Images de page
PDF
ePub

ERASTE.

Voici notre fubtil Napolitain, qui nous dira des nouvelles,

SCENE I V.

JULIE, ERASTE, SBRIGANI,

M

NERINE.

SBRIGANI.

Onfieur, votre homme arrive. Je l'ai vû à trois lieues d'ici, où a couché le coche ; &, dans la cuifine où il eft defcendu pour déjeuner, je l'ai étudié une bonne demie heure, & je le fais déjà par cœur. Pour fa figure, je ne veux point vous en parler, vous verrez de quel air la nature l'a deffiné, & fi l'ajustement qui l'accompagne y répond comme il faut; mais, pour fon efprit, je vous avertis par avance, qu'il eft des plus épais qui fe faffent ; que nous trouvons en lui une matiére tout-à-fait difpofée pour ce que nous voulons, & qu'il eft homme enfin à don ner dans tous les panneaux qu'on lui présentera..

Nous dis-tu vrai ?

ERASTE.

SBRIGANI.

Oui, fi je me connois en gens.

NERINE.

Madame, voilà un illuftre. Votre affaire ne pouvoit être mise en de meilleures mains, & c'est le héros de notre fiécle pour les exploits dont il s'agit; un hom me qui, vingt fois en fa vie, pour fervir ses amis, a généreufement affronté les galéres ; qui, au péril de fes bras & de fes épaules, fait mettre noblement à fin les aventures les plus difficiles; & qui, tel que

vous le voyez, eft exilé de fon pays, pour je ne fais combien d'actions honorables qu'il a généreusement entreprises.

SBRIGA NI.

Je fuis confus des louanges dont vous m'honorez, & je pourrois vous en donner avec plus de juftice fur les merveilles de votre vie ; & principalement fur la gloire que vous acquittes, lorfqu'avec tant d'honnê→ teté vous pipâtes au jeu, pour douze mille écus, ce jeune Seigneur étranger que l'on mena chez vous; lorfque vous fites galamment ce faux contrat qui ruina toute une famille; lorfqu'avec tant de grandeur d'ame, vous fûtes nier le dépôt qu'on vous avoit confié ; & que, fi généreusement, on vous vit prê ter votre témoignage à faire pendre ces deux personnes qui ne l'avoient pas mérité.

NERINE.

Ce font petites bagatelles qui ne valent pas qu'on en parle; & vos éloges me font rougir.

SBRIGANI.

Je veux bien épargner votre modeftie, laiffons cela; &, pour commencer notre affaire, allons vîté joindre notre provincial, tandis que, de votre côté, vous nous tiendrez prêts au befoin les autres acteurs de la

comédie.

ERASTE..

'Au moins, Madame, fouvenez-vous de votre rôle &, pour mieux couvrir notre jeu, feignez, comme on vous a dit, d'être la plus contente du monde des réfolutions de votre pere.

JULIE.

S'il ne tient qu'à cela, les chofes iront à merveille. ERASTE.

Mais, belle Julie, fi toutes nos machines venoient à ne pas réuffir?

JULIE,

Je déclarerai à mon pere mes véritables fentimens. ERASTE.

Et fi, contre vos fentimens, il s'obftinoit à fon def fein?

JULIE.

Je le menacerois de me jetter dans un couvent.

ERÁ STE.

Mais fi, malgré tout cela, il vouloit vous forcer à ce mariage?

JULIE.

Que voulez-vous que je vous dife?

ERASTE.

Ce que je veux que vous me difie»?

Oui.

JULIE.

[merged small][merged small][merged small][merged small][ocr errors][merged small]

ERASTE.

Que rien ne pourra vous contraindre; & que, malgré tous les efforts d'un pere, vous me promettez d'être

à moi.

JULIE.

Mon Dieu! Erafte, contentez-vous de ce que je fais maintenant, & n'allez point tenter fur l'avenir les réfolutions de mon cœur ; ne fatiguez point mon devoir par les propofitions d'une fâcheufe extrémité, dont peut-être n'aurons-nous pas befoin ; &, s'il venir, fouffrez au moins que j'y fois entraînée par la fuite des chofes.

y

faut

Hé bien....

ERASTE.

SBRIGANL

Ma foi, voici notre homme, fongeons à nous.

NERINE.

NERINE.

Ah! Comme il est bâti!

SCENE V.

M. DE POUR CE A UGNAC, SBRIGA NI.

M. DE POURCEAUGNAC fe tournant du côté d'où il eft venu, & parlant à des gens qui le fuivent.

Hdiantre foit la fotte ville, & les fottes gens qui

E quoi ? Qu'est-ce ? Qu'y a-t-il ? Au

y font ! Ne pouvoir faire un pas, fans trouver des nigauds qui vous regardent, & fe mettent à rire ! Hé, Meffieurs les badauds, faites vos affaires, & laiffez paffer les perfonnes fans leur rire auhéz. Je me donne au diable, fi je ne baille un coup de poing au premier que je verrai rire.

SBRIGANI parlant aux mêmes perfonnes. Qu'est-ce que c'eft, Meffieurs? Que veut dire cela ? A qui en avez-vous? Faut-il fe moquer ainfi des honnêtes étrangers qui arrivent ici?

M. DE POURCEAUGNA C.*

Voilà un homme raifonnable, celui-là.

SBRIGANI.

Quel procedé eft le vôtre, & qu'avez-vous à rire ? M. DE POURCEAUGNAC.

Fort bien.

SBRIGANI.

Monfieur a-t-il quelque chofe de ridicule en foi ?
M. DE POUCEAUGNAC.

Oui.

Tome VI.

C

SBRIGANI.

Eft-il autrement que les autres?

M. DE POURCEAUGNAC, Suis-je tortu, ou boffu?

SBRIGANI.

Apprenez à connoître les gens.

M. DE POURCEAUGNAC.

C'est bien dit.

SBRIGANI.

Monfieur eft d'une mine à refpecter.

M. DE POURCEAUGNAC,

Cela eft vrai.

SBRIGANI.

Perfonne de condition.

M. DE POURCEAUGNAC,

Oui. Gentilhomme Limofin.

SBRIGANI.

Homme d'efprit.

M. DE POURCEAUGNAC,
RCE

Qui a étudié en droit.

SBRIGANI.

Il vous fait trop d'honneur de venir dans votre ville, M. DE POURCEAUGNAC.

Sans doute.

SBRIGANI.

Monfieur n'eft pas une perfonne à faire rire,
M. DE POURCEAUGNAC.

Affurément.

SBRIGANI.

Et quiconque rira de lui, aura affaire à moi.
M. DE POURCEAUGNAC à Sbrigani.
Monfieur, je vous fuis infiniment obligé.

SBRIGANI.

Je fuis fâché, Monfieur, de voir recevoir de la forte une perfonne comme vous, & je vous demande pardon pour la ville.

« PrécédentContinuer »