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taxe proportionnelle à leur salaire. Le gouvernement et la commission repoussèrent cette proposition qui, en définitive, établissait une taxe indirecte sur les ouvriers étrangers, le patron devant évidemment la répéter sur l'ouvrier.

En somme le projet de la commission ne constituait qu'une loi de police, une mesure de sûreté intérieure (1). Le parlement accepta cette façon de voir, et malgré une vive opposition de la part de plusieurs groupes, la Chambre et le Sénat adoptèrent le projet de la commission, en ne lui faisant subir que quelques légères modifications de détail. Il faut néanmoins remarquer qu'à plusieurs reprises au cours des discussions, le gouvernement et le parlement ont manifesté l'opinion qu'il serait désirable de protéger efficacement le travail national contre la concurrence des ouvriers étrangers, et qu'une pareille mesure devrait être prise au moyen d'une taxe de séjour à l'expiration des traités encore existants qui nous lient envers les autres États (2).

Art. 1. Tout étranger non admis à domicile, arrivant dans une commune pour y exercer une profession, un commerce ou une industrie (3), devra faire à la mairie une déclaration de résidence en justifiant de son identité dans les huit jours de son arrivée. Il sera tenu, à cet effet, un registre d'immatriculation des étrangers, suivant la forme déterminée par un arrêté ministériel.

Un extrait de ce registre sera délivré au déclarant dans la forme des actes de l'état civil, moyennant les mêmes droits.

En cas de changement de commune, l'étranger fera viser son certificat d'immatriculation, dans les deux jours de son arrivée, à la mairie de sa nouvelle résidence (4).

Art. 2. Toute personne qui emploiera sciemment un étranger non muni du certificat d'immatriculation sera passible des peines de simple police.

(1) Le titre de la loi du 8 août 1893 est donc trop compréhensif.

(2) Des propositions ont été déposées en ce sens le 7 décembre 1893 et le 18 décembre 1893 (Chambre, doc. 1893, nos 125 et 190); le 20 janv. (Chambre, doc. 1894, nos 281, 333, 334).

(3) Il a été dit expressément à la Chambre des députés, lors de la discussion de cet article, qu'il ne s'applique pas aux étrangers qui viennent en France sans avoir l'intention d'y fixer leur résidence ou d'y exercer un commerce ou une industrie.

(4) Un amendement fut proposé aux termes duquel « tout étranger venant résider en France sera, de vingt et un à quarante-cinq ans, soumis à la taxe militaire indiquée au § 3 de l'article 135 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée»; le rapporteur fit remarquer avec raison qu'on ne pouvait frapper d'une taxe, qui est la représentation du service militaire une personne qui n'est pas astreinte à ce service; la Chambre repoussa l'amendement.

Art. 3 (1). L'étranger qui n'aura pas fait la déclaration imposée par la loi dans le délai déterminé, ou qui refusera de produire son certificat à la première réquisition, sera passible d'une amende de 50 à 200 francs.

Celui qui aura fait sciemment une déclaration fausse ou inexacte sera passible d'une amende de 100 à 300 francs, et, s'il y a lieu, de l'interdiction temporaire ou indéfinie du territoire français.

L'étranger expulsé du territoire français, et qui y serait rentré sans l'autorisation du gouvernement, sera condamné à un emprisonnement de un à six mois. Il sera, après l'expiration de sa peine, reconduit à la frontière.

L'article 463 du code pénal est applicable aux cas prévus par la présente loi.

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Art. 4. Les produits des amendes prévues par la présente loi seront attribués à la caisse municipale de la commune de la résidence de l'étranger qui en sera frappé.

Art. 5. Il est accordé aux étrangers visés par l'article 1o, et actuellement en France, un délai d'un mois pour se conformer aux prescriptions de la loi.

XXV.

LOI DU 14 AOUT 1893, PORTANT MODIFICATION DE L'ARTICLE 7 DE LA LOI DU 15 JUILLET 1889 SUR LE RECRUTEMENT DE L'ARMÉE (2).

Article unique. L'article 7 de la loi du 15 juillet 1889 sur le recrutement de l'armée est ainsi modifié :

<< Nul n'est admis dans une administration de l'État ou ne peut « être investi de fonctions publiques électives s'il ne justifie avoir << satisfait aux obligations imposées par la présente loi. »>

(1) C'est à l'occasion de cet article que furent déposés des amendements tendant à protéger le travail national contre la concurrence étrangère, en imposant à l'employeur de payer, selon les uns, une taxe de 5 p. 100 du salaire journalier de chaque étranger employé, selon les autres, une taxe de 1 fr. 25 par semaine. Ces divers amendements ont été repoussés. (2) J. Off. des 16 et 17 août 1893.

TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Chambre Proposition de loi de M. le Provost de Launay, lecture de l'exposé des motifs et déclaration d'urgence, 30 novembre 1891; proposition de loi de M. Després, doc. 1891 (session extraord.), p. 2887; rapport, doc. 1892, p. 2261; adoption, 28 novembre 1892. Sénat rapport doc. 1893, p. 600; adoption, 21 juillet 1893.

XXVI.

LOI DU 12 DÉCEMBRE 1893, PORTANT MODIFICATION DES ARTICLES 24, § 1o, 23 et 49 de la LOI DU 29 JUILLET 1881 SUR LA PRESSE (1).

Notice et notes par M. Pierre LALLIER, docteur en droit, juge d'instruction à Rocroi.

Le 11 décembre 1893, au surlendemain de l'attentat commis contre la Chambre des députés par l'anarchiste Vaillant, M. Casimir-Périer, président du conseil, déposait sur le bureau de la Chambre 'quatre projets de loi dont le but commun était d'arriver à punir l'incitation au crime, à réprimer l'anarchisme qui constitue à l'heure actuelle, de l'aveu de M. le garde des sceaux, une véritable association de malfaiteurs qui se concertent entre eux pour préparer, sur divers points du territoire, des vols, des pillages, des incendies et des assassinats.

Le premier portait modification des articles 24, 25 et 49 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse.

Le second portait modification des articles 265 et suivants du code pénal pour punir les associations de malfaiteurs.

Le troisième portait modification et addition à l'article 3 de la loi du 19 juin 1871 sur les explosifs.

Le quatrième, dont il ne sera pas question ici, comportait, au titre du ministère de l'intérieur (commissariats de police) une ouverture de crédit de 820.000 francs.

M. le président du conseil a demandé la discussion immédiate du premier de ces projets dont les innovations consistaient à ajouter à la nouvelle définition (2) du délit de provocation à commettre les crimes prévus par les articles 24 et 25 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, le délit d'apologie des mêmes actes criminels, et à autoriser la saisie des écrits, imprimés contenant la provocation aux crimes ou leur apologie et l'arrestation des prévenus conformément aux règles du code d'instruction criminelle, enfin à aggraver les pénalités.

(1) J. Off. du 13 décembre 1893. TRAVAUX PRÉPARATOIRES. Chambre

diate et adoption, 11 décembre. 12 décembre 1893.

exposé des motifs, discussion imméSénat lecture du rapport et adoption,

V. également Annuaire, tome XII, p. 3, note 6. Sénat déclaration d'urgence et discussion, 17, 19 et 20 janvier 1893.

Chambre rapport, doc. 1893,

p. 69; discussion, 4 et 6 mars 1893. Sénat texte transmis, doc. 1893, p. 103. (2) Le projet ajoute et frappe la provocation au vol, la provocation à l'un des crimes punis par l'article 435 du code pénal.

MM. Goblet, Camille Pelletan, et de Ramel se sont vainement opposés à la discussion immédiate de ce projet de loi qui, dans la même journée, a été voté sans modification par la Chambre.

Dans sa séance du 12 décembre, le Sénat a adopté sans discussion ce projet de loi, au rapport de M. Trarieux. Selon la remarque du rapporteur, ce n'était autre chose que la reproduction légèrement modifiée des dispositions dont le Sénat avait reconnu l'utilité par une majorité de 188 voix contre 13, dans sa séance du 20 janvier, et qui n'étaient encore à l'étude que parce que la précédente Chambre des députés n'y avait pas donné une approbation entière.

Article unique. -Les articles 24, paragraphe 1°, 25 et 49 de la loi du 29 juillet 1881, sur la presse, sont modifiés ainsi qu'il suit:

« Art. 24. Ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article précédent, auront directement provoqué soit au vol, soit aux crimes de meurtre, de pillage et d'incendie, soit à l'un des crimes. punis par l'article 435 du code pénal, soit à l'un des crimes et délits contre la sûreté extérieure de l'État, prévus par les articles 75 et suivants, jusques et y compris l'artice 85 du même code, seront punis, dans le cas où cette provocation n'aurait pas été suivie d'effet, d'un an à cinq ans d'emprisonnement et de 100 fr. à 3.000 fr. d'amende.

<< Ceux qui, par les mêmes moyens, auront directement provoqué à l'un des crimes contre la sûreté intérieure de l'État prévus par les articles 86 et suivants, jusques et y compris l'article 101 du code pénal, seront punis des mêmes peines (1).

<< Seront punis de la même peine ceux qui, par l'un des moyens énoncés en l'article 23, auront fait l'apologie (2) des crimes de meurtre, de pillage ou d'incendie, ou du vol, ou de l'un des crimes prévus par l'article 435 du code pénal.

Art. 25.

Toute provocation par l'un des moyens énoncés en

(1) Sur interpellation de M. Marcel Habert, M. le garde des sceaux a donné le motif suivant pour justifier la nouvelle distinction entre les crimes contre la sûreté intérieure et les crimes contre la sûreté extérieure de l'État : « Nous avons pensé, a-t-il dit, qu'il était nécessaire lorsqu'il s'agit de provocations à des crimes contre la sûreté extérieure de l'État, ou d'apologies de ces crimes, de mettre à la disposition de la justice des moyens d'action plus énergiques que lorsque nous nous trouvons en face de provocations à des crimes contre la sûreté intérieure de l'État.

>>

(2) C'est, a dit M. le garde des sceaux, « la glorification de ces prétendus héros de l'anarchie donnés en exemple à des esprits faibles et dévoyés qu'on dirige ainsi plus lentement, mais plus sûrement vers le but qu'on se propose, et auquel on ne les aurait peut-être pas conduits par une provocation trop directe et trop violente. »>

l'article 23 adressée à des militaires des armées de terre ou de mer, dans le but de les détourner de leurs devoirs militaires et de l'obéissance qu'ils doivent à leurs chefs dans tout ce qu'ils leur commandent pour l'exécution des lois et règlements militaires, sera punie d'un emprisonnement de un à cinq ans et d'une amende de 100 fr. à 3.000 francs.

« Art. 49. Immédiatement après le réquisitoire, le juge d'instruction pourra, mais seulement en cas d'omission du dépôt prescrit par les articles 3 et 10 ci-dessus, ordonner la saisie de quatre exemplaires de l'écrit, du journal ou du dessin incriminé.

<< Toutefois, dans les cas prévus aux articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25 de la présente loi, la saisie des écrits ou imprimés, des placards ou affiches aura lieu conformément aux règles édictées par le code d'instruction criminelle.

«Si le prévenu est domicilié en France, il ne pourra être préventivement arrêté, sauf dans les cas prévus aux articles 23, 24, paragraphes 1 et 3, et 25 ci-dessus.

S'il y a condamnation, l'arrêt pourra, dans les cas prévus aux articles 24, paragraphes 1 et 3, et 25, prononcer la confiscation des écrits ou imprimés, placards ou affiches saisis, et dans tous les cas ordonner la saisie et la suppression ou la destruction de tous les exemplaires qui seraient mis en vente, distribués ou exposés aux regards du public. Toutefois, la suppression ou la destruction pourra ne s'appliquer qu'à certaines parties des exemplaires saisis »> (1).

(1) M. Pourquery de Boisserin a vainement demandé l'addition de la disposition suivante :

«En cas d'arrestation préventive ou de saisie, l'inculpé pourra demander sa mise en liberté provisoire ou la mainlevée de la saisie.

« Le juge d'instruction, après avoir entendu le procureur de la République, devra statuer dans un délai de vingt-quatre heures. L'ordonnance sera signifiée dans le même délai.

« Le procureur de la République et l'inculpé auront, dans les vingt-quatre heures de la signification de l'ordonnance, le droit de former opposition devant la chambre des mises en accusation, qui statuera dans les cinq jours.

«Si aucune décision n'est intervenue avant l'expiration de ce délai, l'inculpé devra être mis en liberté, et les pièces saisies seront restituées. >>

Par cette disposition, M. de Boisserin entendait protéger la liberté individuelle contre la négligence et l'omnipotence des parquets et des juges d'instruction. Cette disposition, si elle eût été admise, aurait modifié le droit commun (art. 113 et suiv. C. I. cr.), en ce sens qu'un délai aurait été imposé au juge pour statuer sur la demande et pour faire signifier son ordonnance, et qu'un autre délai aurait été imposé à la chambre des mises en accusation pour statuer. M. le garde des sceaux s'est borné à déclarer qu'il ne convenait pas d'introduire une dérogation au droit commun en faveur des individus auxquels devait s'appliquer la loi.

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