Images de page
PDF
ePub

monter de jeunes têtes, tandis qu'il faudrait avant tout développer en elles un jugement sain, un inflexible respect de la justice et de la vérité.

Les Scènes du monde réel nous montrent de gracieux intérieurs, où des drames intéressants mettent en relief de saines vérités. Mlle Ulliac ne prétend pas à l'héritage de Balzac; elle joint pourtant à l'élévation de la pensée autant de finesse d'observation et de vérité dans les peintures que plus d'un soi-disant héritier du peintre de la Comédie humaine.

D

Nous revenons encore une fois au genre excentrique avec les Contes à dormir debout de M. Auguste Vitu1. L'auteur les aurait appelés « Contes fantastiques, s'il eût plus tôt recueilli en volume ces récits qui ont paru pour la première fois, il y a plus de dix ans, dans divers journaux. Mais, dans l'intervalle, l'excentrique et le fantastique ont été très-cultivés, et les titres qui désignent le mieux ce double genre ont été pris par d'autres. M. A.Vitu n'est donc pas l'imitateur arriéré des auteurs qui ont rivalisé en français avec Hoffmann ou Edgar Poë; il est un des aînés de cette famille devenue nombreuse. Ses procédés sont ceux du genre il met en jeu le rêve, le somnambulisme, folie, l'hallucination, les légendes de la magie, les traditions swédinborgiennes, en un mot, tous les ressorts du merveilleux terrible. Nous citerons principalement dans son recueil le Mandarin, très-ingénieuse mise en œuvre de l'ancien paradoxe résumé par ce proverbe tuer son mandarin; puis le Khandjiar, autre développement de la même donnée, où l'homme tue à distance, par la pensée, par un souhait et jusqu'en rêve. Ces récits et quelques autres montrent dans l'auteur des Contes à dormir debout un

1. Hachette et Cie, 307 p.

la

homme exercé à manier la plume et à diversifier un genre monotone par l'habileté de la composition.

14

W z. MM. De Wailly, Alex. Weil, P. Zaccone.

Une idée heureuse, aussi féconde que morale, se développe largement dans les Deux filles de M. Dubreuil, par M. Léon de Wailly1. C'est, dans un cadre simple et gracieux, une question d'éducation, pour ne pas dire une thèse de pédagogie; c'est le contraste des principes et des résultats des deux systèmes opposés suivant lesquels la jeune fille est élevée en France et en Angleterre. M. Dubreuil est un excellent type de l'employé en retraite, à qui trente années de services dans un même bureau ont donné des habitudes d'exactitude minutieuse et de régularité mathématique. Il a vu mourir sa femme et s'est voué à l'éducation de sa fille avec une sollicitude toute maternelle. Il l'accompagne partout, veille sur tous ses mouvements, la soumet à la régularité monotone d'une vie de couvent. Adélaïde grandit dans l'ignorance complète du monde, et son imagination est enfermée dans le même cercle que sa vie. Pendant que M. Dubreuil pratique laborieusement, au profit de sa fille, le système d'éducation française dans toute sa rigueur, voici qu'il lui arrive d'Angleterre une jeune pupille, léguée à son amitié par une femme qu'il avait autrefois aimée, mais dont son rival, un Anglais, était devenu l'époux. Il accueille avec bonheur ce souvenir vivant d'une ancienne affection. Miss Louise devient la compagne de sa fille; mais bientôt ses habitudes d'indépendance effrayent le bonhomme. Miss Louise sort seule, reçoit des visites, agit sans contrainte, parle avec une vivacité enjouée, accueille

1. Hachette et Cie, 2 vol. in-18, 345 et 298 p.

les hommages des hommes sans minauderie, et leur donne des poignées de main, en guise de salut. Quel dangereux exemple pour Adélaïde si timide et si réservée! Enfin, les deux jeunes filles sont mariées. Le contraste continue, mais les termes s'en déplacent. La jeune femme française, brusquement émancipée par le mariage, porte mal sa liberté nouvelle. Ses instincts comprimés prennent leur essor. Coquette, frivole, dégoûtée de la vie d'intérieur, ne voyant dans la maternité que des charges, elle se jette dans les plaisirs et la dépense, tombe dans la gêne, avilit son mari et le conduit ainsi qu'elle-même à des catastrophes. Pendant ce temps-là, la jeune Anglaise, sage autant qu'aimable, déploie dans son ménage toutes les vertus pratiques et est doublement heureuse comme femme et comme mère. Au dernier moment, son influence sauve Adélaïde qui échappe à la fois au déshonneur et à une tragique vengeance.

Voilà l'heureux thème dont M. Léon de Wailly a su faire un roman intéressant. Peut-être lui reprochera-t-on d'avoir exagéré, pour les besoins de la cause, les conséquences de l'un des deux systèmes qu'il met aux prises. Mais, sans aller aussi loin, ni tomber aussi bas que son Adélaïde, combien de jeunes filles, élevées selon la méthode des couvents, ne voient dans le mariage qu'une émancipation et sont disposées à prendre pour l'heure des plaisirs sans frein l'heure de la liberté vouée au devoir! Sachons gré à l'auteur d'avoir plaidé, sous une forme accessible à tous, la cause d'une liberté raisonnable, en montrant son union avec la morale et le bonheur.

C'est aussi sous une autre forme la liberté que réclame pour les femmes M. Alexandre Weill dans son livre intitulé Si j'avais une fille à marier1. Il défend leurs droits.

1. Amyot, in-18.

[ocr errors]

à l'instruction; il veut pour elles une initiation plus complète aux choses de la vie. Il s'attaque aussi à ce qu'on appelle le système français : « Les Français, ma fille, ont l'habitude de voiler la vie aux jeunes personnes et de ne « leur accorder aucun droit à la pensée et à la parole. Une jeune fille en France doit ignorer jusqu'à sa vertu. Elle <«< ne doit connaître de l'homme que le chapeau et le << manteau de son père ou de son frère. » M. Alexandre Weill exagère le préjugé qu'il veut combattre, mais enfin il est, lui aussi, dans les eaux de la liberté, et veut faire tourner l'émancipation de la femme au profit de la morale. Voici sa conclusion, à laquelle on pourrait souhaiter plus de simplicité. « Le suprême beau par le suprême vrai, niant « la mort, affirmant la vie éternelle, est représenté dans la « femme par la vertu, dans l'homme par l'idéal. »

C'est parler comme un oracle, avec plus d'autorité que de clarté. M. Alexandre Weill a, en général, une force de conviction qui lui constitue une certaine originalité. Il dit je et moi avec une confiance qui fait meilleur effet dans les polémiques du journalisme que dans les appréciations personnelles d'un écrivain sur ses œuvres. Voici les premières lignes de la Préface qu'il a écrite pour la réimpression de ses Histoires de village1.

« Le premier j'ai écrit les histoires de village. Né dans un hameau alsacien, élevé parmi des campagnards de différentes religions, j'ai, dès l'âge de vingt ans, essayé de retracer du village les peines et les joies, les amours et les haines, les labeurs et les fêtes, les mœurs et les coutumes, en un mot, la double vie du corps et de l'esprit. Le paysan de la littérature était jusque alors ou un gentilhomme travesti, enrubanné, portant houlette, ou un manant, un rustaut, une brute sans cœur et sans poésie. Mes paysans et paysannes, je les avais vus en chair et en os dans leur costume national. Seulement, en passant par le creuset de l'art, ils ont pris certains contours de mon idéal et ils portent l'empreinte de mon esprit. »

1. Hachette et Cie, in-18, 312 p.

En voici la conclusion :

Je me suis créé une forme à part. Semblable à un musicien qui, pour jouer de la flûte, est forcé de tailler son instrument dans le bois, et encore avec un couteau ébréché, je me suis taillé dans la langue française un manteau troué à plus d'un endroit et dont les bords sont maculés de fange populaire. Mais l'étoffe en est solide et bon teint : qui sait? Elle durera peut-être aussi longtemps que maint tissu de velours et de soie.

Les Histoires de village ne sont pas une nouveauté dont nous ayons à rendre compte dans ce volume. Disons pourtant qu'elles ne répondent pas, Dieu merci, à ce qu'on pourrait attendre après de telles incohérences de style et de telles prétentions. L'entraînement des faits, le développement des caractères ne laissent pas aux écrivains qui manquent naturellement de simplicité, le loisir de faire du style, et c'est alors que leur style est le meilleur. Leurs œuvres valent mieux que leur théorie, et leur manière d'écrire n'est jamais si complétement injustifiable que lorsqu'ils veulent la justifier.

Si nous tenions à pousser jusqu'au bout cette course à travers l'A B C du roman, nous rencontrerions dans la lettre finale M. Pierre Zaccone qui occupe dans les derniers rangs des catalogues alphabétiques autant de place que M. Am. Achard dans les premiers. L'année 1860 ne nous offre pas moins de cinq ouvrages sous son nom : le Conscrit de Palerme; les mystères de la Chine, en deux séries; la seconde sous le titre : le Pirate de Canton; les Volontaires de Quatre-vingt-treize; les Zouaves. Tous, excepté le dernier qui est dans le format in-12, se composent d'une cinquantaine de pages in-4, avec vignettes, format populaire qui n'est affecté d'ordinaire qu'aux réimpressions. Le Conscrit de Palerme est pourtant, le sous-titre nous en prévient, un << roman inédit. » Nous aurons occasion de retrouver tôt ou tard M. Zaccone avec quelque œuvre plus importante, et

« PrécédentContinuer »