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poutres si fortes,dépassant le lit du ruisseau de plusieurs pieds, assurées par des quartiers de roc et d'énormes troncs d'arbres.

FRITZ. Je ne vous ai pas dit qu'il fût détruit, mon père, et, comme vous, je le crois impossible; mais le lit du ruisseau, resserré à cette place, grossissait tellement l'eau, qu'elle passait par-dessus les planches et les cachait si entièrement que je crus d'abord qu'il n'y était plus. Je dis alors à Jack de retourner à Falkenhorst avec le sac de karatas et que j'allais me jeter à l'eau et la traverser à la nage. Je le crus parti et je remontai une centaine de pas pour trouver une place plus étendue et moins rapide: je m'y jetai et fus bientôt à l'autre bord. Jugez de ma surprise en voyant venir au devant de moi une figure humaine, je ne doutai pas que ce ne fût le capitaine et....

JACK. Et c'était le capitaine Jack,sans peur et sans reproche, qui ne pouvait se résoudre à retourner à la maison comme un poltron qui a peur de l'eau. Lorsque Fritz se fut éloigné, je revins tâter le pont, et je sentis qu'il n'y avait pas assez d'eau sur les plan

ches pour risquer de me noyer; j'ôtai vite mes bottes, qui pouvaient me faire glisser, mon manteau, qui était trop pesant, et le sac de karatas; prenant mon élan, je courus bien fort, et me trouvai, sans accident, de l'autre côté du pont. Je remis mes bottes, que je portais dans mes mains, et j'allai audevant de M. Fritz, qui me cria de tant loin qu'il me vit: « Est-ce vous, monsieur le capitaine?»> Je voulais lui répondre « Oui, sans doute,» en faisant la grosse voix, mais je riais si fort, que je ne le pus pas, et qu'il

m'eut bientôt reconnu.

FRITZ. A mon grand regret; j'aurais bien mieux aimé que ce fût le capitaine Johnson, je n'aurais pas la crainte qu'il ne fût avec ses gens au fond de la mer.

LE PERE.Je le crains aussi ; cependant le vent soufflait de terre et doit l'avoir poussé au large en pleine mer, ce qui est moins dangereux que les récifs (1) qui bordent

toutes les côtes. Continue ton récit.

(1) Les récifs sont des chaînes de rochers à fleur d'eau contre lesquelles les vaisseaux se brisent.

-Après que Jack m'eut conté sa prouesse, nous allâmes à Zeltheim, d'abord à notre maison pour nous procurer du feuet de la lumière. Je battis le briquet, et avec l'amadou de karatas j'eus bientôt allumé au foyer de la cuisine un bon fagot, qui nous fit grand bien; le passage du ruisseau nous avait complétement inondés. Quand nous fûmes un peu séchés et restaurés d'un peu de vin, que nous trouvâmes sur la table, restant de la collation que vous aviez offerte au lieutenant, nous nous occupâmes à préparer un signal, afin d'avertir le vaisseau que nous étions là pour le recevoir. Je pris au magasin une des plus grandes cannes de bambou, j'attachai fortement à l'un des bouts la lanterne de colle de poisson que vous nous aviez fait prendre, je remplis d'huile la lampe, j'y mis une grosse mèche de coton qui donnait beaucoup de clarté, je l'allumai, et nous allâmes la planter, Jack et moi, sur le rivage, à l'entrée de la baie.

LE PERE. Très-bien, mes enfans, je vous sais gré de cette bonne idée ; mais, par cet

effroyable vent, votre signal ne sera pas long temps resté debout.

ERNEST. Ne pensez-vous pas, mon père, que ce signal n'est pas le mot, et c'était un fanal?

que

JACK. Et moi je dis que c'était un signal, puisqu'il devait faire signe aux vaisseaux. Qu'as-tu à répondre, monsieur le savant?

LE PÈRE. Et moi je dis qu'Ernest a raison et profite mieux que nous de ses lectures; car je me suis aussi servi du mot impropre signal, qui ne peut s'employer que lorsqu'on est convenu réciproquement de ce moyen de s'entendre. Par exemple, le canon donne le signal du départ ou le signal de la détresse. Mais ici c'est le cas d'employer le mot de fanal; un feu attaché sur un endroit élevé pour éclairer la marche des marins porte toujours ce nom.

FRITZ. Eh bien!donc, notre fanal, puisque fanal il y a, ne s'est point éteint n'a point été renversé et s'il n'a pas été utile au vaisil nous l'a été pour notre navigation nocturne. Après l'avoir bien assuré droit

seau,

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au devant du rocher de la baie, ou le vent de terre ne donne pas, enfoncé en terre, de trois à quatre pieds, et assujetti avec des pierres, nous allions nous reposer auprès de notre feu de ce long et pénible travail, et nous sécher un peu avant de reprendre le chemin de Falkenhorst, lorsque nous vîmes assez distinctement la même lumière que nous avions déjà vue depuis les rochers, mais qui nous parut plus rapprochée. Au même instant nous entendîmes une espèce de ronflement, qui ne nous parut pas être celui du tonnerre, mais du canon; il se répéta trois ou quatre fois à des intervalles plus ou moins éloignés. C'est le vaisseau qui nous appelle à son secours dis-je à Jack. Eh bien ! allons-y, me répondit-il.

-

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-Mon père nous l'a défendu, repris-je ; mais il a dit aussi qu'il faut s'aider les uns les autres, que l'Évangile le commande, et qu'il faut obéir à ses ordres, même avant de suivre ceux d'un père ; le nôtre sera bien content et nous pardonnera si nous lui ame

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