Images de page
PDF
ePub

ce monde l'ignorance et la pauvreté, double forme de l'esclavage du Peuple, vous entendrez crier au despotisme. Comme si l'amélioration morale et physique du sort de tous ne devait pas être la grande préoccupation de tous et leur principale affaire ! comme si la société agissant en qualité de société — en d'autres termes l'État n'était pas compétente pour rechercher et détruire la cause des souffrances de la majeure partie de ses membres!

» Voilà pourtant à quoi se réduit toute la question! >> Car, enfin, est-ce que nous avons jamais parlé de doctrines particulières ayant le droit de s'imposer par la force?

>> Est-ce que nous avons jamais reconnu à un homme, quel qu'il fût, le droit de plier violemment les autres hommes au joug de ses convictions?

>> Est-ce que nous n'avons pas toujours réclamé, vanté, invoqué le suffrage universel comme l'épreuve suprême à laquelle toute idée devait humblement se soumettre?

>> Est-ce que nous avons jamais tenu pour légitime un pouvoir autre que celui du Peuple, manifestant son vouloir par une assemblée sortie de son choix?

>> Est-ce que la subordination absolue de la puissance exécutive à la souveraineté législative n'a pas été mille fois présentée par nous comme une des grandes nécessités du régime républicain?

>> Est-ce que nous n'avons pas, tout en soutenant la centralisation politique, combattu la centralisation administrative, au nom de la liberté communale?

» Est-ce que ce n'est point la liberté du faible et du fort que nous avons défendue, en attaquant la concurrence, lutte inégale, dans laquelle le pauvre et le faible sont inévitablement opprimés ?

>> Est-ce que nous n'avons pas montré, enfin, jusqu'à quel point nous redoutions l'abus, soit de la force, soit du nombre, quand nous avons déclaré supérieurs au droit même des majorités et absolument inviolables:

» La liberté de la presse,
» La liberté de conscience,
» La liberté d'association,

T. II.

24.

» Le droit de réunion,

» Le droit au travail?

>> Notre profession de foi, la voici en quelques mots :

» 1o Notre idéal est l'état de société dans lequel, chacun ayant le pouvoir d'exercer complétement toutes ses facultés et de satisfaire pleinement tous ses besoins, jouirait de la plus grande somme de liberté qui se puisse concevoir;

» 2o Convaincu que cet idéal diffère trop de l'organisation actuelle de la société pour être réalisé immédiatement, nous avons proposé des mesures transitoires propres, selon nous, y conduire progressivement et sans secousse; mais ces mesures, nous n'entendons pas qu'on les impose. Elles appartiennent à la discussion: que l'opinion publique les juge, et que l'opinion publique, s'exprimant au moyen du suffrage universel, les rejette si elle les croit mauvaises où les adopte si elles les croit bonnes. Voilà ce que nous demandons et nous n'avons jamais demandé autre chose.

» La liberté ! ah ! qu'on la définisse donc une fois pour toutes; qu'on ne la sépare pas de l'égalité et de la fraternité, ses divines compagnes; qu'on reconnaisse qu'elle doit exister pour tous, pour tous sans exception, sous peine de n'exister pas..., et alors nous osons affirmer que jamais homme sur la terre ne porta plus loin que nous l'amour, le culte, la passion de la liberté! >>

[ocr errors]

Oui, monsieur, voilà ce que j'écrivais, il y a déjà plusieurs années, en réponse à des attaques parties d'un camp qui, certes, n'est pas le vôtre. Hélas! qui m'aurait dit que j'aurais, un jour, å en faire la remarque ?

Recevez, monsieur, mes salutations fraternelles il m'eût été doux d'y pouvoir joindre mes félicitations.

LOUIS BLANC.

N° 2

ÉCLAIRCISSEMENT SUR LES DOCTRINES DU

Monsieur,

LUXEMBOURG

A M. C***.

Dans l'Indépendance belge du 20 octobre, vous avez porté sur mes doctrines et sur mes actes un jugement qui, pour être sévère, n'en révèle pas moins, de votre part, l'intention formelle d'être juste.

Ainsi, vous élevant au-dessus des grossières calomnies dont on m'a poursuivi bassement jusque dans mon exil, vous avez eu la bonne foi de reconnaître et la loyauté de faire savoir :

Que, loin d'avoir soufflé au Peuple, en 1848, une farouche impatience, je m'étais, au contraire, étudié à la prévenir.

Que, loin d'avoir bercé les ouvriers d'espérances chimériques, comme on me l'a tant et si injustement reproché, je ne leur avais rien dissimulé des obstacles à vaincre;

[ocr errors]

Qu'aucune pensée de violence n'était entrée dans mon esprit ; Que mon action avait toujours été sourdement combattue même par ceux de qui je devais attendre aide et secours;

Qu'en butte à des inimitiés systématiques et sans scrupule, j'avais été, après la Révolution, « le bouc émissaire qu'Israël avait chargé de toutes ses iniquités ; »

Que, par exemple, ces fameux Ateliers nationaux au sujet desquels j'ai couru risque d'être assassiné à Paris, en plein jour et en plein boulevard, n'avaient été ni mon ouvrage ni une application, même indirecte, de mes doctrines, mais l'œuvre exclusive de mes adversaires au sein du Gouvernement provisoire; de sorte que j'étais tombé victime d'une imposture... la plus audacieuse et la plus infâme qui fut jamais.

"

!

Oui, monsieur, tout cela résulte de votre article. Je suis donc

fondé à voir en vous un critique sincère, un censeur honnête; et comment, dès lors, le désir de vous répondre ne me serait-il pas venu? Rechercher la discussion quand elle ne doit point profiter à la haine ou au mensonge, n'est-ce pas rendre à la fois hommage et service à la vérité?

Vous commencez par dire :

<< Si j'avais le malheur de croire nécessaire une révolution, et le malheur, plus grand encore, de travailler à la faire venir, je jugerais de mon plus strict devoir de préparer, pour mes associés et pour moi, un plan de conduite si bien combiné, que, la Révolution faite, elle n'aurait plus qu'à marcher dans la voie que je lui aurais tracée. »

Serait-ce donc, monsieur, que vous regardez une révolution comme pouvant jamais être l'œuvre de quelqu'un? Est-il un homme assez présomptueux pour se croire capable d'embrasser, de dominer, de modifier à sa guise ce vaste et mystérieux ensemble de circonstances historiques dont une révolution est le produit? Lorsque ces grands changements arrivent, c'est en vertu de lois générales et logiques dont les individualités, même les plus puissantes en apparence, ne sont que des instruments à demi aveugles. Il n'y a que tout le monde pour faire la besogne de tout le monde. Le mouvement des sociétés en travail n'a jamais été aux ordres de tel ou tel : l'histoire ne porte la livrée de personne.

« Je suppose, ajoutez-vous, que, dans l'effervescence, on ne tienne compte de mes moyens : j'aurai fait, du moins, ce qui était humainement possible pour adoucir la pente abrupte de la Révolution, j'aurai montré le port et l'abri, je ne me serai pas engagé dans les défilés du labyrinthe sans le fil conducteur qui doit sauver le pays. »

Si par là vous voulez dire que ceux qui travaillent à une révolution, parce qu'ils la jugent nécessaire et légitime, ne doivent pas marcher au hasard; si vous voulez dire que chacun est tenu de chercher d'avance la meilleure route à suivre, sauf à y appeler ensuite les autres, conformément à ses convictions et dans la me

sure de ses forces, je suis tout à fait de votre avis; mais pourquoi vous écriez-vous: « Ce n'est pas de cette manière qu'a procédé M. Louis Blanc ? >>

Je vous en demande bien pardon, monsieur : c'est justement de cette manière que j'ai procédé. Est-ce que j'avais attendu 1848 pour me préoccuper de la direction qui, selon moi, devait être donnée à une révolution sociale? Est-ce que je n'avais pas publié, depuis dix ans déjà, un livre qui, à cet égard, exposait mes croyances? Est-ce que, dès le premier jour de la Révolution, je ne m'en suis pas clairement expliqué? Est-ce que, non content d'indiquer ce que, selon moi, il y avait à faire, je n'ai pas demandé avec instance les moyens de le tenter? Et cette demande, obstinément repoussée, n'a-t-elle pas été le premier épisode des luttes intestines du Gouvernement provisoire? Vous me blâmez d'avoir mis, au Luxembourg, les questions à l'étude quand il s'agissait de les résoudre. Eh! sans doute, monsieur, les résoudre eût mieux valu au moins aurait-il fallu l'essayer, sans emportement, sans précipitation, et toutefois avec fermeté. Mais ignorez-vous que c'était là précisément ce que je voulais et ce que la majorité du Gouvernement provisoire ne voulut pas? Ignorez-vous que mon grand crime à ses yeux fut d'avoir ce plan dont vous parlez et d'en désirer le succès avec toute l'ardeur d'une conviction que, aujourd'hui encore, je sens en mon cœur plus vivante que jamais? Ce qui était mûr pour moi ne l'était malheureusement pas pour mes collègues. C'était afin qu'on allât droit à la solution que je demandais la création d'un Ministère du Travail; ce fut afin qu'on s'arrêtât dans l'étude, qu'ils proposèrent, eux, l'établissement de la Commission du Luxembourg. J'ai retracé dans les Pages d'his toire les scènes orageuses qui, à cette occasion, éclatèrent au sein. du Conseil ; j'ai rappelé combien vive fut ma résistance à un projet qui, au lieu de me fournir les moyens requis pour l'application, m'envoyait faire un cours sur la faim devant le Peuple affamé. Mais alors, pourquoi ne vous retirâtes-vous pas ? — Parce que ma démission, offerte, fut repoussée avec une véhémence presque tragique; parce que mes collègues, effrayés, me déclarèrent d'avance, si je persistais, responsable de la guerre civile, résultat

« PrécédentContinuer »