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naturellement les dames qui occupaient les siéges de devant, et elles demandèrent avec quelque inquiétude si la retraite ne leur était pas possible. Le jeune chef (the young leader) dont l'intervention nous avait été déjà si utile, s'offrit à nous précéder, si nous le désirions, et à nous frayer un passage à travers la foule. Nous partîmes donc, notre protecteur nous montrant le chemin... Je dois reconnaître que, quoique les corridors fussent extrêmement étroits, toute facilité fut offerte à notre retraite, et que l'épaisse multitude qu'il fallait percer s'ouvrit poliment devant nous (1). »

Je ne doute pas qu'en homme bien élevé, lord Normanby n'ait adressé aux desperados dont il parle les remercîments qu'en sa qualité d'historien, il se croit autorisé à supprimer.

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Pour ce qui est des membres de l'Assemblée, je constaterai, en terminant, car je rougirais d'une omission qui serait une injustice, - que, dans la séance du 15 mai 1848, leur contenance fut grave et digne. Malheureusement, le calme qu'ils avaient conservé pendant l'orage, après l'orage ils le perdirent (2).

(1) A Year of Revolution in Paris, t. I, pp. 397-398.

(2) Il faut savoir qu'il existe dans le Moniteur deux comptes rendus de la séance du 15 mai, dont le second, rédigé après coup, est une version arrangée. Et c'est ce qui résulte de la déposition que fut amené à faire devant la haute cour de Bourges (audience du 12 mars 1849) le réviseur de la sténographie de l'Assemblée. Or, c'est dans l'édition arrangée que plusieurs membres des clubs sont représentés, criant : « Il nous faut deux heures de pillage! » C'était une grossière calomnie. L'homme qui avait porté ce renseigement au Moniteur fut sommé de comparaître, au procès de Bourges, et se rétracta formellement. Voy. à cet égard le compte rendu du procès, audience du 21 mars 1849, dans le journal le Peuple, no 124.

T. II.

9.

CHAPITRE VINGTIÈME

UN ANNIVERSAIRE DU 31 MAI

La réaction jette le masque.

Tactique de ses organes pour préparer

le coup qui allait m'être porté.- Demande en autorisation de pour

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suites, présentée contre moi à l'Assemblée. Considérants du réquisitoire de M. Portalis, procureur général. Lettre de Barbès au président de l'Assemblée, pour revendiquer la responsabilité de paroles que m'attribuait le réquisitoire. Rapport de M. Jules Favre concluant à l'autorisation des poursuites. Discussion de ce rapport. -Les conclusions en sont combattues par MM. Mathieu (de la Drôme), Laurent (de l'Ardèche), Théodore Bac et Dupont (de Bussac).-Silence de la droite. Témoignage spontané d'un citoyen en ma faveur. Bruit sourdement répandu de ma présence à l'hôtel de ville, le 15 mai. — Déclaration de M. Marrast à ce sujet. L'autorisation de poursuites est refusée à 32 voix seulement de majorité.-Explication de la journée. - Chronique parlementaire du journal la Liberté. — Démissions de MM. Jules Favre, Portalis et Landrin.

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A partir du 15 mai, la réaction jeta le masque. La possibilité de renverser la République venait d'apparaître aux royalistes : le cœur leur revint. La mine fut ouverte sous la Commission exécutive. Contre M. Ledru-Rollin, orléanistes et légitimistes redoublèrent leurs attaques. M. Caussidière fut remplacé à la préfecture

de police, en dépit, ou plutôt, à cause de la protection de M. de Lamartine. Et M. de Lamartine lui-même, que ses avances au parti monarchiste avaient ruiné dans l'esprit du Peuple, se vit abandonné tout à coup par ceux auxquels il avait servi d'instrument, et sentit de toutes parts le sol se dérober sous lui.

Comme les personnes que je viens de nommer, je n'avais pas, aux yeux des ennemis de la République, le tort d'être au pouvoir; mais mon crime était bien plus noir encore le cœur du Peuple me restait, et même ses sympathies ne s'étaient jamais prononcées avec une vivacité plus touchante que depuis qu'on avait fermé sur moi les portes des régions officielles. Ma présence gênait il fut décidé qu'à tout prix et avant tout, on se débarrasserait de moi.

Mais, avant de me proscrire comme agitateur, il importait d'accoutumer les esprits au coup qu'on se préparait à frapper. C'est à quoi les journaux de la réaction s'étaient déjà employés sans relâche. Tantôt, affectant de s'étonner de mes rares apparitions à la tribune, le Constitutionnel donnait à entendre que mon activité trouvait mieux à s'employer où il faut des ténèbres et du silence; tantôt la Patrie, par un mensonge audacieux, annonçait que je n'assistais plus aux séances parlementaires; ou bien, c'était le journal l'Assemblée nationale qui, en dénonçant d'affreux complots prêts à éclater, s'écriait : « Achille s'est retiré sous sa tente! » me faisant ainsi un crime de l'exclusion même qui m'avait atteint. On juge si la journée du 15 mai était survenue à propos pour ceux qui avaient juré ma perte ! Une instruction fut commencée; on courut d'un pas haletant après les témoignages hostiles; on s'arma contre moi de faits qui m'étaient absolument étrangers, de paroles prononcées par d'autres, de choses qu'il m'avait été impossible soit de prévenir, soit d'empêcher, soit de connaître. Comment nier que je fusse coupable? Un individu déclarait qu'au moment où la manifestation passait devant ma porte le 15 mai, le cri de « Vive Louis Blanc! » avait retenti; un second, que des drapeaux polonais avaient été déposés chez mon concierge; un troisième, qu'on avait entendu, dans l'Assemblée envahie, un cousin du général Courtais dire, en me montrant du doigt: «Louis Blanc va être nommé président de la République ;

lui seul peut nous sauver de l'anarchie (1). » On insistait fort sur l'ovation qui m'avait été décernée, mais sans parler, bien entendu, de ma résistance. On me représentait haranguant la révolte du haut de la tribune, mais sans dire que j'avais été supplié de le faire par des membres de la droite; que je ne m'y étais décidé que sur leurs instances, non pour attiser la flamme, mais, au contraire, pour essayer de l'éteindre; et que mon intervention avait été autorisée par le bureau de l'Assemblée, au nom de l'Assemblée. Du caractère de mon discours, quoique reproduit textuellement dans le Moniteur, on se gardait bien de dire un mot; et l'on ne mentionnait le fait que pour en tirer cette conclusion : « Puisque le silence s'est rétabli à sa voix, il était donc d'intelligence avec les envahisseurs! » D'un autre côté, afin de parer d'avance à l'effet que la nouvelle de mon arrestation pourrait produire, on s'étudiait à l'annoncer d'avance sous forme de vague rumeur. Le juge d'instruction avait requis mon témoignage; et l'on imprimait qu'on m'avait vu sortir de chez lui dans un état de trouble extraordinaire, et le visage pâle!...

Quelque manifeste que fût le but de ces manoeuvres, je ne m'inquiétais nullement du résultat, me refusant à croire la méchanceté des hommes capable de commettre de sang-froid un acte d'iniquité qu'il n'y avait aucun moyen de colorer et qui avait contre lui toutes les lois de l'évidence. Il m'était revenu qu'on m'accusait d'avoir proferé ces paroles, pendant l'invasion de l'Assemblée : « Je vous félicite d'avoir reconquis le droit de pétition; désormais, on ne pourra plus vous le contester, » Mais, à supposer même qu'elles constituassent un délit, dans un moment comme celui où elles furent prononcées, elles n'étaient pas de moi, et le Moniteur était là, qui l'attestait. Au moins aurait-il fallu un prétexte, et l'ombre d'un prétexte manquait.

Le 31 mai, il advint que, me sentant un peu malade, je me

(1) Au procès de Bourges, la personne à laquelle le témoin Huteau d'Origny attribuait ces paroles, assura n'en avoir aucun souvenir. Mais eussent-elles été prononcées, en quoi, je le demande, pouvaientelles constituer un grief d'accusation contre moi? Voy. sur ce point le compte rendu de l'audience du 21 mars 1849, dans le Peuple, no 124.

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