Images de page
PDF
ePub

et le refrain, ramené de trois en trois stances, fait un effet heureux :

Écoutez ma chanson de guerre,
C'est la chanson du travailleur,
Un compagnon me l'a naguère
Apprise en buvant de la bière.
A ta santé, bon voyageur!

Je suis couvreur, couvreur, couvreur.

Mais j'ai assez fait connaître, à propos d'un petit volume, à quelle école appartient M. Sébastien Rhéal, et quel rang il y tient. On voudrait, en le lisant, un soin plus sévère de la forme poétique. Je ne parle pas de la fausse rime, forge et quatorze, que je lui ai vu reprocher, et qui est évidemment un lapsus; mais je trouve que lorsqu'il aborde de front les idées philosophiques et sociales, son style devient plus faible, son vers plus mou, la rime plus négligée. Quelques-unes des citations qui précèdent, en font foi. Il ne faudrait pourtant pas qu'on pût dire d'un partisan des inspirations modernes de la poésie, qu'il n'est pas moderne lui-même quand il est poétique, et qu'il n'est plus poétique, quand il est moderne. Dans ce cas, ce ne serait pas, selon moi, son exemple qui condamnerait sa théorie, mais sa théorie qui condamnerait son exemple.

La poésie toute moderne et même d'actualité ne nous manque pas. Nous en trouvons, pour ainsi dire, toutes les variétés dans les Grands maîtres, de M. Charles Alexandre. Hommes d'Etat, philosophes, poëtes, musiciens, sculpteurs, quelques gloires d'hier et toutes celles d'aujour d'hui, sont là, un peu pêle-mêle et étonnés d'être réunis; mais chacun vit et se meut, ranimé par la sympathie d'un talent jeune pour ce qui est beau, libre et grand. M. Charles Alexandre est de l'école héroïque, comme M. Dupontavice du Heussey. Il rappelle la jeunesse de son temps à

l'enthousiasme pour les nobles causes; il veut la régénérer; il lui dédie son livre et lui crie:

Branche sèche en qui nul n'espère,
Qui ne fleurit plus au printemps;
Fille qui fait rougir ton père,
Vieille jeunesse de mon temps!

Lève-toi vite! Il nous faut suivre
Où l'on aime sans se flétrir;

Avec les héros viens revivre!

Avec les héros viens mourir!

Les grands maîtres que M. Charles Alexandre préfère dans le passé sont, entre les artistes, ceux que le goût moderne a le mieux compris en musique, Beethoven; dans l'art plastique, Michel-Ange. Ce sont pour lui les deux types du beau et de la puissance, et il mesure son admiration pour les autres à l'affinité qu'il peut saisir entre eux et ces deux grands génies. Ce sont les maîtres consacrés autour desquels se groupent les maîtres martyrs et les maîtres lutteurs. C'est ainsi qu'il dira d'un de ces derniers, M. A. Préault, le sculpteur, dont les statues ont été si souvent repoussées de nos Salons :

O moderne Puget, allons, brise la barre
Qui ferme ton chemin. Va vivre en combattant,
Laisse les énervés t'appeler un barbare;

Michel-Ange t'aurait applaudi! sois content!

Les lutteurs et les martyrs ont toutes les sympathies du poëte, avec quelques armes qu'ils aient combattu, sur quelque champ de bataille ou de supplice qu'ils soient morts, pourvu qu'ils soient morts et qu'ils aient combattu pour la liberté. L'historien J. Michelet, le poëte Victor Hugo, le penseur Lamennais, sont enveloppés dans une commune exaltation. Du premier, il dit avec plus de force que de goût :

L'historien fidèle à la liberté morte

Descendit de sa chaire et son âme monta.

M. Victor Hugo lui inspire une meilleure antithèse :

Titan aux bras de fer, âme aux puissantes ailes,
Tu chasses les lions, tu sauves les gazelles,
Tu combats sans repos, sans repos tu défends,
Et poëte de haine aux rafales amères,

Tu viens prier en paix près des vieilles grand'mères
Et baiser les enfants.

Quant à Lamennais, il le montre malheureux sur la terre, glorieux dans le ciel :

Il resta prêtre encore en brisant sa doctrine.
La femme eût attendri ce cœur dur aux bourreaux;
La soutane de feu lui brûlait la poitrine,

La robe de Nessus dévora le héros.

Il est mort, il est libre. Il est hors de la terre,
Près de son frère Dante, heureux, il est monté
Dans l'étoile des Forts, les yeux pleins de lumière,
L'âme de vérité.

Les cités et les nations qui luttent pour la liberté ou qui succombent en frémissant sous le joug des envahisseurs, inspirent aussi la muse patriotique de M. Charles Alexandre. L'Italie et Venise exaltent son enthousiasme, mais ne l'épuisent pas; c'est pour elles qu'il s'écrie:

Nous sommes las de voir saigner la liberté.

Nous voulons, nous voulons la fin des agonies;
A bas les oppresseurs, à bas les tyrannies!
Vive la liberté !

J'aime mieux pourtant les iambes que lui inspire la mort de John Brown, sacrifié à la fureur des partisans de l'esclavage dans le nouveau monde :

Puisqu'on pend le sauveur, le Washington du nègre,
Dans le pays de Washington,

Qu'on donne aux christs nouveaux le fiel et le vinaigre,
Pour récolter plus de coton!

Tu meurs sur tes ballots de sucres et de toiles,
Peuple, l'égoïsme te mord!

De ton drapeau d'azur efface les étoiles,

Et prends le drapeau de la mort.

A coup sûr, le talent poétique de M. Charles Alexandre et l'usage qu'il en fait sont également dignes de sympathie. La poésie ne peut que devenir plus forte, ainsi retrempée dans ces sources nouvelles. Convenons pourtant qu'il y a encore chez l'auteur des Grands maîtres plus d'effort que de force véritable. L'expression ne sert pas toujours exactement l'intention; le mouvement ne répond pas entièrement à l'élan; le style manque parfois de simplicité; l'éclat confine au faux brillant. Le poëte de la force tombe dans la recherche. Mais on doit bien pardonner quelque chose à la jeunesse, à l'enthousiasme, aux sentiments généreux, qui seront toujours les sources les plus pures et les plus fécondes de la poésie '.

3

Encore la poésie d'actualité. MM. Arm. Lebailly, Barillot, Viennet.

La sympathie publique était due pour plusieurs causes à un petit recueil auquel elle n'a pas fait défaut, Italia

1. Si nous pouvions donner aux réimpressions une partie de la place que réclament les publications nouvelles, nous aurions à signaler ici, comme un des meilleurs fruits des mêmes inspirations ardentes et généreuses, les Chants modernes de M. Maxime Ducamp. Publiés en 1855, ils viennent d'être réimprimés (Librairie nouvelle), avec des corrections et quelques additions. Ce sont bien des chants modernes, les chants de notre société qui travaille et qui souffre, qui dompte la matière par l'industrie et aspire à une organisation meilleure de toutes ses forces. Nous n'en citerons qu'un sonnet auxquel les événements récents ont donné un intérêt nouveau. Il est intitulé les Sœurs sanglantes:

Comme un Titan vaincu la Pologne sanglante

Courbe son front meurtri sous trois glaives hautains;

mia, de M. Armand Lebailly 1. L'Italie est naturellement l'héroïne de ce petit volume dédié à Venise. Sur une qua rantaine de pièces, la plupart ont pour sujet la nation italienne, ses malheurs ou sa gloire, les hommes qu'elle a produits, de Cincinnatus à Garibaldi; quelques-unes célèbrent en général la civilisation et la liberté, ces deux causes qui sont à la fois celles de l'Italie et du monde entier, et quelques héros qui ont combattu ou sont morts pour elles dans les deux hémisphères, Mirabeau et John Brown. Italia mia, est venu au jour sous d'assez tristes auspices; le manuscrit fut recueilli dans une de nos salles d'hôpital, sous l'oreiller d'un jeune malade, dont le sort sembla un instant rappeler celui de Gilbert ou d'Hégésippe Moreau. Un poëte dont le cœur inspire le talent, qui avait l'année précédente consacré à l'Italie et à l'un de ses héros une élégie devenue populaire : Un Souvenir de Manin, 1858, M. Legouvé, prit sous son patronage des vers nés d'une même inspiration et écrivit pour eux une touchante préface. Il leur porta bonheur. Quelques mois après, Italia mia avait les honneurs de la réimpression.

Le volume de M. A. Lebailly méritait cet accueil par la vérité du sentiment. Les mots de patrie, de liberté, d'Ita

La Hongrie éperdue, ouverte et chancelante,
Regarde les gibets par son sang toujours teints!

Immobile à genoux, Venise pantelante

Pleure, en chantant tout bas ses souvenirs lointains;
Autour de son volcan la Sicile tremblante.

Traîne comme un forçat les fers napolitains.

Baissant leurs yeux pensifs, pleins d'une peine amère,
Comme des fils perdus qui chercheraient leur mère,
Proscrits de toute race, exilés de tout lieu,

Vont quêtant un pays et pleurant leur patrie!
Quand je vois tout cela, bien souvent je m'écrie:
Que fais-tu dans le ciel, ô justice de Dieu ?

1. Garnier frères, in-18, 168 p.

« PrécédentContinuer »