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CHAPITRE VINGT ET UNIÈME

ADMISSION DE LOUIS BONAPARTE COMME MEMBRE DE

L'ASSEMBLÉE

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Politique de la Commission exécutive. - En quoi elle différait de celle du Gouvernement provisoire. Projet de décret bannissant les Bourbons de la branche cadette. Protestation adressée à l'Assemblée nationale par le duc d'Aumale et le prince de Joinville. - Discussion du projet de décret. Il est adopté à une immense majorité. Appoint fourni à cette majorité par les partis royalistes. Explication de mon vote, contraire au projet. Élections partielles à Paris. Succès obtenu par les socialistes. Louis Bonaparte au nombre des élus. Agitation populaire fomentée par ses agents. Les lois de proscription et les prétendants. Illogisme de la raison d'État. - Projet de décret tendant à la non-admission de Louis Bonaparte. Efforts de M. de Lamartine pour le faire adopter. Discrédit de sa parole. - Mon discours contre le projet. — L'Assemblée se prononce pour l'admission. - Éléments divers de ce vote. - Louis Bonaparte refuse de venir siéger. Raison de son refus. - Question de la future présidence.

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Entre la journée du 15 mai et la tentative faite pour obtenir de l'Assemblée le pouvoir de me proscrire, un fait saisissant était venu montrer jusqu'à quel point l'esprit de la Commission exécutive différait de celui qui avait animé le Gouvernement provisoire.

Le Gouvernement provisoire n'avait pas rendu un décret qui

ne portât l'empreinte d'un sentiment généreux : il avait aboli la peine de mort en matière politique; il avait couvert ses ennemis d'une protection magnanime, et, plein de foi dans la puissance de la justice, il n'avait pas songé un seul instant à mettre sous la sauvegarde des lois d'exception la stabilité de la République. Toute autre fut l'attitude de la Commission exécutive, comme le prouva bien le projet de décret qui avait pour but d'étendre à LouisPhilippe et à sa famille l'application de la loi du 10 avril 1832, laquelle interdisait à jamais le territoire de France et des colonies à la branche aînée des Bourbons.

Quelque couleur qu'on puisse donner à une mesure semblable, il est certain que, prise par le Gouvernement provisoire, elle eût paru en contradiction flagrante avec son attitude et sa politique. D'où vient donc qu'elle se trouva cadrer avec l'attitude et la politique de la Commission exécutive? Est-ce que MM. Arago, Lamartine, Garnier-Pagès, Ledru-Rollin, Marie, n'étaient plus les mêmes hommes? Ah! c'est qu'un grand changement s'était opéré autour d'eux ce qui avait changé, c'était l'air qu'ils respiraient. Une fois soumis à l'empire de la majorité de l'Assemblée, ils s'étaient vus condamnés à vivre dans l'atmosphère d'une coterie bourgeoise, tandis que le Gouvernement provisoire avait vécu dans l'atmosphère du Peuple.

Ce fut le 26 mai qu'on discuta le bannissement à perpétuité de la famille de Louis-Philippe.

« ...

L'avant-veille, on avait lu, dans l'Assemblée, une protestation du duc d'Aumale et du prince de Joinville; il y était dit: Nous avions lieu de penser qu'en quittant Alger au premier appel fait à notre patriotisme, nous avions fourni au pays une preuve patente de notre ferme intention de ne pas chercher à désunir la France, comme nous avions témoigné du respect avec lequel nous acceptions l'appel fait à la nation. Nous nous flattions aussi que le pays ne pourrait songer à nous repousser, nous qui l'avons toujours et fidèlement servi dans nos professions de marin et de soldat (1). »

(1) Voy., dans le Moniteur, la séance du 24 mai 1848.

Le débat fut court. Lorsque M. Laurent (de l'Ardèche) prononça ces vives et fortes paroles : « Vous voulez donc créer un péché originel politique?» des rumeurs hostiles l'interrompirent. Chose étrange! Le projet de décret s'appuyait sur la loi de 1832, et deux de ceux que les dispositions de cette loi atteignaient, figuraient, en ce moment même, dans l'Assemblée, comme élus du suffrage universel ! C'étaient Pierre et Napoléon Bonaparte. Une allusion ayant été faite à ce que leur situation avait de provisoire, le dernier revendiqua son droit de citoyen français avec une grande animation, et M. Ducoux ayant, pour provoquer une explication sans doute, laissé tomber ces mots : « Aucun de nous ne songe à des espérances qui seraient évidemment criminelles, » Pierre et Napoléon Bonaparte mirent un égal empressement à s'écrier: « Personne ! personne ! »

On alla aux votes, sous l'impression de cet incident. O misère ! Parmi les orléanistes, les uns se déclarèrent contre leurs idoles de la veille; les autres, et de ce nombre M. Odilon Barrot, crurent faire acte d'héroïsme... en s'abstenant d'où résulta, en faveur du projet de décret, l'écrasante majorité de 632 voix contre 63.

J'ignore si, de ces 63 boules noires, beaucoup furent fournies par le parti auquel j'appartiens, et j'ai la douleur de croire que non. Mais, en tout cas, il y eut une boule républicaine qui, jetée dans l'urne ouvertement, de manière à être aperçue de chacun, protesta contre les lois de proscription: ce fut la mienne. Et je m'honore de cet acte, comme de l'acte le plus vraiment républi– cain que m'ait jamais inspiré ma conscience. Oui, je votai contre le bannissement à perpétuité des Bourbons et des d'Orléans :

En principe,

Parce que toute peine infligée à un homme pour le délit d'un autre homme est une iniquité grossière;

Parce que, dans toute peine prononcée contre des enfants à naître, il y a iniquité à la fois et monstruosité;

Parce que la raison d'État est un sophisme qu'il faut laisser aux tyrans, et, que pour de vrais républicains, la raison d'État, c'est la justice;

Parce que faire à certains hommes, quels qu'ils soient, une position exceptionnelle, en bien ou en mal, c'est rester dans la logique des monarchies ;

Parce que le privilége par l'exil est tout aussi insolent que le privilége par le trône;

Parce qu'on ne saurait admettre qu'un fils de roi, comme tel, ait droit à la persécution, quand on n'admet pas que, comme tel, il ait droit à une couronne;

Parce qu'un dernier coup est à frapper sur le principe de l'hérédité monarchique, et que le frapper est dans l'intérêt de la république, et de son devoir, et de son honneur;

En fait,

Parce que, dans l'ordre des choses physiques, plus un individu est éloigné, plus il paraît petit, tandis que, dans l'ordre des choses morales, plus il est éloigné, plus il paraît grand;

Parce que déclarer qu'on redoute quelqu'un, c'est déjà le rendre redoutable;

Parce que la proscription est une séduction, et donne pour complice à un prétendant proscrit le malheur;

Parce qu'une intrigue dynastique peut être conduite de loin avec autant de bonheur et... plus de sécurité;

Parce qu'il est bon d'avoir des fils de roi sous la main, quand ils conspirent;

Parce que rapprocher des prétentions ridiculement rivales, en présence d'un grand principe qui les domine toutes, c'est les annuler l'une par l'autre ;

Parce que rien ne servirait mieux la majesté de la République, ne la présenterait mieux comme l'unique garantie du repos des peuples, n'intéresserait davantage à sa conservation, que l'impuissance d'une cohue de prétendants, surveillés de près, et réduits, soit à cacher, soit à nier leurs prétentions, comme on cache ou comme on nie un crime.

Parce qu'enfin, il n'y aura plus ni rois, ni princes, le jour où l'on aura compris tout ce que renferme ce mot suprême : le droit `

commun.

La question résolue contre les princes d'Orléans par l'Assem

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