest et moi l'avons remise sur son lit; c'est alors que, pour la tranquilliser je lui ai dit que j'irais et que je vous porterais vos habits de pluie. Elle m'a d'abor dit : << Eh bien ! oui, mon enfant, va bien vite.» Alors je suis parti comme une flèche avec le manteau et les bottes ; mais com

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me je descendais l'escalier, je l'ai entendue qui me rappelait bien fort: « Jack, Jack! reviens, mon enfant, je te défends d'aller l'eau t'entraînera, le tonnerre t'écrasera. » -Mais, bah! je ne crains ni l'eau ni le tonnerre ; j'ai fait semblant de ne pas entendre, j'ai couru tant vite que j'ai pu, et me voilà. J'espérais vous trouver encore à Zeltheim; pourquoi êtes-vous revenus si tôt ?

LE PÈRE. Pour t'épargner la moitié du chemin, brave petit bonhomme, et pour retrouver ta pauvre mère. » Ce mieux dont Jack se vantait pour elle m'inquiétait beaucoup; elle avait visiblement une fièvre ardente et le sang se portait à la tête. Je doublai donc le pas sans m'embarrasser de l'orage, qui allait toujours en augmentant de fureur, mes fils me suivirent avec la célérité de leur âge, et nous fûmes bientôt au pied de notre château d'arbres.

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