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il se dit: Je travaillerai cela trois mois,

trois ans et j'en verrai le fond. Voilà le prodige.

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Mais nous n'en sommes pas assez étonnés.
Nous n'en sommes pas assez épouvantés.
Nous ne comprenons pas.

Nous ne voyons pas les âmes se séparer de la sagesse universelle, et de cette sève commune de la tradition vraie, soutenue de l'esprit de Dieu. Nous ne les voyons pas tomber à part comme les feuilles mortes qui tombent des arbres. Nous n'entendons pas ces feuilles mortes dire en tombant: je me détache, car l'arbre est mort. Nous ne voyons pas la feuille, au pied de l'arbre, juger l'arbre et la sève, et cesser de croire à la sève, oubliant le printemps passé comme le printemps futur. Nous ne voyons pas ces âmes, qui sont créées pour vivre ensemble comme les grains d'un épi ou d'une grappe, vivre isolées comme des feuilles sèches ou des grains de sable. Où sont les âmes qui vivent de la vie de l'ensemble? Où est la nécessaire communion des esprits? Qui est-ce qui croit au sang divin de cette sainte communion? Qui sait se servir des forces communes et des lumières communes et de

l'universelle sagesse, à la fois divine et humaine? On a dit aux esprits : Jugez tout par vous-même, et ne connaissez plus que l'évidence. Ces deux conseils qui, pris dans leurs justes limites, ont leur sens vrai, ruinent depuis trois cents ans, parmi nous, la société des âmes. Chacun se sépare pour juger.

Il y a dans chaque âme, dans chaque intelligence, le tribunal de l'égoïsme, le mal mortel de l'isolement. C'est une sorte de contraction de l'individu sur lui-même, qui repousse une partie, toujours plus grandé, de la vie qui survient, et qui, à force de repousser tout ce qui n'est pas lui, se sépare de la sève commune et tombe à part. C'est une incrédule et âpre poursuite de l'évidence, qui n'est que la fuite de la lumière. « C'est, comme <«< on l'a dit si spirituellement, l'odyssée de l'esprit « qui, merveilleusement déçu, se fuit en se cher«chant lui-même 1. » En excluant ce qui n'est pas l'évidence pure de la réflexion actuelle, l'esprit repousse les sources de l'évidence à venir : en ne voulant que ce qui est clair maintenant, il rejette tout ce qui sera clair un jour; il rejette l'huile

1 Schelling.

pour ne conserver que la flamme, et la flamme baisse, fume et s'éteint.

Quand Sénèque dit : « La raison n'est pas claire « en entier sa partie la plus grande, la meilleure, « est obscure ', » c'est qu'il distingue, dans le flambeau de l'esprit, l'huile et la flamme. Et quand l'Évangile parle des vierges folles dont les lampes n'ont plus d'huile et menacent de s'éteindre, c'est parler en même temps des intelligences folles qui rejettent ou négligent tout ce qui n'est pas lumineux pour elles maintenant.

Mais qu'est-ce qui n'est pas maintenant lumineux pour mon esprit ? C'est la science d'autrui que je n'ai pas encore; c'est la science totale du genre humain que je n'aurai probablement jamais; c'est la science de Dieu que je ne puis jamais avoir entière; c'est, en un mot, tout ce qui est plus grand que moi et tout ce qui n'est pas encore moi. Mon aveugle poursuite de l'évidence me sépare donc de la lumière universelle et je m'éteins en rejetant la foi, qui est, dans tous les sens du mot, la source des lumières que je n'ai pas et des lumières

Ratio non impletur manifestis; pars ejus major ac melior in occultis est.

plus grandes que la lumière qui est en moi.

C'est ainsi que les droits de la pensée individuelle, mal compris, détruisent aujourd'hui en Europe, la société spirituelle, et diminuent ou même éteignent, en détruisant la société des âmes, chaque intelligence et chaque âme.

Eh bien! tout cela n'est encore que le moins triste côté de ce qu'on peut et doit appeler la formidable situation intellectuelle du temps présent. Ce n'est là que le mal ancien. Voici le nouveau.

PARTIE PHILOSOPHIQUE.

Passons, Monsieur, à la partie philosophique de votre livre.

Il faut distinguer ici la critique même de l'école d'Alexandrie, et les doctrines philosophiques que vous émettez en votre propre nom.

Quant au premier point, qui est le sujet du livre, je n'en ai pas vérifié un seul texte et je n'en compte vérifier aucun. Voici pourquoi,

Je ne vérifierais ces textes que si j'avais quelque raison de combattre vos conclusions sur l'école d'Alexandrie, prise en elle-même, et indépendamment de ses rapports avec le Christianisme.

Or, je ne puis avoir aucune raison de combattre vos conclusions sur ce sujet; car il m'est impossible de les connaître, et je ne pense pas qu'aucun lecteur parvienne à les connaître.

Voici, en effet, comment vous concluez et quel résultat vous obtenez sur la méthode, la morale et la nature de l'éclectisme alexandrin.

I.

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Quant à la méthode':

« Bien supérieure, comme méthode théologique, à la métaphysique qui refuse l'existence à <«< l'universel, et à la dialectique qui le sépare des individus, l'analyse néoplatonicienne atteint << son principe sans sortir de la réalité. Elle pro<< cède par intuition et non par abstraction. La

1 T. III, 238.

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