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celui qui répond à des actes de sauvagerie sociale par l'artillerie d'un bon mot (1). »

Il serait trop long d'énumérer toutes les inventions meurtrières qui, lancées par le Constitutionnel et d'autres journaux de ce genre, passèrent pour articles de foi parmi ceux qui avaient intérêt à y croire. Et puis le moyen de suivre, dans leur affreux progrès, des calomnies qui parcoururent l'Europe entière, gros-sissant à chaque pas comme des boules de neige (2)?

Je n'insisterai pas davantage sur ce triste sujet. Mais, ayant dit sans détour ce qui est, suivant moi, à la charge du Gouvernement provisoire, je demande à dire avec la même franchise ce qui, suivant moi, est à sa louange.

Quelque opinion qu'on se fasse des vues que ce gouvernement émit ou représenta, et quelque déplorables qu'aient été les erreurs où une défiance irréfléchie de toute idée nouvelle précipita la majorité de ses membres, son passage sur la scène orageuse du monde restera comme un souvenir impérissable d'honnêteté, d'intégrité, d'amour du bien public, et de dévouement. Je ne nierai pas qu'il n'y ait eu entre ceux qui le composèrent de ces malentendus et de ces divisions qui accusent l'infirmité humaine; et, néanmoins, ma conviction profonde est que le Gouvernement provisoire, si l'on prend l'ensemble de ses actes, peut soutenir la comparaison avec le meilleur gouvernement qui ait jamais existé. Oui, lorsque les clameurs de parti seront tombées, l'histoire dira que jamais gouvernement, dans le court espace de deux mois, ne rendit autant de décrets favorables à la liberté, et empreints d'un aussi profond respect pour la dignité

(1) Figaro du 7 septembre 1856.

(2) La rougeur monte au front quand on songe que les autorités historiques, que certaines gens ont invoquées, invoquent encore aujourd'hui et invoqueront demain, dans leurs attaques contre le Gouvernement provisoire, sont un Chenu, un Delahodde, un Mirecourt : les deux premiers, mouchards de la plus vile espèce, témoignant en cette qualité, et le troisième, calomniateur de profession, tout couvert des flétrissures de la police correctionnelle.

humaine; que jamais, au milieu d'un immense conflit de passions déchaînées, gouvernement ne montra une sérénité plus constante, une confiance plus noble dans l'autorité morale de son principe, un désintéressement plus absolu, et un plus fier courage; que jamais gouvernement ne traita ses ennemis avec plus de magnanimité, ne fit preuve d'une plus grande horreur pour l'effusion du sang, et ne s'abstint plus scrupuleusement de tout acte de violence; en un mot, que jamais gouvernement ne réussit d'une manière aussi merveilleuse à se maintenir, tant qu'il le jugea à propos, au sommet d'une société ébranlée jusqu'en ses fondements; et cela, sans avoir recours à la force, sans employer juges, police, soldats, et sans appeler à son aide d'autre pouvoir que celui... de la persuasion.

CHAPITRE DIX-HUITIÈME

LES ÉLECTIONS

Fête de la Fraternité. - Distribution de drapeaux à la garde nationale et à l'armée. Serment des chefs de corps. Défilé des troupes devant le Gouvernement provisoire. Enthousiasme patriotique de l'armée. Comment cette même armée fournit-elle, plus tard, des prétoriens à Louis Bonaparte? - Événements de Rouen. Décret relatif aux élections générales, appliquant le principe du suffrage universel. Calme avec lequel les élections s'accomplirent par toute la France. Manoeuvres des réactionnaires. Circulaires de quelques-uns d'entre eux. Les parias du Luxembourg. Revue des Ateliers nationaux projetée, en vue des élections, par MM. Marrast et Marie. - Élimination Pourquoi ce projet dut être abandonné. des noms de Ledru-Rollin, Flocon, Albert et Louis Blanc sur les bulletins distribués par la mairie de Paris. La conciliation prêchée au Luxembourg. - Choix des candidats ouvriers par les délégués des corporations. Commission d'examen. - Questions posées aux candidats. Mes efforts pour empêcher que la liste dressée par les délégués ne soit trop exclusive.-Succès de coalition obtenu par la liste dite modérée. - Triomphe électoral de M. de Lamartine. L'homme politique et le poëte.

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Le 20 avril, Paris fut témoin d'une fête qu'on nomma fête de la Fraternité, et dont la pompe, moitié militaire moitié civique,

T. II.

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montra d'une manière bien frappante quelle force morale la République possédait à Paris.

L'objet de cette fête étant la distribution d'étendards nouveaux tant à l'armée qu'à la garde nationale, quelques détachements de cavalerie et des régiments d'infanterie avaient été rappelés à Paris.

A sept heures du matin, plus de deux cent mille citoyens, ouvriers et bourgeois, étaient sur pied, en uniforme de garde national; et les troupes de ligne, avec la garde mobile, ne montaient pas à moins de cent mille hommes. Les rues regorgeaient de peuple. A l'extrémité des Champs-Élysées, on avait élevé en forme d'amphithéâtre une immense estrade appuyée à l'arc de triomphe de l'Étoile. A environ neuf heures, vingt et un coups de canon, tirés de l'Hippodrome, saluèrent l'arrivée du Gouvernement provisoire. Il prit place sur le premier rang, M. Dupont (de l'Eure) assis au centre. Derrière, un brillant état-major, la magistrature en grand costume, les hauts fonctionnaires de l'État. De chaque côté, deux orchestres jouant des airs patriotiques. Au haut de l'estrade, un groupe de femmes élégamment vêtues, tenant des bouquets noués de rubans tricolores. Au pied de l'estrade, les colonels des différents corps, rangés en demi-cercle.

A dix heures, M. Arago se leva, le drapeau de la République à la main, et, s'adressant aux officiers d'une voix émue et fière: << Colonels, au nom de la République, nous prenons Dieu et les hommes à témoin que vous jurez fidélité à ce drapeau. » Les colonels, l'épée haute, répondirent: « Nous le jurons. Vive la république ! » Alors le canon gronda, l'air retentit de chants révolutionnaires, et les troupes commencèrent à défiler.

Le temps était doux, le ciel couvert. D'intervalle en intervalle, un rayon de soleil, déchirant les nuées, faisait étinceler la forêt mouvante des baïonnettes qui se hérissaient tout le long de la grande avenue des Champs-Élysées. Cette prodigieuse masse d'hommes armés s'avançant en bon ordre quoique avec enthousiasme, les guirlandes de fleurs qui masquaient la gueule des canons, les branches de lilas et d'aubépine qui s'agitaient au bout des fusils, les hymnes de joyeux patriotisme où se perdait presque

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