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problème de la Révolution de février; et ce problème, c'est Louis Blanc qui l'a posé. Cela suffit pour rendre immortels le nom de l'auteur et le titre de l'ouvrage.

>> Maintenant, qu'est-ce que l'organisation du travail ? Comment le travail doit-il être organisé?... Louis Blanc a pu se tromper sur la réponse : nul n'est en droit de lui en faire un reproche. Son droit, à lui, son devoir, sa gloire, était de dire, de manière à être entendu de tout le monde : « Le problème de la Révolution » de février, c'est le problème de l'organisation du travail! »

» Louis Blanc, pamphlétaire, journaliste, orateur, historien, homme d'imagination, de sentiment et de symbolisme, avait auprès de lui, comme collègue et assesseur, un ouvrier, ALBERT: le travailleur donnant la main à l'homme de lettres!... Leur mission, à tous deux, fut de préparer les âmes, de répandre la semence révolutionnaire, de la faire germer en l'arrosant de poésie et d'éloquence.

» Avec la propagande socialiste, naquit bientôt la réaction. Dès que la République connut son nom et son prénom, elle connut aussi ses adversaires. Le temps des tribulations commença pour elle. La secte économiste fulmina contre les conférences du Luxembourg; l'Institut se mit de la partie; les journaux prêtèrent leurs colonnes. Quiconque alors voulait faire son chemin sous le nouveau gouvernement, gagnait ses grades en attaquant Louis Blanc. Combattre le socialisme devint la meilleure recommandation sous une République essentiellement socialiste. MM. Falloux et Faucher sont au ministère : Louis Blanc est à Londres, Albert à Vincennes. Ce fut une mode de dire que l'Organisation du travail de Louis Blanc avait désorganisé le travail. Je voudrais savoir si la confiance-Faucher rétablit mieux nos affaires... (1)? »

Dans un précédent article, j'ai prouvé que la guerre à l'État aboutissait à la négation de la liberté je ne quitterai pas la

(1) Le Peuple du 19 février 1849.

plume sans avoir prouvé qu'elle aboutit du même coup à la négation de l'égalité et de la fraternité.

Et n'est-il pas, en effet, bien remarquable que l'homme si ardent à vouloir supprimer l'État soit celui qui ose écrire: A chacun selon ses besoins, c'est moins que l'égalité? Comme si l'égalité pouvait être là où les besoins de l'un sont satisfaits sans que les besoins de l'autre le soient, là où les lois de la nature, obéies chez le premier, sont méconnues chez le second!

A chacun selon ses œuvres, telle est donc la doctrine saintsimonienne de ces grands adversaires de l'État. Mais qui décidera de la valeur et de la légitimité des œuvres? Sera-ce un pouvoir quelconque? M. Proudhon n'en admet d'aucune sorte, moins conséquent en cela que les saint-simoniens, qui, eux du moins, reconnaissaient un pape. Sera-ce cette règle tant vantée par les économistes de l'école libérale, cette règle fille du hasard et mère de l'oppression, ce fait brutal insolemment érigé en principe le rapport de l'offre à la demande? Résignons-nous alors. Nous voilà emprisonnés à jamais dans la société actuelle. Laissez faire le capital, laissez passer la justice de la concurrence.

A chacun selon ses œuvres! Cette loi de répartition est si fausse, si évidemment absurde et injuste, que la société deviendrait impossible le jour où on cesserait de la violer. Est-ce la formule à chacun selon ses œuvres, ou celle à chacun selon ses besoins, que met en pratique la mère qui allaite son fils, dont les œuvres présentes sont nulles et les œuvres à venir ignorées ?

Est-ce la formule à chacun selon ses œuvres, ou celle à chacun selon ses besoins que met en pratique le fils qui soigne son vieux père, sans mesurer les soins qu'il lui rend, soit aux œuvres présentes, soit aux oeuvres passées? Est-ce la formule à chacun selon selon ses œuvres, ou celle à chacun selon ses besoins que les yeux de l'âme lisent sur la porte des colléges où l'on élève les enfants, des hôpitaux où l'on panse les blessés, des hospices où l'on recueille les vieillards, des maisons où l'on nourrit les fous? O société inconséquente, qui hésites à appliquer logiquement et complétement un principe sans lequel tu laisserais mourir les vieil

lards et les enfants, sans lequel tu perdrais ce qui fut et ce qui sera, hier et demain !

Mais, objecte M. Proudhon, comment donner pour règle à la répartition la loi des besoins, puisque le besoin de consommation est infini et la production limitée? Ah! vraiment! Ainsi des gens se trouvent de par le monde, qui ont le besoin infini d'habiter en même temps cent palais et plus, de porter à la fois mille vêtements et plus, de faire dix mille repas et plus par jour! Nous avions cru jusqu'ici que la consommation avait pour limites nécessaires les limites mêmes de la production. Mais il paraît que c'était une grave erreur économique, et qu'il est possible à un homme, sans courir risque d'être envoyé à Charenton, de vouloir manger plus de blé que la terre entière n'en produit !

Que, dans une société construite comme celle d'aujourd'hui, au point de vue de l'individualisme, la formule à chacun selon ses besoins soit, en sa généralité, d'une application impossible et ne soit applicable qu'au régime de l'association fraternelle; que même dans ce dernier régime, s'il était immédiatement inauguré, le développement du vrai principe d'égalité et de justice rencontrât des obstacles, parce que la civilisation corrompue qui nous tient encore sous son empire a créé maint besoin factice et maint goût dépravé qui pourraient donner lieu à des exigences injustes, c'est ce que je suis le premier à reconnaître. Mais il n'en est pas moins certain que c'est là le principe à adopter, le but à marquer, et que c'est en vue de cette réforme suprême que la Révolution sociale doit s'accomplir.

Après tout, l'homme a des besoins physiques dont la nature elle-même assigne la limite. Il a des besoins moraux qui, dans une association régulière et progressive, trouveraient à se satisfaire et à se développer collectivement. Pour ce qui est des besoins purement factices que crée une civilisation vicieuse et qui peuvent faire naître des exigences extravagantes, ou ils ne se produiraient pas dans une association régulière, ou ils y constitueraient des maladies individuelles que la société se devrait non pas d'alimenter, mais de guérir.

Encore un mot, et ce sera le dernier. Pour prouver qu'en lan

cant cette thèse de l'an-archie, M. Proudhon n'a voulu que jongler avec des phrases, ou bien ne s'est pas compris lui-même, nous invoquerons l'autorité de qui? De M. Proudhon lui-même, dont voici le programme politique, cité textuellement :

« Il faut, pour qu'une nation se manifeste dans son unité, que cette nation soit centralisée dans sa religion, centralisée dans sa justice, centralisée dans sa force militaire, centralisée dans son agriculture, son industrie et son commerce, centralisée dans ses finances, centralisée, en un mot, dans toutes ses fonctions et facultés; il faut que la centralisation s'effectue de bas en haut, de la circonférence au centre, et que toutes les fonctions soient indépendantes et se gouvernent chacune par elle-même.

>> Groupez ensuite, par leurs sommités, ces administrations différentes vous avez votre conseil des ministres, votre pouvoir exécutif, qui pourra très-bien alors, se passer de conseil d'État.

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ils tiennent leur

mais de vérifier les

» Élevez au-dessus de tout cela un grand jury, législature ou assemblée nationale, nommée directement par la totalité du pays, et chargée, non pas de nommer les ministres investiture de leurs commettants spéciaux comptes, de faire les lois, de fixer le budget, de juger les différends entre les administrations, le tout après avoir entendu les conclusions du ministère public, ou ministre de l'intérieur, auquel se réduira désormais tout le gouvernement et vous avez une centralisation d'autant plus forte, que vous en multipliez davantage les foyers, une responsabilité d'autant plus réelle, que la séparation entre les pouvoirs sera plus tranchée : vous avez une constitution à la fois politique et sociale.

» Là, le gouvernement, l'État, le pouvoir, quel que soit le nom que vous lui donniez, ramené à ses justes limites, qui sont, non de légiférer ni d'exécuter, pas même de combattre ou de juger, mais d'assister, comme ministère public, aux débats des tribunaux et aux discussions du parlement; de rappeler le sens des lois et d'en prévenir les contradictions; de surveiller, comme police, leur exécution, et de poursuivre les infractions: là, dis-je, le gouver

T. II.

23.

nement n'est autre chose que le proviseur de la société, la sentinelle du peuple (4). »

Voilà donc que ce terrible adversairè de l'État, de l'État en principe, de l'État quel qu'il soit, vient ici nous parler de centraliser toutes choses, d'avoir une représentation nationale, un pouvoir exécutif, un ministère public, un ministère de l'intérieur; il ne dédaigne pas les vérifications des comptes, il admet un budget, il s'accommode fort de l'existence de tribunaux, il veut des poursuites contre tout infracteur des lois, horreur! il demande une police, et il va jusqu'à proposer un gouvernement, le mot est de lui un gouvernement proviseur! Ceci dispense de tout commentaire et clôt la dispute !

oui

-

LA LIBERTÉ

A Monsieur Jules Simon.

Monsieur, je reçois votre livre sur la Liberté; je l'ouvre, et j'y lis avec douleur, touchant ce que vous nommez la liberté de l'atelier, des pages qui vont à consacrer, dans ce qu'il a de plus étouffant, ce despotisme anonyme, irresponsable, des choses, sous lequel la grande masse des travailleurs gémit écrasée.

Qu'un républicain tel que vous, monsieur, un esprit généreux, un philosophe dans le talent duquel j'ai senti si souvent palpiter le cœur de l'homme, n'ait pas été mieux inspiré dans ses recherches sur la question du travail, c'est là certainement une des preuves les plus poignantes de l'empire des préjugés en vogue, et de la force de résistance que possèdent les erreurs de longue date. Comme il s'agit ici d'intérêt public, laissez-moi vous faire part

(1) Confessions d'un Révolutionnaire, p. 68.

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