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LA MERE. Quoi ? quelle brûlure? (Son sommeil si profond la lui avait fait oublier.) FRANÇOIS. Celle du tonnerre, maman, de ce méchant tonnerre qui nous aurait tous brûlés sans mon fil de fer qui nous a préservés, excepté le pauvre Ernest, parce qu'il tenait à la main un outil pointu, plus fort que mon conducteur; tu sais bien ce que papa nous a expliqué. »

Je laissais jaser cet enfant pour gagner du temps. La bonne mère s'inquiétait de cette brûlure; elle savait une foule de remèdes pour cet accident, qu'il aurait fallu employer; et puis elle se tranquillisa en pensant qu'il n'avait pas beaucoup de mal, puisqu'il avait pu aller chercher des feuilles de karatas. « Ce n'est pas bien loin, ajoutat-elle; j'y suis souvent allée en cueillir avec François, pour avoir du fil. Depuis que j'en ai de phormium, comme tu appelles le lin de ce pays, je les ai un peu négligées ; j'en avais auparavant toujours en provision. Pauvres enfans, comme ils seront mouillés ! Je suis impatiente de les voir revenir.

-Pauvre mère ! pensais-je, si tu savais depuis combien de temps je souffre le tourment de cette cruelle attente, comme tu serais malheureuse ! » Elle croyait qu'ils étaient partis seulement depuis que le jour avait paru. Au moment même, des voix connues et chéries se firent entendre sous la grande fenêtre. « Mon père, je vous ramène mes frères! criait Ernest. Oui, papa, nous voici tous en vie. - Et mouillés comme des poissons, ajoutait Jack, avec sa douce voix. Mais non pas sans peine, disait Fritz, avec sa voix mâle et complétement formée. Mes enfans, mes enfans, vous m'êtes donc rendus ! m'écriai-je avec ravissement; que le ciel en soit béni! » Je me précipitai dans l'escalier tournant au devant d'eux ; et après les avoir tendrement embrassés tous les trois, je les menai près du lit de leur mère qui ne comprenait rien à l'excès de ma joie. « Chère Élisabeth, lui disais-je, voilà nos fils; Dieu nous les donne une seconde fois.

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LA MÈRE. Avons-nous donc couru le dan

ger de les perdre, ces chers enfans? Vous est-il arrivé quelque chose de fâcheux ? dit ma femme avec inquiétude.

Rien, ma mère, rien du tout, puisque nous voilà près de vous; mais le temps est bien mauvais, répondit Fritz, qui vit que sa mère ne savait rien.

-Oui, maman, dit Jack; malgré le manteau de papa, je suis mouillé jusqu'aux os, et mes frères, qui n'en avaient point, le sont bien plus que moi.

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Allez vous coucher, mes enfans, leur dis-je; tâchez de vous sécher et de dormir quelques heures, après quoi vous.nous.conterez votre course. » Quoique ma curiosité de savoir ce qui leur était arrivé fût très grande, elle céda à ma crainte que l'humidité et le manque de repos ne leur fissent mal; je voulais d'ailleurs prévenir ma femme sur ce qu'elle allait apprendre par leur récit, et lui parler enfin du vaisseau.

« Et la main d'Ernest! s'écria Jack, ne voulons-nous pas la guérir? Je ne veux pas avoir apporté pour rien ce gros paquet.de

karatas ; il le jeta par terre. En voilà pour trente six tonnerres au moins ; je vais arranger cela, moi qui en ai mis sur ma jambe, je sais comme la chose se pratique ; » et sortant son couteau il partagea bien vite une des feuilles dans son épaisseur,en ôta l'épine triangulaire qui est au bout, l'appliqua sur la main de son frère, l'enveloppa d'un mouchoir, en lui disant plaisamment comme les charlatans: « Avec mon baume je m'en moque, demain tu pourras travailler comme tu travailles toujours, je te le promets. » Cela fait, le petit moqueur, déshabillé dans un clin d'œil, alla se jeter dans son hamac; ses frères en firent autant, et en moins de dix minutes tous trois ronflaient à qui mieux mieux.

Moi je m'établis sur le lit de ma femme, qui ne comprenait rien à ce qu'elle entendait et voyait. «Es-tu fou, me dit-elle, de renvoyer ces trois garçons au lit parce qu'ils ont fait une demi-heure de chemin et reçu un peu de pluie? Tu m'accuses de les gâter mais cen'est pas à ce point-là: les faire cou

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cher de jour quand il y a tant à ranger ici! Regarde cette chambre. » En effet, elle était remplie d'eau et de feuilles que le vent y avait jetées.

LE PERE. François peut la nettoyer, chère amie; il a bien dormi cette nuit, tandis que ses frères, du moins Fritz et Jack, étaient exposés à toute la fureur de l'orage.

LA MERE. Pourquoi ? comment ? Je ne me rappelle pas... Ma tête est si embrouillée, si pesante. Raconte-moi, je te prie, tout ce qui s'est passé depuis ce tonnerre qui a brûlé mon pauvre Ernest ; j'ai dormi si fort et si long-temps que je ne me souviens de rien.

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LE PERE.Je prendrai mon récit de plus loin, chère amie; puisque, Dieu soit loué ! tu n'as plus la fièvre, je veux tout t'apprendre.» Je commençai par le matin où j'avais, avec ma lunette, vu un vaisseau en mer à peu distance de l'île ; je parlai de ma résolution de me rendre au rivage sans en rien dire à aucun des miens, pour ne pas leur donner un espoir trompeur dans le cas où cette ressource nous échapperait.

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