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dans ses explorations lointaines l'oubli de ses maux, et dans la fille d'un noble émigré français l'objet d'une nouvelle passion plus pure et plus digne de lui. Cette femme. n'est pas pourtant l'héroïne du livre, ou du moins celle dont le nom figure sur le titre. Gazida n'est qu'un personnage accessoire, la fiancée indigène d'un des serviteurs dévoués de l'émigré français. Elle a été emmenée brusquement par sa sauvage famille, et notre jeune voyageur s'associe aux courses périlleuses entreprises pour la retrouver. Il n'est pas encore question d'elle dans toute la première moitié du récit et on l'entrevoit à peine dans la seconde. Il faut beaucoup d'intérêt dans le détail pour racheter un pareil défaut de composition.

Le roman de Gazida offre des scènes pittoresques, des récits émouvants, des personnages sympathiques. M. de Mériol, l'émigré, est un bon et aimable vieillard qui répand la sérénité autour de lui; on retrouve avec bonheur cette vieille urbanité de la société aristocratique française au milieu du désert. Le style de M. X. Marmier a, comme toujours, beaucoup de grâce, trop de grâce même, et si je ne craignais de tomber dans des redites sans profit, je reprocherais à l'auteur de séduisants défauts, auxquels d'autres peut-être applaudissent. Je voudrais, dans le roman ou dans le voyage, une élégance moins recherchée, moins de comparaisons classiques, moins de fleurs1. Ici, comme dans les Fiancés du Spitzberg, fourmillent les rapproche

1. Voici, par exemple, une observation plus juste que nouvelle, relevée inutilement par le luxe du style métaphorique :

α

« Si nous interrogeons cet ouvrier ou ce paysan sur ce qui tient essentiellement à sa profession, il est probable que de ses réponses nous tirerons quelque utile enseignement, et il peut se faire aussi que nous découvrions en lui plus d'une humble vertu que nous chercherions en vain dans l'atmosphère des salons. Les fleurs qui croissent librement en plein air, sur leur vrai terrain, ont plus d'éclat et de parfum que celles qu'on cultive avec soin dans une serre, et ces gens d'une humble condition.... auront le rustique aspect des fleurs des champs, mais ils en auront peut-être aussi les propriétés particulières.

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ments inattendus, les souvenirs littéraires; notre langue française s'émaille de citations de tous les auteurs et de toutes les langues. Ce sont ensuite des digressions qui ralentissent l'action, ici sur la puissance de la musique, là sur la chiromancie, etc. : véritables hors-d'œuvre, taches brillantes que fait seul pardonner le soin de la forme. Car ce soin, même poussé jusqu'à la recherche, est comme celui que l'homme du monde prend de sa personne : il est une marque du respect que l'auteur a de lui-même et du lec

teur.

Nous ne parlerons que pour mémoire du roman de M. Méry, intitulé Ursule1. Nous le prenons simplement, comme le public, pour un signe de vie donné, après un assez long silence, par l'auteur de tant de brillants récits. A une époque où l'on présente, en librairie, tant de réimpressions pour des nouveautés, l'éditeur a craint qu'on ne crût à quelque exhumation du même genre, et a mis, sous le titre même ces mots : « Roman inédit. » Inédit ou non, Ursule n'ajoutera rien à la gloire de M. Méry. C'est l'histoire asez peu nouvelle d'une femme incomprise qui trouve tout simple de trahir un époux qui n'est pas à sa taille; elle trompe sa jalousie en détournant ses soupçons sur un autre que son complice, jusqu'à ce que enfin un incident honteux éclaire le mari et lui suggère d'atroces moyens de vengeance. L'imagination de M. Méry pouvait lui inspirer des combinaisons plus neuves, et son goût lui faire choisir des épisodes plus honnêtes.

M. Paul de Molènes, officier et littérateur distingué, s'est fait une spécialité des sujets militaires: Ses Commentaire d'un Soldat2 ne sont pas un roman, mais une suite

1 Librairie nouvelle.

2. Michel Lévy; in-18.

de scènes et de récits qu'il serait difficile de rapporter à un autre genre. C'est une étude de mœurs faite dans les camps, une galerie de types empruntés à ceux de nos corps d'armée que nos dernières guerres ont mis en évidence. Les zouaves, les spahis, voilà ses héros. Il les a suivis en Crimée, en Italie; il les a vus à l'œuvre, il a pris leur héroïsme sur le fait et l'a reproduit d'après nature. M. P. de Molènes a l'enthousiasme de la guerre; il en aime jusqu'aux horreurs. Le sang, les horribles plaies, n'effrayent pas son pinceau : ce sont des accessoires qui mettent mieux ses braves en relief.

<< Allons, docteur, dépêchons, débarrassez-moi de cela! » Je n'oublierai jamais l'accent de ces mots ni la bouche qui les prononçait. Celui qui parlait ainsi, au seuil d'une ambulance, avant même d'être descendu du mulet dont il avait rougi le flanc par le sang échappé de ses veines, était un vieux zouave au front rasé, à la barbe de patriarche, aux yeux d'un beau clair s'ouvrant sur une face bronzée. « Cela, » c'était son bras brisé, déformé, inerte, et ne tenant plus à son corps que par quelques linéaments ensanglantés. Je dirais, si j'osais employer un pareil mot à propos d'une telle image, que cet homme me fit plaisir, car le triomphe de l'homme sur la souffrance sera toujours un des plus nobles spectacles de ce monde. Cette victoire (Palestro), célébrée par des voix éloquentes, a entouré d'un pompeux éclat bien des personnages qui, peut-être, ne valaient pas ce stoïque obscur dont je n'ai pas su le nom, et dont la vertu n'aura pas laissé d'autre trace que la vibration d'une parole virile dans mon âme.

L'auteur des Commentaires d'un soldat est là tout entier. Chose assez singulière, dans un cadre naturellement si sombre, il aime à produire par les ornements du style des tons criards et des effets chatoyants. Il dit du zouave, qui, en Crimée, lui sert de barbier : « C'était un vrai Figaro son sourire, en dépit de la neige, étincelait comme la musique de Rossini. » En Italie, un zouave mourant demande la main de l'Empereur, « avec cet accent étrange,

violent et sourd, sonnant le formidable et l'inconnu que prend le verbe de l'homme, quand il s'agite, comme un oiseau de nuit effrayé, entre les parois de la masure d'où le chasse la mort. » Est-ce là le style d'un homme qui a vu une scène solennelle et qui la reproduit sous l'empire de ses propres émotions, ou d'un littérateur fantaisiste qui se bat les flancs, tourmente son esprit, se grossit la voix, pour arriver par des moyens puérils, à un effet grandiose1? Combien je préfère les scènes qui montrent, comme celle transcrite plus haut, M. de Molènes trouvant le style simple et grave qui convient à son sujet, quand il ne cherche pas à faire du style!

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N.-P. MM. Noriac, Pallu, Pavie.

A la littérature militaire appartient le plus heureux début de l'année, le 101 Régiment, de M. Jules Noriac1. Ce n'est pas non plus un roman, mais une grande fantaisie pleine de verve, de brio, pour ainsi dire, avec une foule de mots caractéristiques et de traits à l'emporte-pièce. Là revivent tous les types militaires de nos régiments, depuis le simple conscrit jusqu'au colonel; toutes les armes, tous les grades, toutes les habitudes, toutes les allures, tous les travers sont là, dans un pêle-mêle de portraits ou de caricatures rivalisant d'exactitude et de vivacité. Quelques traits suffisent souvent pour croquer une charge ou esquisser une figure. Ici « le lieutenant-colonel parle comme le co

1. On lit ailleurs à propos de la diversité des impressions produites sur l'esprit par les voyages militaires

« Sur ce clavier aux innombrables harmonies où la guerre a promené mon âme, quelques accords ont résonné parfois qui m'ont en même temps navré et charmé. »

2. Librairie nouvelle; in-18. Nombreuses éditions, une édition in-8, illustrée.

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lonel, marche comme le colonel, grogne comme le colonel, rit comme le colonel, fait tout comme le colonel, mais il est plus vieux, pourquoi? C'est une affaire entre le ministre et la destinée. » Là, le capitaine d'habillement, qui fait des économies sur les fournitures, force un soldat d'endosser une tunique qui le gêne horriblement, et, comme celui-ci se plaint « Faites-moi le plaisir, répond-il, de me dire pour quel motif cette tunique vous gênerait et quel intérêt elle pourrait avoir à cela? » Ailleurs, un sergent à qui un carabinier demande s'il a mangé des truffes, répond qu'il en a mangé « approximativement, » et ajoute cette explication: « Ça veut dire que je n'en ai pas mangé personnellement moi-même; mais j'avais dans le temps un camarade de lit qui avait un pays qui était brosseur d'un capitaine qui en mangeait très-souvent. »

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Ce n'est pas là, dira-t-on sans doute, de la littérature d'un ordre bien élevé peut-être; mais quand même on ne supposerait pas chez l'auteur des arrière-pensées philosophiques, et qu'on ne verrait pas, sous la forme d'une satire, un enseignement à l'adresse de notre siècle, on pourrait préférer encore à plus d'un roman prétentieux et à plus d'un drame immoral ces productions d'une fantaisie vive et facile, qui touchent aux choses avec autant de légèreté que de justesse, effleurent les personnes sans les blesser et excitent un rire soutenu, franc et honnête.

M. J. Noriac s'est empressé d'escompter le crédit qui lui était si soudainement ouvert auprès du public, et la Bêtise humaine1, a été comme une seconde lettre de change à laquelle celui-ci s'est hâté de faire honneur. Au bout de six mois, le nouveau livre comptait dix éditions. Gros succès pour la petite œuvre que nous allons faire connaître. L'idée mère de la Bêtise humaine, plus ingénieuse que nouvelle, n'est autre chose que cette supposition si chère aux

1. Librairie nouvelle; in-18, 284 p.

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